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La tentation de l’Open Innovation

Une entreprise est fondamentalement organisée pour exploiter un savoir-faire et dégager du profit. Avec ce profit, elle assure son développement, notamment en perfectionnant son offre, son efficacité et la qualité de sa clientèle.

Depuis que la mondialisation s’intensifie, l’innovation devient une obsession pour les dirigeants de nos entreprises, les grandes en particulier. Les cas d’entreprises puissantes déstabilisées par des approches disruptives se multiplient puisque nous passons d’un modèle basé sur la puissance à un autre, basé sur l’agilité industrielle.

Tout naturellement, les entreprises se mettre à la recherche de protection contre cette menace. C’est ainsi qu’elles explorent de nouvelles méthodes de management, visant à stimuler leur capacité d’innovation.

L’Open Innovation est la formule recommandée par le Medef et par un certain nombre de consultants.

Il s’agit d’ouvrir l’entreprise à ses parties prenantes pour élargir le champ de réflexion créative. Mais, le résultat n’est pas à la hauteur des espoirs, car, au-delà de la bonne piste qui mérite d’être explorée, il faut susciter la capacité d’expérimentation. Les jeux de pouvoirs internes et les profils du middle management n’y parviennent pas naturellement. L’idée qui vient à l’esprit consiste à mettre les équipes en contact avec de véritables startupers, puisque les menaces de disruption proviennent des startups.

Une startup est une entreprise conçue pour explorer une voie nouvelle : un procédé ou un modèle économique. Toute l’énergie des porteurs du concept est tendue vers l’atteinte de leur objectif. Eux-mêmes et le projet ne font qu’un. Rien à voir avec un collaborateur qui donne de son temps et de son savoir à un patron, qu’il ne connaît pas vraiment et qui ne le connaît pas du tout.

Le bénéfice de cette façon de faire est que les startupers deviennent des héros et l’idée qu’il faut leur donner une chance fait son chemin.

 

Les grandes entreprises sont très heureuses de soutenir de-ci de-là quelques startups et tous les intéressés s’en réjouissent. Cependant, à l’échelle nationale, le rendement est anecdotique au regard de volume de startups que nous avons à lancer pour assurer notre renouveau entrepreneurial. Croire que les grandes entreprises vont pouvoir disperser leurs moyens dans toujours plus de projets est illusoire. Ce n’est pas leur vocation.

 

La piste de l’Entreprise Libérée

Les grandes entreprises butent par ailleurs sur un problème d’efficacité individuelle. Au début de l’ère industrielle, les paysans avaient été poussés vers les villes où ils trouvaient des employeurs qui leur demandaient d’effectuer des tâches répétitives moyennant un salaire et même une certaine protection.

Aujourd’hui, les entreprises se mettent à ressembler à Amazon : des petites mains soumises à des exigences de productivité, des ingénieurs, marketeurs et financiers bien traités mais soumis à des exigences de créativités et de réactivité et … quelques possédants. Autrement dit : un environnement sur-optimisé et décharné. Tout est sous contrôle. Le reporting y prend une place centrale : les faits, chèrement comptabilisés, masquent la souffrance, mais aussi les potentiels créatifs.

Alors, les entreprises téméraires se lancent dans « l’entreprise libérée ».

Il s’agit de restructurer l’organigramme en unités de 8 à 12 personnes, animées par un manager. Le manager n’est pas un chef, mais un facilitateur. Il contribue aux tâches assignées à l’équipe, comme le capitaine de l’équipe de football joue avec ses coéquipiers. Le maître mot : plus de reporting. Le résultat fait foi. L’équipe se donne les moyens de se perfectionner elle-même et de se réguler.

Ce changement repose sur la confiance, ce qui a pour effet de libérer les énergies. L’efficacité se développe grâce à la capacité à évoluer.

En France plusieurs entreprises de toutes tailles se sont lancées, dont Michelin.

Le temps libéré par cette liberté retrouvée peut être mis à profit dans des tâches dédiées à l’innovation et l’enracinement des savoirs. Les activités politiques sont admises chez Michelin ! Des employés sont devenus des élus locaux. Les relations de l’entreprise avec les élus s’en sont trouvées simplifiées, chaque acteur ayant une autre idée des intérêts bien compris au niveau collectif.

L’entreprise libérée favorise l’esprit d’initiative et dédramatise le plaisir d’entreprendre. Certaines propositions intéressantes n’entrent pas dans le périmètre immédiat de l’entreprise. Alors, l’idée s’impose d’externaliser leurs développements. Or, comme les chiens ne font pas des chats, ces idées sont tout naturellement marquées par l’ADN de l’entreprise. Alors, leur externalisation devient de la pollinisation ! Quoi de mieux pour enraciner des savoirs et développer un ruissellement économique pérenne.

 

Incidence sur le modèle socioéconomique

Avec l’entreprise libérée, les conflits sont absorbés au plus près des équipes car il n’est pas possible de partager son quotidien avec des collègues en colère. Les tensions entre les cellules sont absorbées au jour le jour puisque les relations sont dédiées à leur résolution, à l’abri des mécanismes de pouvoir. Dans cette organisation, les syndicats ne sont pas mis à contribution dans les médiations. Ceci est rendu possible par le fait que les collaborateurs ont, en moyenne, un niveau d’étude qui leur permet de se poser entre eux des questions sur les intérêts bien compris des parties prenantes du système.

C’est donc un nouveau paysage socio-économique qui s’instaure. L’innovation s’y développe au sein même de l’écosystème et non à côté ou en corps étranger au sein du leader. Les grandes entreprises trouvent en douceur leur juste dimension tout en organisant autour d’elles un terreau de savoirs et de la stabilité économique.

Ainsi, plutôt que l’Open Innovation, l’Entreprise Libérée nous conduit en douceur vers le modèle maillé qui assure notre adaptabilité et notre attractivité.

Ceci est confirmé par un fait bien connu : lorsqu’un nouveau concept s’annonce prometteur, il est plus efficace de favoriser la création une ou plusieurs entreprise adaptée à la nouvelle donne plutôt que de demander au leader de s’approprier une innovation qui n’est pas inscrite dans ses gènes et qui déstabilise ses « héros » internes.

Conéquence au niveau national : la confortable connivence entre les pouvoir publics et les grands acteurs du marché va devoir évoluer vers un subtil pilotage du tissu entrepreneurial.