Changement inexorable de civilisation
Par genevieve-b. jeudi 11 février 2016, 19:41. actu futur | Lien permanent.
Intervention dans la matinale de Jean Marc Thibaudier de FranceTVInfo – Radio Outre-Mer N°1 le 11/2/16
Nous nous posons tous plus ou moins la même question : pourquoi avons-nous l’impression de devoir tout changer ?
Ce que l’on peut constater, c’est que nous opérons un changement d’une amplitude comparable à celle de la sédentarisation de l’homme.

L’estime de soi plus fort que le désir de consommer
Nous sommes amenés à repenser les fondamentaux de notre vivre ensemble tel que nous l’avons défini depuis que nous avons commencé à cultiver la terre et à élever des animaux domestiques. Je pense en particulier à la notion de propriété privée.
La sédentarisation nous a permis de commencer à fiabiliser notre sécurité physique et physiologique. À présent, nous considérons que nous possédons les techniques qui nous permettent d’élever nos ambitions, en particulier développer ce que Maslow appelle « l’estime de soi ».
L’estime de soi ne se développe pas seul face au miroir de la salle de bains, mais en interagissant avec les autres. Nous développons à grande vitesse les technologies qui nous permettent de satisfaire ces nouvelles préoccupations. Je pense en particulier aux robots et au numérique en général, mais aussi à toutes les autres innovations qui foisonnent depuis le début de ce siècle.
Les technologies que nous développons convergent toutes vers un objectif qui consiste à nous libérer des tâches productives (celles qui fabriquent les biens et les services dont nous avons besoin pour assurer notre intégrité physique et physiologique). Le temps ainsi libéré nous permet de développer de l’estime de soi, c’est-à-dire « donner du sens » à notre vie s’occupant du long terme. Ceci concerne la famille, la culture, les savoirs, l’innovation, la politique ou encore la spiritualité.
Le technologies nous projette dans une autre civilisation
Mais ces technologies, bousculent les règles de notre vivre ensemble. Par exemple, notre vision du capitalisme évolue. En effet, si nous avons appris que pour créer une entreprise, il fallait du capital et du travail, à présent, nous voyons bien que pour créer une entreprise, il faut certes du capital et du travail, mais il faut aussi si ce n’est plus encore des talents, du savoir et du réseau.
Le savoir et le réseau appartient appartiennent à la communauté. Le talent appartient aux individus. Nous allons devoir repenser la notion de bien commun et de bien privé.
L’économie qui se reconfigure actuellement n’est plus basée sur le « toujours plus », mais sur le « toujours mieux » et donc sur les talents. La compétitivité d’une nation passe par sa capacité à permettre à des talents de se révéler.
Notre pacte social ne sait récompenser que les tâches productives. Nous allons devoir l’enrichir pour qu’il soit capable de récompenser aussi les tâches contributives. Mais les instruments ne vont pas être les mêmes.
Repenser notre système distributif
À cette occasion nous allons nous doter de nouveaux outils capables de nous libérer de la complexité de notre système distributif, c’est-à-dire de la fiscalité et du système d’aides.
Les deux instruments qui semblent s’imposer sont le revenu de base et les monnaies intelligentes.
Actuellement nous n’avons qu’une seule sorte de monnaie qui sert à effectuer des échanges basés sur la quantité et la valeur capitalistique. C’est un peu comme si notre système social n’avait qu’une seule hormone. Un organisme qui fonctionne avec une seule hormone n’est pas très évolué.
Nous avons désormais besoin de réaliser d’autres échanges : de l’estime, du savoir, du temps, de la confiance… etc. Nous allons effectuer ces échanges avec des monnaies dédiées, ce qui ne pose pas de problème puisque ces monnaies sont numériques. Ces monnaies suivent des règles de création, d’échange et de destruction qui leur sont propres et dont les mécanismes d’interopérabilités avec les autres monnaies sont définis de manière transparente et démocratique.
Les technologies pour réaliser ces monnaies sont connues, ce sont les blockchain. L’étape suivante va être les expérimentations. La France, qui est le berceau de la monétique devrait être un lieu privilégié. Pour le moment, nous nous concentrons sur les monnaies locales qui sont adossées à l’€ et qui ne remplissent, en gros, qu’une fonction, à savoir l’enracinement de l’économie locale, ce qui n’est pas inintéressant, pas peu instructif.
De superbes chantiers d’innovation nous attendent donc.
Je précise que plus vite nous allons adapter notre modèle socio-économique à nos désirs prioritaires de donner du sens à nos vies, plus vite nous réussirons à relever le défi de la transition écologique.
La bonne nouvelle : en nous faisant du bien, nous allons faire du bien à la planète. Pas mal non ?

Commentaires
Faire quelques expérimentations pour voir la faisabilité d'un système distributif différent est sûrement une bonne chose.
Il faut préparer le changement.
Mais je crois que le changement mondial n'est pas différent d'un changement important en entreprise et les mêmes freins, les mêmes conditions se posent pour sa réussite. Et pour une entreprise, le problème n'est pas du tout le même dans une start-up composée de cadres innovants, dans une PMI qui fabrique ou rend des services avec un personnel modeste et dans une grosse entreprise, aux structures complexes et en concurrence internationale.
C'est vrai que créer une entreprise demande aujourd'hui encore plus de savoir et de réseau qu'il y a 50 ans, mais si beaucoup de personnes rêvent de créer une entreprise, ce qui apparaît comme un mirage de liberté et d'emploi, malheureusement assez peu en vivent.
Le changement ne réussira pas s'il n'y a pas un minimum d'acceptation des partenaires. Je pense que la pyramide de Maslow que vous évoquez, reste vraie : les cadres d'une startup aspirent effectivement à l'estime de soi, mais pour le personnel de base au smic, la satisfaction des besoins minimaux reste la source profonde de préoccupation (et donc l'emploi auquel est lié le salaire).
Un autre frein aux changements est la rigidité des structures de toutes sortes et il serait intéressant de lister celles-ci (y compris les groupes de personnes). Il doit y en avoir des dizaines de milliers.
Le troisième frein est celui des archétypes, des habitudes des automatismes plus ou moins conscients, des préjugés et des pulsions. C'est peut être le plus long à comprendre et à vaincre, car il est multiforme et individuel.
Je crois que dans le changement projeté, le problème n'est pas le revenu de base ; il y a déjà les allocations chômages, le RSA, le smic, alors si on trouve mieux, le changement sera accepté. Le problème c'est la distinction entre travail productif et travail contributif. On sait ce que produit le travail productif (même si ce qu'il produit n'est pas tout à fait utile ou de bonne qualité), mais le travail contributif a une ambiguïté : contributif pour qui ? l'individu ou la collectivité.
Il faut bien prélever l'argent qu'on distribue sur des revenus (particuliers ou entreprises), mais si ces agents économiques peuvent accepter cela pour des tâches qui profitent globalement à la collectivité (formation, bénévolat, culture...), par contre je ne crois pas qu'ils seraient d'accord pour financer des désirs purement personnels sans retombée collective. ( jouer sur ordinateur, discuter sur les réseaux sociaux, voir les matchs de foot...)Faire la différence n'est pas aisé.
Une autre question à laquelle je ne sais pas répondre : peut on passer au revenu de base et aux monnaies intelligentes en France, si la Chine et l'Inde ne peuvent suivre dans cette voie ?
Un autre point me gêne un peu : le terme de monnaies, car pour la plupart des gens, c'est lié à une activité et cela sert à se procurer objets et services. C'est un moyen d'échange mais qui reste lié aux diverses devises des pays.
Je ne sais pas si les gens comprendront ce que sont les blockchains, si on fait référence à la monnaie et au bitcoin (dont très peu de gens connaissent le mécanisme). Il me semble que pour quelque chose de public comme le revenue base, cela s'apparente plus à un grand livre comptable. Le "compte formation" est un petit exemple.