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Un monde soutenable

L’expansion des marchés, dont le marché de la finance, a façonné la mondialisation (version ère moderne). Cette forme de mondialisation se délite à présent, pour différentes raisons. En particulier, nous avons l’opportunité de relocaliser la production des biens et des services au plus près des consommateurs et des gisements de matières recyclées, ce qui donne de la vigueur à de nouveaux entrants dans les jeux de pouvoirs : les férus d’économie durable.

À travers la culture qu’ils développent, les performances financières, reconnues comme seuls critères de réussite, semblent simplistes et même dangereuses. Par ricochet, la remise en cause du système actuel se concrétise par la défiance vis-à-vis des institutions outillées pour assurer la stabilité du système encore en vigueur. Sont particulièrement visés : les élus, les banquiers et la justice. Il s’ensuit une préoccupante perte d’autorité de l’Etat et ses représentants.

Alors, dans une résilience naturelle, une frange de la population développe par elle-même des courants de pensées novatrices. Ce sont les « précurseurs ». Mais la majorité, en prise aux doutes et aux désarrois, se tourne vers la radicalisation des valeurs de la société mourante, espérant faire revenir la forme de prospérité dont elle a été porteuse, même si celle-ci correspond à une époque qui n’est plus et qui ne reviendra plus.

Actuellement, la ligne directrice qui émerge dans l’ensemble des propositions émises chez précurseurs tourne autour d’un « monde soutenable ». Pour eux, la bonne gouvernance doit être capable d’allier les stratégies à court terme et les stratégies à long terme.

 

Militaires aussi

Le capitalisme se caractérise par sa pensée sans doute pragmatique, mais court-termiste. De manière concomitante à son développement, les pays occidentaux se sont désintéressés de la chose militaire. Par exemple, les Français connaissent mal le ministre des armés.

Les idées du « monde soutenable » remettent en avant le développement local, rappelant que sans territoire d’attachement, l’homme ne peut rien faire. Sans finance non plus. Mais sans culture, sans justice, sans santé ou encore sans innovateurs, c’est-à-dire sans patrimoine commun immatériel, il ne peut rien faire de durable.

En réalité, le modèle dont nous avons besoins à présent doit être cohérent vis-à-vis de la protection et du développement de ces trois formes de protection : militaire, financière et bien commun immatériel. C’est cette « efficacité globale » (ou du moins plus globale) qui est à imaginer.

Il faut donc imaginer comment dégager des ressources humaines pour protéger et développer de manière stratégique notre bien commun immatériel.

Ceci passe par les mécanismes de vicariance et de simplexité : manifestement, il faut libérer de la ressource humaine affectée au secteur productif pour la réaffecter dans le développement d’un patrimoine commun de qualité.

Actuellement, nos ressources humaines sont essentiellement accaparées dans les activités productives et la préparation de l’entrée dans la vie productive, alors même que les besoins en la matière sont en attrition constantes. Une autre part est affecté aux fonctions régaliennes. Elles ne peuvent aborder le délestage du secteur privé car l’état n’a pas pour vocation de créer de l’emploi mais simplement de veiller à ce que le plus grand nombre de nos concitoyens aient un emploi décent.

La réaffectation des ressources humaines vers le bien commun immatériel va être l’occasion de tirer profit des changements de paradigme qui s’imposent à nous dans bien des domaines. Voici quelques exemples (à grands coups de crayon).

 

Exemple d’institutions bousculées

À propos de la santé

Notre système de santé est essentiellement curatif. Mais il a la possibilité de se scinder à trois activités :

  • Prédictive : notamment avec les big data. Celles-ci permettent de mieux anticiper les risques sanitaires tels que les épidémies mais aussi les pathologies liées à certains environnements, professionnels ou autres, ou encore les causes d’accidents. Il est possible également d’éclairer les conséquences de certains supposés progrès dont les méfaits à long terme auraient échappé aux essais cliniques.
  • Préventive : toujours grâce aux big data, il est possible de prémunir les individus face à des risques connus et pour lesquels des parades existent. Il est possible de permettre aux individus de prendre leurs dispositions face aux risques qu’ils pourraient prendre.
  • Curative, seulement en dernier recours. L’Homme n’a peu de raison d’être malade si son système immunitaire est bien développé et entretenu et que son environnement est organisé de manière à réduire les risques et même permettre aux individus de participer à leur propre protection, grâce à des recommandations contextualisées. Avec toutes les précautions prises en amont, il est envisageable de voir les recours aux actes médicaux complexes considérablement réduits.

Cette approche de la santé amène à élargir considérablement le spectre de compétences nécessaires, surtout si l’on admet que la santé est liée au psychique et que celui-ci dépend de la qualité de l’organisation du vivre et travailler ensemble.

L’efficacité globale, vue sous le prisme de la santé, dépasse largement le périmètre de compétence de la sécurité sociale actuelle. Outre les questions de compétitivité techniques, elle se pense dans une stratégie qui inclue la vie des familles, des collectivités locales et des entreprises. Nos structures décisionnaires ne sont pas pensées pour se poser le problème en ces termes.

Celles en place craignent que leurs dimensions soient redessinées au point de disparaître au profit d’autres acteurs porteurs d’autres expertises. Ce n’est pas une vue de l’esprit, loin de là. Mais bloquer le processus d’évolution est encore plus dangereux. La modernisation que nous ne voudrions pas faire pourrait être faite par des nations plus vaillantes. Il leur serait alors facile de nous coloniser avec ces savoir-faire que nous aurons fient d’ignorer et donc de maîtriser. Car en matière de défense des biens communs immatériels, c’est le soft power qui est à la manœuvre : séduire les foules pour mieux les influencer.

 

À propos de la justice

Pour le moment, il y a ceux qui font les lois, ceux qui les font appliquer et les justiciables. Cet édifice pourtant cohérent est en souffrance : les textes de loi et de jurisprudence s’accumulent, les prisons débordent et les tribunaux sont asphyxiés.

Dans le même temps, la justice étant perçue comme aléatoire et coûteuse, des solutions alternatives se déploient à grande enjambée :

  • les neurosciences nous permettent de comprendre les mécanismes des comportements agressifs et la médiation devient de plus en plus performante en matière de résolution de conflits. La culture de résolution de conflit se démocratise dans l’entreprise et le milieu associatif avec des résultats de plus en plus frappants. Le fait que la justice s’en tienne à l’écart devient incompréhensible pour le justiciable.
  • L’arbitrage se développe, non pas pour biaiser les juges, mais en mettant œuvre l’intelligence artificielle dont les ordinateurs deviennent friands. Ceci permet de rendre une justice rapide et relativement peu onéreuse.

En se dirigeant vers ces technologies, les états peuvent mettre au jour les incohérences des textes qui s’empilent les uns sur les autres. Certes, ils ont fait la beauté du travail des avocats, mais, à présent, ils font leur malheur. « Nul n’est censé ignorer la loi », mais même les juges admettent qu’il est préférable de passer cet adage sous silence, eux-mêmes étant exposés à des erreurs alors même qu’ils sont les garants de sa bonne application.

La justice aux mains de l’intelligence artificielle permet de redonner vie à cet adage. Mais surtout, elle lui permet de redevenir accessible et donc efficace.

Ignorer cette piste technologique a, notamment pour conséquence que le droit romain va disparaître au profit du droit anglo-saxon. En effet, actuellement, différentes startups essentiellement anglo-saxonnes voient le jour dans ce domaine. Les françaises sont rares et peu soutenues.

En passant par l’arbitrage de ces startups de culture anglo-saxonne, les justiciables ont recours à un droit hors territoire, mais d’une grande efficacité et à des coûts dérisoires. C’est déjà le cas sur les grandes plateformes des GAFAM. Linkedin va s’intéresser aux conflits au travail, E-bay et Amazon dans les échanges commerciaux… etc.

Ce changement de modèle se fait donc avec des acteurs jusqu’ici quasiment inconnues de la sphère juridique. L’intelligence artificielle, appliquée à la chose juridique, est fondamentalement technologique, statistique linguistique et mathématique. La médiation, de son côté, concerne d’autres savoirs, tels la psychologie, la sociologie ou encre les neurosciences.

Ce changement peine à venir de nos startups qui sont sous-capitalisée et pas soutenues, mais ne peut venir de la magistrature, à moins qu’elle ne soit investie d’une telle mission. Elle ne semble pas venir des avocats qui protègent leur savoir-faire. Les autres auxiliaires de justice ne se sentent pas concernés par ces deux nouvelles approches qui vont pourtant les absorber pour une bonne part.

En bonus de cette modernisation, l’État va pouvoir se doter d’une justice basée sur le modèle de l’évolution de la santé : prédictive, préventive et seulement en dernier recours [curative – répressive]. En effet, en confiant à des machines apprenantes toutes les affaires qui sont confiées à la justice ainsi que leur dénouement, il est possible de développer une justice plus efficace, ne serait-ce parce que le citoyen va pouvoir évaluer les initiatives qu’il envisage de prendre et donc réduire prises de ses risques.

 

À propos de l’éducation

Face aux difficultés à entrer dans la vie active, les jeunes multiplient les diplômes. D’autres, repoussés par une école qui ne sait as s’adapter à leur spécificité, délaissent l’idée d’avoir un diplôme.

Or, plus nous connaissons notre cerveau et notre système émotionnel, plus nous savons que le bachotage n’est pas performant, surtout à l’heure de l’Internet. Ce qui compte, c’est apprendre à apprendre par soi-même, à organiser sa curiosité, à développer son ingéniosité, à comprendre le fonctionnement du monde qui nous entoure, à construire un projet, ou encre à coopérer avec les autres.

Apprendre à apprendre permet ensuite d’apprendre, chaque fois que le parcours de vie implique de maîtriser des notions nouvelles. Cette forme d’apprentissage doit s’accompagner d’une entrée progressive dans la vie active en lieu et place d’un diplôme acquis à 20 ans et pour le reste de son parcours de vie.

Les MOOC et les tutoriels, bien qu’ils ne soient pas la panacée universelle de la formation continue, proposent une autre manière de gérer et partager les connaissances. D’autres manières de faire, plus interpersonnelles sont destinées à favoriser le partage des savoirs via la continuité intergénérationnelle, par exemple en mettant en œuvre les monnaies du savoir.

Cette nouvelle vision du partage et du développement des savoirs chamboule nos institutions et la maîtrise qu’elles pensent avoir sur les savoirs dispensés.

Internet ne connaît pas bien les frontières. L’argument de la maîtrise des savoirs n’est donc plus valable. Dans le même temps, les connaissances scientifiques sur notre système cognitif et les progrès pédagogiques qui en découlent rendent infondées les résistances aux changements face aux solutions qui sont en cours de mise au point et qui se développent à travers le monde.

Bien entendu, notre structure éducative doit s’ouvrir à d’autres compétences et répartir autrement ses ressources humaines et immobilières, car les échanges de savoir nécessitent des locaux et de la logistique.

Ce changement n’est pas une option parmi d’autres. Elle est une des clefs de notre renouveau en lieu et place de notre asservissement.

 

À propos du tissu entrepreneurial

Durant le 20ème siècle, la France a choisi de favoriser le développement de grandes entreprises, notamment dans l’énergie, le transport ou encore le luxe.

Dans la nature, les animaux monumentaux ont disparu rapidement dès lors qu’un changement brutal leur imposait d’évoluer.

Outre la difficulté à évoluer, les grosses entreprises, cotées en Bourse, sont exposées aux modifications d’actionnaires et aux erreurs stratégiques. La perte de contrôle d’un de ces poids lourds de notre économie est un drame, et la reconstruction d’un autre poids lourd devenue une gageure dans un monde où la rapidité fait loi.

La formule qui s’impose, face à notre situation spécifique, consiste à recomposer un tissu entrepreneurial réactif, c’est-à-dire composé d’un grand nombre de structures relativement légères et adossé à un vivier dynamique de startups innovantes. Toutes ses entreprises agrègent leurs produits les unes aux autres de manière à aboutir à une offre de grande qualité, pensée, produite et réalisée par des grands professionnels passionnés.

Cette idée repose sur la notion de réseau, bien connue dans la nature : attaquer un réseau réactif est plus compliqué qu’attaquer quelques blocs indépendants.

La stratégie consiste à organiser ce tissu et le protéger des agressions, par exemple contre la prédation des licornes, ce qui impose de faire évoluer considérablement la gouvernance. En quelque sorte, là où l’entre soi permettait de gérer quelques grandes entreprises stratégiques, il s’agit de piloter une nuée d’entreprises.

S’appuyer sur la spécificité des territoires pour entretenir une diversité créative est sans doute la meilleure manière de permettre à la France de tirer parti de sa diversité qui a toujours constitué la base de sa richesse.

Penser local n’est pas incompatible avec une vision Européenne, bien au contraire. La vision locale permet de favoriser des structures à taille humaine dans lesquelles chacun peut y donner le meilleur de lui-même et tout en contribuant à la pollinisation des savoirs. Mais en pensant local, il faut savoir s’organiser pour rayonner des espaces commerciaux à une échelle supérieure en créant des alliances. Nous avons donc beaucoup à apprendre de cette forme collégialité qui devient la force de pays historiquement moins marqués par les multinationales.

 

Oser la globalité ou attendre la léthargie

Tous les secteurs de notre vivre ensemble vont devoir être ainsi repensés à l’aune du 21ème siècle. À chaque fois, il ressort que les changements souhaitables ont peu de chance d’être entrepris par les acteurs en place et que les acteurs entrants sont entravés puisque leur juste place n’a pas été prévue. Ceci engendre des blocages.

L’immobilisme qui résulte de ces blocages fait que des nations plus entreprenantes se mettent en situation de devenir dominantes, ou du moins attractives à nos dépens. La France forte devient poreuse et finalement dépossédée de ses propres atouts.

Le défi n’est pas de répondre seulement aux problèmes posés par le numérique sur les différents secteurs de nos activités industrielles, commerciales, financières et régaliennes. Le défi est de rééquilibrer la protection et le développement de nos territoires, de notre économie productive et de notre bien commun immatériel, l’ensemble étant pensé en termes d’« efficacité globale ».

 

Non aux punitions budgétaires, oui aux projets d’avenir

Les réductions budgétaires dont nous menacent certains candidats et dont certains autres n’osent pas parler deviennent un véritable projet, de nature à mobiliser les citoyens si elles s’expliquent par la mise en œuvre de cette forme de modernisation.

Alors, pourquoi cette modernisation n’est-elle pas en route de manière significative ? La peur n’est pas une excuse de l’oisiveté, qui déjà angoissait Keynes, n’est pas à l’ordre du jour si le pacte social évolue de manière à proposer aux citoyens de réorienter le temps rendu disponible par les robots dans des activités dédiées au développement du patrimoine commun immatériel.

 

Les salariés du privé ont été acteurs puis victimes de la modernisation de l’appareil productif. Croire que la fonction publique puisse être épargnée est une illusion dangereuse au regard de la compétitivité des nations qui nous entourent.

Il faut donc aborder la modernisation autrement : déstresser avec l’emploi tel que nous l’avons stabilisé durant l’ère industrielle, admettre que nous ne sommes plus à l’ère industrielle et donc revoir le pacte social en conséquence ainsi que les mécanismes de récompense. Nous n’avons pas le choix.

Les débats sur le revenu de base et sur les monnaies complémentaires s’imposent dans la réflexion sur un autre modèle de société, basé sur la recherche de l’efficacité globale.

 

« La France à tout pour réussir » répète inlassablement BFM Business. Eh bien, non, elle a de très gros handicaps : la puissance de ses institutions.

Elles ont été notre force. Il ne s’agit pas de les faire exploser car elles doivent continuer à assurer leurs missions durant la décennie de transition que nous allons vivre.

Le retard que nous avons pris peut même être l’occasion d’éviter les innovations intermédiaires !

Les citoyens comprennent la situation et écoutent les propositions. Une prime sera donnée aux candidats qui expliqueront à leurs électeurs la manière dont ils envisagent de traiter ces projets exaltants et une sanction sera donnée à ceux qui dramatisent cette réalité sans offrir de perspectives crédibles. Mais pour que leurs propos soient appréciés à leur juste valeur, les médias doivent être pédagogiques. Enfin, les électeurs doivent réfléchir et agir : parler entre eux et s’impliquer dans les partis politiques et aller voter.