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Harari, un historien, pas un futurologue

Yuval Noah Harari est un historien qui mérite son succès. Son livre Sapiens, une brève histoire de l’humanité est un succès parce qu’il raconte une histoire, notre histoire. Son livre permet de se faire une idée de ce qu’il s’est passé il y plus de 100 000 ans. Avec lui, nous faisons le parcours de celui qui explore sa généalogie : le temps que nous y consacrons nous permet de nous comprendre nous-même.

Nombreux sont ceux qui attendaient la suite. Mais, la suite ne relève pas de l’histoire, mais de la futurologie.

 

Encouragé par ce succès, nombreux sont ceux qui ont demandé la suite. Mais, la suite ne relève pas de l’histoire, mais de la futurologie.

 

La futurologie pose la question suivante : à quoi ressemblera le monde lorsque les hommes et les femmes qui font tourner la vie sociale et économique auront passé les manettes à leurs enfants, puis à leurs petits-enfants puis à leurs arrières petits-enfants ?

 

Le futurologue esquisse le monde à venir, celui où les traumatismes de l’histoire ont trouvé une forme d’apaisement ou, au contraire, une dynamique de revanche, celui où les secrets douloureux ont été percés ou se sont délités, celui où les bonnes et les mauvaises stratégies ont montré leur réelle valeur, celui où les effets d’engouements se sont estompés au profit des usages communs … etc.

Mais surtout, la futurologie s’intéresse à la trajectoire de l’évolution. Elle consacre une part importante de son attention au passé. Les historiens nous disent ce qu’il est arrivé, les archéologues et les anthropologues nous disent comment cela s’est passé. Le futurologue s’intéresse au processus qui a amené ces faits plutôt que d’autres.

La futurologie nécessite donc de connaître le passé, et sur ce point-là, à propos de Homo Deus, il n’y a rien à dire. Bien au contraire.

Mais le futur n’est pas seulement une affaire d’historiens, d’anthropologues et d’archéologues. Il est aussi une affaire d’économie, de géopolitique et de géographie.

De plus, pour éclairer le futur, il faut aussi s’intéresser aux orientations scientifiques et aux stratégies qui les sous-tendent. Car l’homme cherche à résoudre, en priorité, les problèmes qu’il perçoit et auxquels il y consacre des moyens.

Le futurologue n’élucubre pas sur les divagations de quelques penseurs rendus visibles à travers les médias et les systèmes éducatifs. Il s’intéresse au sens de la vie qui tôt ou tard s’impose, car les systèmes qui menacent le bienêtre des populations finissent par s’effondrer.

 

La mutation de notre vision du monde

Le changement de civilisation que nous vivons est guidé par notre nouvelle manière de voir le monde.

Nous ne savons toujours pas répondre aux questions existentielles, mais nous prenons conscience que notre plaisir à vivre n’est pas dans le consumérisme mais dans le développement l’estime de soi, celle que nous développons en faisant le bien, en réalisant de beaux projets ou encore en offrant à la communauté quelques progrès durables.

Pour cette raison, nous voulons consacrer le moins de temps possible aux tâches dangereuses, fastidieuses, fatigantes ou encore trop complexes. Alors, nous développons les machines qui le font à notre place. Et parce que nous avons définitivement admis que les ressources de notre planète ne sont pas illimitées, nous voulons que ces machines économisent nos ressources.

Nous nous réservons les tâches créatives, décisionnelles et empathiques. De ce fait, nous devenons des boulimiques du talent et des savoirs. Nous voulons réussir nos vies, pas devenir des dieux !

 

Nouveau libéralisme ?

Yuval Noah Harari nous parle d’un nouveau libéralisme, mais celui qu’il décrit n’est que le prolongement du libéralisme qui a fait émerger les GAFA (M) et qui a suscité le développement des BATX (chinois). La société qui en résulte accentue son défaut congénital : la concentration de la classe qui détient les capitaux et donc les robots. Tout heureuse de se sentir maître du monde, cette classe rêve d’immortalité, ce qui en dit long sur la dégénérescence de sa pensée philosophique.

Certes, le libéralisme donne l’impression d’avoir gagné sur le [socialisme / communisme], mais là n’est pas la question. Le dernier épisode de l’histoire de l’Humanité a été la sortie de l’ère agraire pour entrer dans l’ère industrielle, ce qui a posé un problème nouveau : la protection des marchés au-delà de la protection des terres.

Le communisme a échoué parce qu’à l’époque où il a été expérimenté, les outils de gouvernance et les technologies dont il aurait eu besoin n’étaient pas disponibles. Faute de mieux, les dirigeants se sont radicalisés pour ne pas perdre la face.

Lorsque le libéralisme s’est imposé, le problème a été énoncé auprès du public en termes de répartition de la richesse, ce qui a biaisé le débat : les industriels ont besoin d’êtres humains de plus en plus cultivés, quel que soit le modèle politique en vigueur. Mais à présent, le public prend conscience que ce n’est pas le capital qui crée la richesse, mais la culture, la créativité et l’audace. Ce sont ces valeurs qu’il faut protéger et elles appartiennent au bien commun.

Le libéralisme a permis à une nouvelle classe sociale de relayer les privilèges qui étaient détenus par les nobles. Ces libéraux ont mobilisé leurs troupes autour du slogan « le bien-être pour tous grâce au progrès technique ». Nous allons inexorablement passer au slogan suivant : « l’accomplissement de tous grâce au progrès sociétal ».

 

La société organique

Ce  n’est pas le libéralisme qui va faire cette transition parce qu’il n’est pas adapté au nouveau design de la société : nous quittons la structure hiérarchique pour aller vers la structure organique. La nature ne connaît pas la structure hiérarchique. Elle ne connaît que la structure organique, c’est grâce à elle qu’elle s’adapte en permanence.

De fait, la véritable innovation qui nous transforme, c’est la notion de réseau. L’électricité puis les télécoms se sont véritablement développées autour de la notion de réseau. À présent, notre tissu entrepreneurial se renouvelle autour de cette notion de réseau : fini les grandes entreprises dans lesquelles les générations montantes ne veulent plus travailler. Bonjour les petites structures à taille humaine où chacun donne le meilleur de lui-même parce qu’il est apprécié pour ce qu’il apporte et parce que sa société se développe autour de ce qu’elle apporte de positif à son environnement.

Le terme « libéralisme » ne convient plus. Un terme va émerger prochainement dans la bouche des milléniums, ceux qui ont pris peur en voyant leurs parents consommer avec insouciance et rempli leurs poubelles avec désinvolture, au point de menacer la planète. Ils ne veulent à aucun prix de ce modèle de société qui, certes, accorde une retraite à leurs parents, mais sans programme social, cette retraite se termine dans l’exclusion pudique et désespérante.

 

Liberté… de collaborer !

Nous ne faisons pas des progrès pour le devenir des dieux. Nous faisons des progrès pour nous libérer, non pas de la contrainte des autres, mais des vicissitudes de la vie quotidienne, de manière à nous élever nous-même.

Nous comprenons plus finement le monde qui nous entoure et nous voulons y prendre notre place de manière plus subtile. À travers ce challenge, nous acceptons toujours plus de complexité. Sans les machines, nous ne pouvons pas le faire.

L’IA (Intelligence Artificielle) a été appelée ainsi pour induire l’idée que nous donnons de l’intelligence à nos machines pour qu’elles puissent faire certaines tâches que nous ne voulons ou ne pouvons pas faire.

L’IA n’a pas pour vocation de remplacer l’homme. Elle ne va pas non plus rendre l’homme meilleur. Elle exécute bêtement les tâches qui lui sont confiées. Si ces tâches correspondent à de mauvaises intentions, ce n’est pas elle qui est en cause, mais l’homme. Si les directives sont mal données, c’est l’homme qui est en cause. Le chantier des responsabilités devient urgent. Nous pourrions commencer par créer un ordre des informaticiens.

 

Au fur et à mesure que l’IA s’immisce dans nos vies, nous devons accorder une place croissante aux lanceurs d’alerte. En effet, dans notre univers, tout bouge sans cesse et la matière vivante doit s’y adapter ou disparaître.

Nos systèmes doivent donc s’y adapter, ce qu’ils ne peuvent pas faire spontanément. L’homme doit donc veiller sans cesse à cet ajustement. Vu les difficultés que nous avons à ajuster nos lois et nos normes, l’affaire s’annonce compliquée … À moins d’institutionnaliser le mécanisme dual de la vicariance et de la simplexité telle que la pratique la nature pour faire évoluer les espèces. Vaste chantier !

 

 

Homo connecté, c’est déjà pas mal…

Avec les machines, l’homme décuple son potentiel. Il peut se lancer dans des projets toujours plus complexes et rapides. Mais pour pouvoir le faire, il faut conjuguer de plus en plus de talents et de savoirs variés. Ainsi, l’homme devient de plus en plus dépendant de ses congénères. C’est la raison pour laquelle il se connecte à toutes sortes de réseaux car il devient lui-même multiréseau.

Si au début du siècle dernier, chacun se caractérisait par ses origines géographiques, sociales, religieuses et politiques, nous commençons à être mobiles sur tous ces plans-là :

Mon grand-père avait un métier, mon père a eu 7 jobs, moi j’en ai 7 en même temps !

C’est parce que nous sommes de mieux en mieux connectés que nous commençons à maîtriser l’intelligence collective. Sans elle, le pire devient certain : les machines, sans le contrôle des hommes, enferment les hommes et bloquent la vie.