Local c’est « chez soi »

Mais c’est où « chez soi » ?

 

« Chez soi » c’est sa maison, son quartier, sa ville.

Mais « chez soi » c’est aussi cette montagne, cette mer, cette plaine

Où l’on se sent le seul habitant sur terre

 

C’est où « chez soi » ?

 

« Chez soi » c’est avant tout un espace et un temps

 

Un espace où je me sens moi-même

un espace où j’enlève mes masques et mes étiquettes

un espace où je peux me mettre à nu.

 

Un espace, et un temps

Le temps de l’ordinaire

Le temps qui rythme mon quotidien

Mais aussi le temps de l’extra-ordinaire

Le temps de l’unique et de l’exceptionnel.

 

« Chez soi » c’est un espace et un temps.

 

Et « chez soi » c’est aussi des racines et des ailes

 

Des racines, mes racines

Mon histoire, mon passé, mes origines

Mes blessures, celles qui ont cicatrisé

Et celles qui restent toujours à fleur de peau

Et mes joies,

Ces moments toujours éphémères

Mais qui me marquent pour toujours.

 

Mes racines, et mes ailes

Mon horizon, mon avenir, ma boussole

Ce qui me tire vers l’avant

Mes utopies, mes rêves, mes illusions

C’est l’ailleurs qui me permet ici, d’à aller toujours plus loin.

 

« Chez soi » c’est des racines et des ailes

 

 

Et « chez soi » c’est aussi moi et les autres.

 

Moi, ma solitude,

non pas celle que je subis, mais celle que je choisis

Mon désert,

non pas celui où l’on me chasse, mais celui où je m’en fuis.

 

Et les autres

Ceux qui m’ont donné  la vie

Et surtout, ceux qui m’ont donné envie de vivre

Mais aussi, ceux qui m’ont donné la mort

Ceux qui m’ont profondément blessée

Car c’est grâce à eux qu’on apprend à renaître.

 

Le local c’est « chez soi »

Et « chez soi » c’est

Un espace et un temps

Des racines et des ailes

Moi et les autres

 

Car le local, c’est-à-dire le « chez soi »

Se définit moins par ce qui lui est propre,

Que par sa relation avec ce qui lui est étranger.

 

Le local, c’est-à-dire le « chez soi »

C’est moins les murs de ma maison

que la manière dont ma maison me permet d’habiter le monde

c’est une relation plus qu’un lieu

c’est une tension plus qu’un état

c’est un mouvement plus  qu’une appartenance.

 

Le local n’est pas ce qui reste mais ce qui bouge

Le local n’est pas ce qui se reproduit à l’identique

Mais ce qui se renouvelle en permanence

Le local n’est pas ce qui est figé une fois pour toutes

Mais ce qui me permet d’être toujours en mouvement

 

Le local c’est le terreau qui me rend créateur

C’est le humus qui me permet de me développer

C’est le composte qui me fait naître et renaître en permanence.

 

Or le terreau, le humus, le composte

Sont composés d’autres êtres vivants,

Des plantes, des animaux, des bactéries

Qui se décomposent et se recomposent

Qui se désagrègent et se rassemblent

Qui meurent et qui renaissent

Et qui produisent ainsi de la vie et de l’énergie vitale.

 

Le local ce n’est pas la terre qui me fige

Mais la terre qui me rend vivant

Et pour rendre vivant

Comme le terreau, le humus, le composte

Il faut de la biodiversité

Il faut du même et du différent

Il faut d’ici et d’ailleurs

 

C’est pourquoi un territoire qui n’a que des « autochtones »

Risque de mourir de rigidité

C’est pourquoi une institution qui n’accepte pas la différence

Risque de s’engourdir dans l’uniformité

C’est pourquoi une communauté qui se replie sur elle-même

Risque de s’étouffer.

 

Jean-Jacques l’avait compris, mieux que nous tous, ou en tout cas, mieux que moi

Jean-Jacques est une de ces personnes qu’on appelle « handicapé mental »

Il vit dans une de ces communautés qu’on appelle des communautés de l’Arche

Ce sont des communautés où cohabitent des personnes avec handicap mental

Et des personnes dites « normales ».

L’Arche m’avait demandé d’aller rencontrer des personnes de leurs communautés

pour leur parler du développement durable

Vous savez, ce développement qui permet de faire  durer la vie sur terre.

Je suis allée et j’ai commencé par  leur demander

ce qui signifiait pour eux le développement durable.

Et c’est Jean-Jacques qui a répondu le premier

Et il m’a dit :

« avant dans ma communauté on avait un seul poste de TV

maintenant on a acheté une TV pour chaque chambre.

Développement pas durable ! Développement pas durable ! »

J’ai essayé de comprendre ce que Jean Jacques voulait me dire

Et je lui ai donc demandé :

« tu veux dire que plusieurs postes de TV

consomment plus d’énergie qu’un seul poste ? »

Et Jean-Jacques me répond :

« Non, non, non !!!

Avant, après dîner, on allait tous ensemble regarder la TV

Maintenant, après dîner, chacun va dans sa chambre.

Communauté pas durable ! Communauté pas durable ! »

 

Jean-Jacques avait tout compris

Il avait compris que ce qu’il y a à faire durer sur terre

Ce n’est pas tellement la matière

Mais plutôt l’énergie vitale

Et que l’énergie vitale c’est de l’énergie physique

Mais c’est surtout de l’énergie relationnelle.

 

Jean-Jacques avait compris que sa maison, son « chez soi »,

Avait besoin d’objets pour vivre bien

Mais que la vocation ultime des objets

N’est pas celle de satisfaire des  besoins

Mais plutôt celle de relier les personnes.

 

Jean-Jacques avait compris qu’un local qui devient « chez soi »

C’est un lieu qui protège et qui expose

C’est n lieu qui place et qui déplace

C’est un lieu qui rassure et qui dérange.

 

Jean-Jacques avait compris que le « chez soi » qui rend vivant

Est celui où l’individu se construit, non pas « contre » les autres

Mais « avec » les autres

Dans une tension permanente et féconde

Qui transforme sa maison en « maison commune »,

Son « chez soi » en « chez nous ».

 

Voilà comment j’interprète ce que je crois que Jean-Jacques voulait me transmettre

Et que je partage aujourd’hui avec vous :

Que le local n’est pas un patrimoine à sauvegarder

Mais une terre à habiter et féconder ensemble.