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« Le bien-être pour tous grâce au progrès technique »

Au 19ème siècle en Europe, la machine à vapeur permet l’extraction du charbon à grande échelle. La métallurgie et bien d’autres innovations la font entrer dans l’ère industrielle. Le slogan : "le bien-être pour tous grâce au progrès technique" rassemble les énergies de la population et les financiers s’organisent pour concrétiser cette opportunité.

En un siècle, l’Europe sort de l’ère agraire, centrée sur la terre, les classes sociales et la gouvernance duale Église - Etat. Le point de passage d’une ère à l’autre est violent : c’est le temps de la Révolution française, mais aussi du remembrement qui pousse les paysans vers les villes… etc.

Le capitalisme qui émerge est basé sur la liberté d’entreprendre, par opposition à l’ancien modèle où chacun devait demeurer dans sa classe sociale pour faciliter la transmission des savoirs et des outils et des réseaux.

Malheureusement, la transmission du savoir demeure une affaire de classe sociale car former des ingénieurs coûte cher et constitue un facteur de souveraineté. Les lycées prestigieux sont des bâtisses solennelles, celles des banques deviennent des bâtisses qui en imposent. Une classe sociale, la bourgeoisie s’y installe.

Les rois disparaissent ou voient leur rôle recentré en tant que garant de la souveraineté. La démocratie s’installe. Elle est représentative, c’est-à-dire que les citoyens élisent leurs représentants et n’ont plus rien à dire durant toute la durée du mandat de leur représentant. Il faut savoir lire et écrire pour être élu. La bourgeoisie profite de cet avantage… Qui rend très imparfait et donc instable ce mode de gouvernance.

Aujourd’hui, le parlement s’ouvre tout doucement à des citoyens venus d’horizons variés, mais la rigidité du système de représentativité n’est pas satisfaisante. D’autres formes de démocraties sont à expérimenter pour devenir plus organique (du local au global et non l’inverse).

 

La centrifugeuse de capitaux

Mais le capitalisme possède aussi des défauts. En particulier, il est basé sur le toujours plus : première bévue. Il part du principe que l’homme est égoïste. Il est un animal affectif, même s’il peut devenir féroce dans certaines circonstances. Le capitalisme prospère en cultivant la cupidité. Le management qu’il suscite est clivant, ce qui n’incite pas les hommes à coopérer.

Avec la complexité croissante de systèmes, l'expertise se popularise et la coopération devient indispensable, ce qui remet en cause les mécanismes de répartition de la richesse et donc le capitalisme et la démocratie.

 

Sur le long terme, le capitalisme concentre la richesse et éparpille la pauvreté, en application de l’adage : « On ne prête qu’aux riches » : seconde bévue.

La vie ne fonctionne pas ainsi : les géants finissent toujours par mourir : trop gros et trop spécialisés pour vivre dans l’environnement qui leur est favorable, ils périclitent lorsque l’environnement change, or, dans le cosmos, tout change sans cesse. C’est la vie !

Les institutions se mettent à favoriser le capitalisme qui favorise à son tour les nouveaux créateurs de richesse et donc de puissance, c’est-à-dire la « bourgeoisie ». Les nobles n’y trouvent pas trop leur place. Les autres classes sociales sont soumises, particulièrement celles qui sont au bas de l’échelle. Elles se battent avec une force inouïe et finissent par obtenir une protection qui va servir de stabilisateur social et politique. Une large « classe moyenne » se met en place, abritée sous ce pacte social.

 

Entre voisins, on ne se bat plus pour des terres, mais pour les minerais. Cette puissance industrielle enfante la dernière guerre mondiale. Cette guerre met en évidence l’idée que la guerre militaire ne peut plus être une manière de s’imposer à ses voisins. Les guerres financières et d’influence sont plus pertinentes.

 

Du soft power américain aux GAFA (M)

Entre-temps, les États Unis ont pris leur envol et ont tiré avantageusement leur épingle du jeu de cette guerre. Ils en profitent pour faire de l’Europe un protectorat, un marché pour écouler leurs marchandises, et, à l’occasion, un laboratoire de soft power. Les romains avaient montré la voie… Les Américains ont actualisé les outils et décuplé son efficacité. Les salles de cinéma sont envahies par les films qui racontent la bravoure des cow-boys érigés en modèle de société entreprenante.

Cependant, entreprendre sur une terre vierge ou entreprendre sur une terre humanisée depuis plus de 30 000 ans n’a rien à voir. La notion de crédit aux États Unis n’a rien à voir avec le crédit façonné depuis plus de 10 000 ans en Europe. Même en franglais, on ne se comprend pas vraiment…

Avec les GAFA (M), la puissance du soft power devient écrasante. Le commerce local, l’appareil industriel, la presse ou encore la démocratie se délitent puisque via le numérique la création de richesse, sa distribution et sa consommation deviennent immatérielles. Le système fiscal se détraque.

La finance, elle aussi numérisée, devient hors contrôle et absurde.

Ce soft power américain œuvre en profondeur pour imposer sa puissance. Il capte la création de richesse européenne : ses talents, ses savoir-faire, ses startups… il le fait en façonnant la mentalité des décideurs et en tissant une industrie puissante qui développe une offre cohérente et dynamique à laquelle il semble impossible d’échapper.

L’Europe semble démunie en raison de son organisation inappropriée pour constituer un espace géopolitique stratège. Elle ne parvient pas à se protéger et encore moins à construire un projet mobilisateur. Sa monnaie unique, dont la gouvernance est dépourvue stratégie économique cohérente, ne fait qu’accentuer les crises d’un pays à l’autres.

 

C’est en forgeant que l’on devient forgeron

Dans le même temps, le capitalisme enfante une forme de mondialisation qui prétend répartir l’activité humaine, non plus selon les classes sociales mais selon la zone géographique : au nord, on conçoit et on consomme, au sud, on produit et on pollue. à travers cette stratégie, le savoir-faire occidental se repend à travers la planète et l’industrie occidentale se délite. Troisième bévue.

L’industrie européenne s’appauvrie en ressources énergétiques propres. C’est le temps des fous qui veulent des entreprises sans usines ou qui se ventent d’acheter des panneaux solaires subventionnés par les chinois. L’idée peut sembler bonne idée point de vue financier et clientéliste sur le plan politique. C’est une catastrophe pour la souveraineté économique. Une entreprise est un espace de vie circulaire d’où la production ne peut être isolée du marketing, du bureau d’études et du service client.

En « offrant » l’exploitation de sa population au profit des entreprises occidentales, les chinois, et dans leur sillage l’Asie, captent le savoir-faire, selon l’adage évident : « c’est en forgeant que l’on devient forgeron » : par la pratique, on acquiert du savoir et des idées et, in fine, du bon capital, celui que l’on fabrique soi-même.

La vraie richesse sur le long terme sourit à ceux qui ont des projets et qui font fructifier leurs connaissances, leurs talents et leurs capacités d’initiatives, en composant avec ce dont ils disposent physiquement et géographiquement.

 

Ainsi, le capitalisme européen historique touche à sa fin. Il perd sa crédibilité parce qu’il met en évidence une dernière bévue : l’argent est un fluide qui favorise les activités humaines. Ce n’est pas une marchandise. C’est un bien commun qui se gère au mieux des intérêts de la communauté et non au profit de ceux qui ont pour tâche de le gérer.

 

Bizarrement, l’opinion retient que le capitalisme n’a pas anticipé ni résolu les problèmes environnementaux et démographiques qui nous menacent. Ces problèmes ont pour sous-jacent la crise du capitalisme (basé plus sur le « toujours plus » que sur le « toujours mieux ») et de la démocratie qui persiste à céder au chantage à l’emploi et à quelques autres chimères issues d’une époque qui n’existe plus.

 

Du consumérisme au bien collectif

Cette crise arrive de manière concomitante à un désir chez les citoyens de changer de priorités : la conscience du bien commun et de l’avenir. Les générations montantes veulent donner du sens à leur vie.

Elles savent que la consommation apporte quelques petites satisfactions immédiates alors que susciter de la gratitude auprès de son entourage apporte une satisfaction plus profonde, plus durable et plus constructive. C’est la raison pour laquelle elles veulent contribuer au bien commun.

Le capitalisme a été conçu pour permettre au plus grand nombre de contribuer à la production et donc à la consommation de biens et de services destinés à la satisfaction de nos besoins primaires. À présent, nous devons nous atteler à enrichir ce modèle de manière à ce qu’il nous permette de contribuer aussi au bien commun. C’est sur ce point que nous devons innover.

La santé, la justice, l’innovation, la démocratie, la culture nécessitent désormais toute notre créativité et notre attention car nous aspirons à une vie plus mature. Le bénévolat ou le volontariat ne constituent pas une réponse durable.

Le numérique peut et doit être mis au service de ces nouvelles aspirations : moins de tracas avec néanmoins une gestion plus efficace. Plus de temps à consacrer aux hommes et aux idées… etc.

Déjà la monnaie se numérise et commence à sortir de son craquant institutionnel. Les citoyens rejettent la démocratie représentative et comptent s’impliquer dans d’autres formes de démocraties via le numérique, même si les outils actuels sont inappropriés car dénués de souveraineté.

Le numérique qui tue les emplois tels que nous les avons connus durant le siècle précédent devient un outil pour fabriquer notre nouveau vivre ensemble. Dans ce vivre ensemble, la place des satisfactions liées à « l’estime de soi » va y jouer un rôle privilégié puisque, contrairement aux satisfactions primaires, de l’estime de soi se fait au profit de la communauté.

 

La Chine inquiétante et stimulante

La perte de confiance dans les gouvernants stimule le débat et permet l’émergence d’une nouvelle vision du monde. Reste à trouver le leader qui va porter la construction d’un plan de sortie de crise et de construction d’un nouveau monde que nous voulons.

Les chinois ont métamorphosé leur pays en moins de 50 ans avec, certes, des crises et des erreurs. Ils se sont inspirés du modèle occidental, ils n’ont pour le moment pas abordé la phase qui est la nôtre.

La situation que nous vivons en Europe est nouvelle pour l’humanité. Nous devons faire évoluer l’idée que nous nous faisons du capitalisme de manière à ce qu’il soit capable de cohabiter avec un autre système qui favorise notre désir de développer de « l’estime de soi » en contribuant au bien commun : la famille, le savoir, l’innovation, la démocratie et la spiritualité.

Nous devons être créatifs par nous-même faute de quoi nous allons vivre une nouvelle domination : l’organisation dont les chinois se dotent actuellement vise à façonner un continent eurasien au profit de l’empire du milieu.

L’Europe et l’Asie sont les territoires dont les civilisations sont les plus anciennes. Elles sont différentes. Elles doivent le rester pour préserver la capacité d’évolution de l’humanité.