La problématique

La médiation est une méthode de résolution de conflit à travers un rapprochement progressif des points de vue des protagonistes. Ce rapprochement est mené par un tiers reconnu par les parties. Cette méthode est basée sur l’écoute et la capacité à décoder les biais cognitifs et émotionnels qui entravent la recherche d’une résolution optimisée du conflit, c’est à dire au mieux des intérêts en présence et des lois en vigueur.

Les conflits entre les citoyens et l’administration, revêtent un caractère particulier en raison de l’asymétrie des relations.

Dans la période de mutation sociétale, les conflits se multiplient et se complexifient en raison des effets de plus en plus systémiques des incidents subits par les citoyens.

Exemple extrême : en cas d’usurpation d’identité, le citoyen est poursuivi pour des méfaits qu’il n’a pas commis et pourtant, l’administration est fondée à le sanctionner.

Exemple plus banal : les citoyens sont engagés dans des dépenses contraintes dont ils ne peuvent se libérer aisément à la suite d’un accident de la vie, ce qui entraîne une enfilade de problèmes qui ne font que s’aggraver les uns les autres.

Il faut atteindre un certain niveau de gravité avant d’avoir accès aux services sociaux. C’est dans ce cadre que la médiation administrative a un rôle à jouer, mais pour le moment, elle n’a pas trouvé sa juste place dans le système.

 

Changement d’époque, changement de modes de gouvernance

La vie est un processus continu d’essais-erreurs qui tente d’aller du plus près de la matière vers le plus près de la spiritualité. Tout ce qui ralenti ce processus est mortifère, à terme.

Nous savons à présent que la vie ne se met pas en équation. Elle nécessite une gouvernance évolutive, adaptée à sa complexité systémique. Rendre notre gouvernance plus évolutive constitue notre challenge face à la mutation sociétale que nous devons prendre en compte pour demeurer une nation éclairée et donc attractive.

 

Si en 1964 le Club de Rome a alerté les Hommes sur l’incohérence d’une gouvernance basée sur la croissance dans un monde fini, Soljénitsyne, en 1978, a alerté l’Occident sur les dangers du légalisme qui fige la vie.

 

Nous terminons l’ère de la sédentarisation, dont le dernier chapitre est l’ère industrielle. L’ère industrielle naît au 18ème siècle en Europe avec la découverte du charbon et d’une nouvelle forme de finance qui permet de grands projets. Les grands acteurs de cette période se sont révélés capables de sortir une part importante de la population de la pauvreté. Mais à présent, les priorités changent et la pauvreté regagne du terrain. L’Europe, première zone géopolitique à devoir sortir de cette tranche de notre Histoire, doit innover à nouveau.

La sédentarisation, c’est la possibilité de créer des objets et des monuments, mais c’est aussi la lutte contre la nature. La lutte contre la nature, c’est la crainte de manquer. Les générations montantes ne partagent pas cette obsession car elles sont convaincues que nous allons nous parvenir à satisfaire les besoins primaires du plus grand nombre en adoptant de nouvelles manières de produire et de consommer. Avec le temps ainsi libéré, elles veulent développer le bien commun car ce type d’activité permet de développer l’estime de soi, c’est-à-dire des plaisirs plus durables de ceux obtenus dans le consumérisme. Elles ont de nouvelles priorités qui nécessitent une gouvernance non plus basés sur la coercition, mais sur la coopération.

En effet, l’économie[1] que nous commençons à développer est de plus en plus immatérielle qui n’est plus basée sur la force physique. La compétitivité des nations se joue désormais sur leur capacité à enraciner des savoirs et à rassembler les talents. Ceci passe par l’attractivité. L’attractivité ne passe par une gouvernance efficace et évolutive.

Les entreprises sont déjà engagées dans cette forme de compétitivité. C’est la raison pour laquelle elles abandonnent indirectement la notion de hiérarchie au profit de gouvernances basées sur la coopération et plus précisément sur le mode organique[2]. Ces formes d’organisation gagnent l’ensemble des organisations des agents économiques, ce qui fait que les citoyens comprennent de moins en moins les systèmes autoritaires.

 Néanmoins, cette mutation ne va pas de soi. La notion de hiérarchie est presque aussi vieille que l’Homme lui-même.

Les romains ont franchi une étape en voulant gérer une zone géographique immense au regard des moyens de l’époque. Ils ont notamment instauré le droit romain qui nous inspire encore aujourd’hui.

cependant, nous sommes loin de l’époque où il était possible de gouverner avec seulement 10 commandements. Le légalisme rampant dénoncé par Soljénitsyne menace notre cohésion.

 

Avec l’invasion de l’immatériel dans notre civilisation et le développement des effets systémiques qui en découlent, les textes, toujours plus complexes, ne parviennent pas à assurer à chacun le juste respect de ses droits ni à accomplir en toutes circonstances ses justes devoirs. De fait, il est possible, au plus honnête d’entre nous, de se trouver dans une situation inextricable.

Ceci est d’autant plus difficile à gérer que, pour faire face à la complexité, nous avons pris l’habitude de gérer les problèmes en silo.

Ceci conduit à des situations mal vécues tant par les administrés que par les administrateurs et cause des dégâts à terme sur l’attractivité. Dans l’immédiat, cela démotive les agents, désespère les citoyens et entrave les possibilités de progrès. Cela génère des coûts de plus en plus élevés (voir rapport France Stratégie).

 

La porte de sortie

Nous devons donc nous tourner vers une nouvelle approche qui consiste à développer des « couloirs » de traitement des problèmes complexes ou susceptibles de le devenir, sur le modèle des services d’urgence dans les hôpitaux.

La médiation administrative s’impose comme la voix la plus prometteuse. Toutes fois, elle ne peut être confiée à des personnes à qui la nation ne témoigne pas de reconnaissance (bénévolat) et à qui elle ne donne pas de moyens appropriés, ni de réelle légitimité en quantité suffisante. Dans ce contexte, l’engagement reste faible et la confiance encore plus.

Les médiateurs sont appelés à prendre une place croissante dans les mécanismes de gouvernance. Comme toujours lorsqu’une nouvelle expertise apparaît, les résistances des expertises déjà établies se conjuguent pour freiner le progrès, même lorsqu’elles déplorent par elles-mêmes que le système ne convient plus à l’époque.

La mutation doit se faire en offrant aux experts établis dans l’ancien système des possibilités d’évolution. Bien entendu, cela débouche sur les échecs puisque les qualités requises ne sont plus les mêmes, tout comme la préparation mentale. Néanmoins, par ce biais, il est possible de faire émerger de nouveaux talents qui deviennent des références.

Les spécialistes du changement connaissent bien cette approche couramment appliquée dans le monde de l’entreprise. Elle permet d’introduire de la nouveauté dans la continuité consentie.

Les entreprises ont mis un certain temps à comprendre que les secrétaires et les hôtesses d’accueil jouaient un rôle bien plus important que celui des bouquets de fleurs qui ornent leur comptoir.

La médiation est appelée à être confiée des hommes et des femmes formés et dotés de marge de réelles manœuvres, mais aussi capables de rendre des comptes afin de contribuer à l’évolution des outils de gouvernance puisqu’elles sont destinées à consacrer du temps aux dysfonctionnements de toutes, sortes révélées par le système composé d’Hommes, de robots, de procédures et de textes réglementaires.

 

Modalités pratiques

Pour le moment, notre économie n’est pas outillée pour prendre en charge correctement cette évolution. Elle ne reconnaît que les activités productives. Elle laisse les activités contributives[3] au volontariat et au bénévolat, c’est-à-dire sans forme de reconnaissance. Quant aux activités empathiques[4], elle les finance à travers les revenus fiscaux qui ne sont pas extensibles et largement absorbés par l’ancien système qui s’enlise.

Or, ces deux types d’activités s’inscrivent au cœur de l’attractivité dont notre compétitivité a besoin. Le problème commence à être identifié, néanmoins l’évolution de notre système économique dans ce sens va nécessiter plusieurs générations pour atteindre sa maturité.

 

La situation peut sembler désespérée, sauf à prendre en compte la réalité de « la première retraite[5] ». De même que la médiation est une source de réduction des coûts liés aux dysfonctionnements sociaux et administratifs, la possibilité de donner une seconde vie sociale aux retraités primaires constitue une opportunité de ramener les parcours de vie à la réalité[6]. Ceci représente de nombreux avantages, dont le maintien en forme d’une frange de la population tentée de se laisser aller ou de se sursoigner.

En raison du vieillissement de la population, nous disposons d’un nombre suffisant de citoyens en période 4 et 5 de leurs parcours de vie qui sont capables, avec une préparation et un encadrement approprié, de prendre en charge cette belle fonction de médiation, surtout si la promesse de contribuer à l’amélioration du système de gouvernance est réelle. Cette frange de la population est riche des expériences de la vie et désireuse de se rendre utile.

Les médiateurs actuels sont déjà issus de cette population. L’innovation consiste dans la préparation, les marges de manœuvre, l’encadrement et la contribution au progrès.

 

Ainsi, les forces existent en quantité et en qualité. Reste à imaginer les modalités de récompense pour consolider la nécessité d’engagement qui leur est demandée.

En 2016, la ministre Myriam El Komri a mis en route le dispositif CPA[7] qui constitue précisément une amorce de cette forme d’économie dédiée aux tâches contributives et empathiques. Il s’agit d’accumuler des points de type « tickets-restaurants » que les collectivités locales peuvent convertir en titres de transport, accès à la culture et à toutes sortes d’avantages à caractère non marchand.

Cette piste informelle amorce la réorientation de notre pensée économique. Elle incite à la créativité et surtout elle permet de libérer l’énergie des créatifs sociaux qui rongent leur frein ou libèrent leur énergie dans des actions peu efficaces.

Bien entendu, tout ceci ne repose que la confiance dans les Hommes et leur capacité à inventer leur futur sitôt qu’on leur en donne la possibilité. Les Hommes qui font bouger le monde savent qu’il faut oser et faire confiance.

Les citoyens comprennent qu’une mobilisation générale est requise actuellement pour pouvoir à nouveau promettre à nos enfants de vivre dans un monde meilleur. Il faut simplement créer les conditions de canalisation des énergies comme

 

[1] Economie circulaire, de la fonctionnalité et servicielle.

[2] dans notre corps, aucun organe ne gouverne tous les autres, mais tous coopèrent

[3] Famille, savoirs, innovation, démocratie et spiritualité.

[4] Résolutions de conflits sanitaires, sociaux, familiaux, financiers, économiques …

[5] Ceci concerne les pré-retraites et les retraités encore proche de la vie active et désireux de ne pas s’en couper (phase 4 et 5 des « temps de la vie »).

[6] 1/je nais, 2/j’apprends, 3/j’ai envie de faire, 4/j’ai envie d’innover, 5/j’ai besoin de transmettre, 6/j’ai besoin de faire la paix autour de moi.

[7] Compte personnel d’activité.