Pour un futurologue, l’évolution de la vie sur terre va du plus près de la matière au plus près de la spiritualité. La vie est plus forte que la mort. Le duel « matière / spiritualité » est théoriquement en chacun de nous mais aussi inscrit dans la trajectoire de l’évolution de l’Homme.

L’ère industrielle se termine avec le consumérisme qui s’est imposé aux dépens de la spiritualité. Les générations montantes ne parlent pas massivement de spiritualité, mais d’éthique, ce qui est relativement normal car les religions sont elles-mêmes en crise. Longtemps détournées à des fins de jeux de pouvoir, elles doivent retrouver leur place dans la société avec des messages plus matures et des rites plus réalistes, au regard de l’avancement des connaissances concernant la vie, l’infiniment petit et l’infiniment grand.

L’Homme entre dans une nouvelle phase de son évolution. Il possède un cerveau capable d’agréger un grand nombre d’informations pour prendre des décisions. Avec cette capacité complexe et souvent biaisée, il tente de se représenter une réalité. Malheureusement ce n’est qu’une facette de la réalité. Alors il imagine ce qu’il ne sait pas. C’est ce qui le rend créatif. Mais en tout état de cause, il est désireux d’améliorer sans cesse son confort tout en économisant ses efforts. Il le fait avec l’idée de pouvoir s’élever, ou du moins « élever son âme ».

Las de subir les intempéries et les maladies, il a d’abord inventé les dieux et la spiritualité. Il a ensuite inventé les monuments sacrés. Pour les construire, il a inventé la sédentarité. Dans la foulée, il a développé les objets désirables tels que les outils, les bijoux et les armes. Il a ainsi jeté les bases de la propriété et de la rente. Il a intensifié les échanges entre les tribus et développé la notion de monnaie.

Le dernier chapitre de la sédentarisation s’appelle l’ère industrielle. À l’issue de cette période, l’Homme prend conscience qu’il ne peut pas dompter la nature, mais simplement composer avec elle. Il découvre que la notion possession pose poussée à l’extrême des problèmes. Mais surtout, il aspire à une nouvelle dimension : celle de réussir sa vie. Il a compris que le consumérisme donne accès à des satisfactions éphémères. Il veut du durable : l’estime de soi, celle que l’on obtient en donnant du temps, de la créativité, du savoir, de l’énergie à ses communautés et qu’en retour, celle-ci lui témoigne de la gratitude.

Le modèle de société qui s’est installé durant plus de 10 000 ans est basé sur la propriété et la protection des individus qui parviennent à s’imposer comme étant les acteurs du développement de la prospérité.

C’est typiquement le cas actuellement des acteurs de la haute finance libérale. Selon eux, le libéralisme a permis de sortir le plus grand nombre de la pauvreté. Mais ce n’est pas le modèle de société qu’il faut saluer, c’est le progrès technologique. La Chine avec un modèle radicalement différent démontre qu’il est possible d’obtenir également de bons résultats.

Les progrès fulgurants de ces derniers siècles ont été faits aux dépens de la nature et des Hommes eux-mêmes. Le libéralisme, un temps triomphant après la chute du mur de Berlin, montre ses limites : il concentre la richesse et étale la pauvreté. Pour y parvenir, il épie les citoyens pour mieux les influencer. En les influençant, il les standardise et tue l’évolution qui se joue habituellement dans la nature, à grands coups d’essais / erreur. Pour que le processus fonctionne, il faut de la diversité.

Alors, une formidable énergie s’empare des générations montantes, à travers toute la planète. Cela devrait être le cas plus particulièrement en Occident et plus précisément encore en Europe, le berceau de l’ère industrielle et de la logique financière qui a fait éclore l’ère industrielle.

Il ne semble pas certain que cela soit le cas, tant les institutions basées sur le modèle précédent semblent difficiles à reconfigurer. Ce sont donc des territoires où les institutions sont moins enracinées dans leurs habitudes et leurs certitudes qui vont pouvoir innover. C’est d’ailleurs ce qu’il pourrait se dessiner sur l’axe Europe –Afrique, si chacun mesure les enjeux, mais aussi les efforts réciproques.

L’enjeu : produire et consommer autrement et changer de système de valeurs sociales. Cela repose sur le numérique, les big data et l’intelligence artificielle. La souveraineté numérique devient donc une priorité, tout comme la souveraineté monétaire.

Pour le moment, l’avenir est sombre. Les GAFAMI et leur alter égo chinois les BATX reposent sur une chimère de 19ème siècle : « devenir le maître du monde ». Aucun peuple n’est prêt à accepter ce modèle pour des raisons profondes : chacun a besoin des autres pour se challenger.

De plus les systèmes de ces géants, aux velléités envahissantes, sont basés sur une vision du 20ème siècle : centralisatrice est sur- consommatrices. Ils touchent à leur propres limites et peuvent s’effondrer plus vite qu’ils n’ont envahis nos vies personnelles. En particulier la confiance devient leur talon d’Achille.

Le modèle centralisateur n’a plus d’avenir. Plus largement, le mode hiérarchique est en voie de disparition : il écrase les talents et éloigne la décision de l’action. Il ne convient plus au monde numérisé qui requière en permanence de la réactivité et de la créativité et surtout de la coopération.

La compétitivité des nations se joue désormais sur la capacité en enraciner des savoirs et favoriser et retenir des talents. De ce fait, la notion de métier s’efface devant la notion d’expertise. Les carrières se font en alternant des périodes de « travail », de formation et de contribution au bien commun. La notion d’emploi et de retraite telle que nous l’avions plus ou moins stabilisée en Europe durant le 20ème siècle devient sans objet : le pacte social est à refondre progressivement.

En effet, si le système que nous quittons a été centré sur la satisfaction in fine des besoins primaires des individus, le système qui commence à s’imposer en réduit la part pour donner une place croissante à la satisfaction des besoins de la communauté. En effet, pour enraciner des savoirs et attirer des talents, il faut disposer d’un terreau social de très haut niveau.

Ainsi, des tâches jusqu’à présent dévolues au bénévolat et au volontariat deviennent stratégiques pour les zones géopolitiques. Or, la richesse créée dans ce type d’activité a un comportement économique radicalement différent de celle crée dans les activités productives : elles se bonifient à l’usage alors que les autres se détruisent à l’usage !

C’est ainsi que nos outils d’échange doivent évoluer pour mixer de la création de valeur matérielle et immatérielle. Opportunément, la monnaie devient potentiellement numérique et intelligente et nos systèmes fiscaux et distributifs d’une complexité au-delà du raisonnable. Des pistes s’ouvrent à nous pour faire face à la mutation rapide que nous devons opérer.

 

De tels grands changements sur les sujets aussi fondamentaux et à contrecourant de plus de 10 ans de culture et d’institutions ne va pouvoir se faire qu’au fil du temps. Au moins 3 générations. Notre priorité pour le moment, c’est esquiver les phases de chaos qui nous menacent. Evitons les disputes, cherchons les solutions. Cela ne passe pas par des affrontements entre syndicats et institutions, mais pas le travail des think tanks qui ne sont pas basés sur les idéologies, mais des problématiques.

 

L’Europe, avec son partenaire naturel l’Afrique, a la possibilité de repartir sur une architecture radicalement différente en termes d’institution et de souveraineté numérique et monétaire. Elle peut le faire parce qu’elle a le coin de la planète qui expérimente la co-gouvernance. Elle est le berceau du per to per et de l’Open Source.

Pour ce qui est des questions monétaires, elle est la plus engluée dans une finance qui menace sa démocratie et des structures qui réglementent et légifère à outrance. L’Afrique entre dans une phase de renouveau due à sa population jeune et désireuse de vivre pleinement le 21ème siècle. L’axe francophone est une richesse à partager. Reste à agir avec loyauté.