Startup nation ?

« Faire de la France une startup nation » a été une promesse forte du candidat Macron. Ne connaissant pas cette expression, les Français l’ont reçue positivement : ils ont pensé qu’il s’agissait de dynamiser l’entrepreneuriat afin de reconstruire le tissu d’entreprises décimé par les délocalisations, certaines LBO[1] ou encore le manque de capacité à progresser de nos entrepreneurs vieillissants et de nos banquiers déstabilisés par un changement de culture.

Une « startup » nation est une nation qui produit des startups comme elle produirait d’autres produits d’exception.

C’est le cas Israël. Ce pays continue certes à produire des pamplemousses et des avocats qui sont achetés par la communauté Européenne, mais il produit aussi des startups qu’il vend aux géants du numérique, essentiellement américains. Ce modèle convient à sa configuration géopolitique. Il valorise ainsi l’élévation du niveau intellectuel de sa population, sans trop mettre à mal ses ressources agricoles et extractives.

Mais cette stratégie a pour effet d’intensifier jours après jours la dépendance numérique du pays avec les USA puisque les logiciels et les IoT[2] qu’il crée se doivent naturellement d’être en priorité interopérables avec l’ensemble de l’offre américaine.

 

La souveraineté numérique !

La France n’est pas dans la même configuration culturelle et géopolitique. Elle est un membre de premier plan de la communauté européenne et elle doit faire Europe avec l’ensemble des membres.

Certes, comme l’indique Cédric O la France doit favoriser sa capacité à développer des startups dans le numérique, mais le numérique est un secteur d’activité qui touche la souveraineté française et européenne.

Cédric O se réjouit de savoir que nous sommes en position de développer quelques entreprises d’envergure internationale et fortement capitalisées. Mais ce ne sont pas quelques entreprises pointues dans leur domaine qui vont contribuer à notre souveraineté nationale et européenne. C’est au contraire un tissu d’entreprises créatif et réactif dont nous avons besoin. Car un réseau d’entreprises liées entre elles par des accords d’interopérabilité est difficile à prédater pour des vautours géostratégiques.

Cette idée de réseau d’entreprises interopérables n’est pas dans le périmètre de la feuille de route de notre secrétaire d’État chargé du numérique. Or, ses propos sont calés sur sa feuille de route et sans doute aussi son mode de pensée.

D’ailleurs, il n’apporte aucune réponse au problème de la traversée du désert qui entrave nos talents de franchir un cap de croissance ni à la nécessité de disposer d’une instance capable de construire une stratégie industrielle nationale et européenne autour de laquelle se structurerait notre tissu de startups.

Son discours ne contient aucune trace de stratégie numérique… et pourtant, il y a urgence.

 

Les géants ne sont pas éternels                                         

A voir la mine dépitée de nos amis américains face à leur « drame » à propos de la 5G, nous sommes bien obligés de constater que la fin de l’hégémonie numérique américaine a sonné. Ce drame est le plus visible.

Comme l’indique Olivier Ezratty dans son article "De la faillibilité des GAFAMI", nous savons que les GAFAMI[3] abordent la phase douloureuse de la calcification de leurs architectures système. Les couleurs de leurs héros se ternissent…

Les architectures système se déforment avec le temps et il devient de plus en plus difficile de les adapter à l’environnement pour lesquels ils ont été conçus.

 

Conscient de cette réalité, les USA ont construit une machine de guerre en matière d’industrie liée au "traitement de la donnée". A chaque étape technologique et servicielle, ils ont fait émerger un leader articulé autour d’un héros. Cependant, plus l’émergence est rapide, plus le leader est spécialisé, plus il va avoir de mal à évoluer.

 

Ceci nous amène à préférer une autre approche de type biomimétique : développer un assemblage de startups qui à elles toutes constituent un potentiel évolutif de traitement de la donnée. C’est ce que nous avons l’opportunité de construire en Europe.

 

Les citoyens européens commencent à exiger des garanties en matière de souveraineté numérique et ils ont bien raison : ils souhaitent et ils doivent se façonner le cyber qui leur convient et qu’ils maîtrisent.

Il serait inquiétant de voir les pigeons se réveiller, cette fois-ci pour une question de désaccord stratégique, car les entrepreneurs ont besoin eux aussi d’une feuille de route pour structurer leur tissu entrepreneurial.

Compte tenu de la prise de conscience collective en matière de souveraineté numérique, ce mouvement trouverait rapidement ses soutiens dans le grand public.

 

[1] Rachats avec effet de levier par des sociétés financières

[2] Objets connectés

[3] Terme attribué à FaberNovel désignant l’ensemble constitué par Google, Amazon, Facebook et Apple auquel certains ajoutent des acteurs plus anciens : Microsoft et IBM.