JHL : Nous nageons en pleine confusion. Les Européens, comme les Américains, se déchaînent devant les tribunaux ou commissions parlementaires pour attaquer les Gafa, essentiellement sur deux sujets : l'abus de position dominante et la protection insuffisante des données de leurs clients, c'est-à-dire de nous.

GB : Nous ne sommes pas leurs clients. Nous sommes les utilisateurs. Leurs clients sont ceux qui leur achètent des prestations : de la visibilité, de l’espace de publicité ou ceux qui leur achètent les données sur nous (raffinées ou à ré-affiner).

JHL : L'idée est simple, il faut, d'une manière ou d'une autre, affaiblir ces entreprises dont chacun voit bien aujourd'hui qu'elles déterminent notre avenir.

GB : OUI : développer un autre internet plus respectueux de l’environnement et des personnes. C’est le choix de Forum Atena pour les raisons suivantes :

  • Nous avons les talents, les savoirs et même les POC,
  • Nous ne pouvons pas prendre le risque que supporter l’effondrement des GAFAM (qui n’est pas exclus à terme),
  • Nous fixerons nos règles dans notre espace, ce sera moins conflictuel que la voie actuelle.



Démantèlement
JHL : Sur un plan plus conceptuel, chacun reconnaît les mérites de ces entreprises et la qualité de ce qu'elles nous proposent. Mais c'est là où les positions divergent fondamentalement.

GB : Le mérite de ces entreprises est contestable : elles ont grandi avec des financements publics et ont été capitalisées de manière obscure. Elles se sont développées en absorbant les startups notamment européennes.

Aujourd’hui, elles bloquent l’innovation ou du moins la freine, ce qui est inévitable lorsque l’on devient le dominant.

JHL : Certains mettent en avant la baisse des coûts pour le consommateur et, à leurs yeux, bien naïfs, cela pardonne tout le reste.

GB : Baisse des coûts pour les consommateurs ? il n’y a pas de consommateur, mais des acheteurs de données, d’influence et de visibilité. L’élasticité au prix dans ce contexte ne se discute pas en termes de baisse des prix.

JHL : D'autres, la majorité, veulent revenir à une régulation plus stricte et une taxation qui corresponde à la réalité de leurs activités.
C'est une position rationnelle d'économiste qui est convaincu que le respect de règles bien calibrées permet de surmonter toute difficulté.
C'est louable, mais vraisemblablement très éloigné de ce qui est en train de se jouer. Si Margaret Vestager se concentre sur la concurrence, la position de Thierry Breton est beaucoup plus explicite et novatrice.

GB : La manœuvre d’étouffement du tissu de starups européen par les GAFAM et leurs bailleurs de fonds a pour objet de récupérer à bon prix les pépites qui leur ont permis de progresser vite, sans financer les tâtonnements (à notre charge via les subventions et les love monney).

Si nous voulons créer de la concurrence, il faut prendre notre autonomie, ce que préconise Forum Atena.



JHL : Le Digital Service Act est la première vraie tentative de limiter l'expansion infinie des activités des Gafa .

GB : Sauf à développer sérieusement notre autonomie, cette initiative ne sera pas la dernière. Adopi, Rgpd … en l’état actuel des choses, nous pouvons faire tout ce que nous voulons. Les GAFAM font tout ce qu’ils veulent. Leurs intérêts passent avant les nôtres.

JHL : Le mot démantèlement est évoqué, retrouvant là le débat lancé il y a quelques années par Elizabeth Warren et quelques autres.

GB : Roger McNami a déjà expliqué comment les procès vont s’engluer et se termineront par des promesses sans engagement.


JHL : Quant à la fiscalité, on se heurte à la règle absurde de l'unanimité qui, évidemment, bloque toute initiative de la part des pays
qui tirent profit de cette situation.

GB : Ce problème strictement européen n’arrange rien. Mais que voulez-vous taxer ? Les GAFAM paient leurs impôts là où ils estiment créer de la valeur. Pas là où ils satisfont des besoins. La logique fiscale a été soigneusement étudiée et faire accepter des modifications va prendre un peu de temps. Il est plus simple et plus constructif de construire notre autonomie. Nous sommes dans de la richesse immatérielle. La volonté en est la principale matière première.

 

JHL : Mais c'est aux Etats-Unis que le problème se pose surtout, pour aujourd'hui et pour le long terme.

GB : Effectivement : IBM, le constructeur des ordinateurs géants a dominé le numérique pendant 30 ans. Les GAFAM vont le dominer pendant 20 ans environ. En matière de système informatique, les géants se calcifient et périclitent, c’est ainsi ! Est-ce de cela que JHL parle ?



Pouvoir et argent
JHL : Le dilemme est simple : faut-il ou non limiter le pouvoir des Gafa ?

GB : Cette proposition revient à dire : faut-il exiger que les USA renoncent à leur arme d’influence massive ? Pour le nucléaire, on en discute depuis 60 ans …

JHL : Aujourd'hui, c'est un sujet très délicat, tout simplement parce qu'elles représentent 25 % de la valorisation du S & P .

GB : Cette capitalisation correspond à de la richesse immatérielle donc basée sur la confiance, donc rien d’éternel ... Il faut donc biaiser : désarmer en s’armant nous-mêmes (comme le préconise Forum Atena) et la capitalisation va revenir à sa juste place.


JHL : Mais surtout, elles sont un instrument formidable dans le rapport de force économique mondial.


Certes, le premier argument est très fort, car il concerne l'accroissement des revenus des détenteurs d'actions.
Mais le second prend d'autant plus d'importance que nul n'abandonne son leadership technologique facilement.

GB : La technologie des GAFAM date du 20ème siècle. L’Europe a la possibilité de s’équiper avec ses technologies et ses concepts qui sont pleinement marquées par le 21ème siècle.

C’est comme ça la course à l’innovation, à un moment, les premiers sont les derniers et on recommence …

JHL : Et pourtant bien naïfs sont ceux qui pensent qu'à terme l'équilibre actuel peut se poursuivre naturellement. Car deux logiques vont s'affronter, celle de la puissance financière et technologique américaine, et celle du pouvoir des politiques, qui, quel que soit leur bord, n'accepteront jamais de se voir retirer leur capacité de décision.

GB : Sauf à ce que les GAFAM facilitent l’installation d’élus qui leur conviennent … cette hypothèse n’est pas de la science-fiction !

 

JHL : Il n'y a rien de nouveau dans tout cela, c'est la compétition entre le pouvoir et l'argent. Mais l'Histoire nous rappelle que le désir de pouvoir finit toujours par s'imposer à celui de l'argent, car ce dernier n'est au fond qu'un moyen. Pour les Gafa, 2020 est l'année de tous les dangers.

GB : 2020, c’est l’année du COVID19 ! C’est l’emballement d’Amazon et ils ont même imposé de nouveaux venus comme zoom. Ils sont en fête.


JHL : Le nouvel équilibre pourrait prendre de nombreuses formes, y compris l'interdiction faite aux Gafa d'investir dans de nouveaux domaines scientifiques, technologiques ou commerciaux.

GB : Les américains vont faire comme ils veulent. Nous faisons comme nous devons.

JHL : Quant à l'Europe, elle a perdu cette première bataille, mais rien n'indique que la prochaine étape technologique ne puisse être une véritable opportunité.

GB : Elle n’a pas perdu cette bataille. Elle a été empêchée de se battre. Mais le désir et le savoir sont toujours présents sur ses terres, en particulier à travers sa communauté Open Source dont elle pourrait s’occuper plus astucieusement.

JHL : Nous avons tout, la compétence scientifique, les capacités de financement et même aujourd'hui un Commissaire en charge du sujet, particulièrement compétent et expérimenté. Encore faut-il une décision européenne de financer massivement cette ambition.

GB : Il faut se départir des colporteurs de messages décourageants voir même inhibant, on les trouve partout, y compris dans les hautes sphères.