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Repenser le duo [Capital – Travail]

Pour les générations montantes, les couches basses de la pyramide de Maslow ne sont plus une préoccupation : les besoins physiologiques sont à peu près assurés ainsi que la sécurité physique. À présent, elles s’intéressent à leur capacité d’accomplissement. Cela passe par leur capacité à collaborer avec les autres. Elles ont besoin d’un monde 2.0.

De manière concomitante, en raison de la complexification de nos besoins, la création de richesse ne repose plus simplement sur le duo [capital – travail]. Pour créer de la richesse, il faut aussi des talents et du réseau. Les talents sont potentiellement partout dans la population et non plus dans certaines classes, ce qui change nos modalités de sélection.

Ce double mécanisme nous impose de revisiter en profondeur notre pacte social et donc l’idée que nous nous faisons du capitalisme et des « communs ».

 

La piste du revenu de base

Les défenseurs du revenu de base considèrent que chaque membre de la communauté se voit allouer des moyens d’existence décente. En contrepartie, il lui est demandé de remplir ses droits et ses devoirs élémentaires (se soigner, prendre soin de sa famille, s’éduquer, respecter les autres et le bien commun),

Mieux encore, puisque la création de richesse repose de plus en plus sur les talents, les savoirs et la créativité, l’intérêt de la communauté consiste donc à ce que ses membres aient les moyens de développer leurs talents afin d’en faire profiter la communauté. Il est donc nécessaire de permettre à chacun de prendre du temps pour se former, s’investir dans des tâches innovantes ou simplement se rendre utiles à la communauté tout en enrichissant son potentiel d’expérience.

Dans les descriptions actuelles du revenu de base, les tâches productives font l’objet d’une rémunération qui vient en plus du revenu de base.

Notre culture est heurtée par cette revendication. L’adage « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », deviendrait : « tu gagneras tes bonus à hauteur de tes initiatives ».

Les tâches dangereuses, répétitives, exagérément complexes ou dégradantes commencent à être supprimées ou confiées à des robots. Elles disparaissent au profit de quelques tâches créatives et décisionnelles qui nécessitent une forte préparation culturelle, éthique et psychologique. Ainsi, l’appareil productif offre de moins en moins d’emplois et exige de plus en plus de préparation.

Ceci nous amène à reconsidérer la place de l’homme dans la vie sociale et économique, ce qui tombe plutôt bien puisque lui-même se rend compte que produire n’est pas LE but dans la vie. Il veut enrichir son spectre de contribution.

La notion de travail, au sens où nous l’avons développé durant la période industrielle, s’effrite au fur et à mesure que l’idée que nous nous faisons du capitalisme se modifie lorsqu’il entre en confrontation avec les nouvelles frontières du bien commun.

En effet, désormais, pour créer des entreprises, il faut certes du capital et des travailleurs, mais il faut de plus en plus de savoirs et de talents. Or, le savoir appartient au bien commun et le développement de talents dépend de la volonté de la communauté à le développer.

 

Critique du système socio-économique actuel

Le système socio-économique actuel entrave la satisfaction de ces besoins car il est obsédé par la productivité dont les gains sont répartis au profit des détendeurs de capitaux et aux acteurs opérationnels, mais insuffisamment aux moyens de développement du terreau social d’où sont censés émerger les talents et les savoirs.

Les générations montantes font une autre critique du système actuel : posséder n’est plus une priorité. Elles veulent s’accomplir et donc pouvoir s’organiser un parcours de vie où elles vont diversifier leur patrimoine d’expérience tout en enrichissant la communauté, pas seulement matériellement. La richesse immatérielle et relationnelle devient importante. Or, le système économique ne reconnaît que la création de richesse marchande.

La montée en puissance de ces générations est très puissante car elle correspond à un mouvement mondial. Notre intérêt consiste donc à s’adapter à cette nouvelle donne le plus intelligemment possible afin d’éviter les phases chaotiques de mutation.

Bien d’autres critiques sont adressées au système actuel. La plus rependue porte sur son incapacité à proposer des emplois décents en quantité suffisante. Cette incapacité pose de graves problèmes de sécurité. Le numérique et les changements de valeurs retenues par les générations montantes (consommer moins mais mieux) ne vont pas résorber le problème, bien au contraire, puisqu’il rend les fausses solutions de plus en plus visibles. Cette réalité donne un caractère d’urgence à la nécessité de s’adapter.

Les philosophes et autres économistes des siècles précédents annonçaient que nous ne travaillerions que 20 heures par semaine dès le 21ème siècle. Or les innombrables débats sur les 35 heures n’encouragent pas à réduire le temps de travail dans sa forme actuelle. La raison est simple : le système actuel ne le permet pas.

En revanche, le revenu de base permet de résoudre ce problème car il fluidifie le marché du travail : travailler à temps partiel n’est plus un problème, mais au contraire une opportunité de mener plusieurs projets de vie en parallèle, ce qui est généralement enrichissant.

Dans la pratique, le passage au revenu de base se fait insidieusement à travers des systèmes de reversions de pensions et d’indemnisations de toutes sortes (près de 49 % de la population en Allemagne). Arrivé au niveau de complexité actuelle, ce système devient instable, injuste et coûteux.

Il est donc temps de le réformer à travers une approche qui sera nécessairement disruptive, mais rendue acceptable si elle est cadrée sur les nouveaux besoins auxquels nous sommes confrontés.

Ainsi, le revenu de base constitue l’outil qui rend désirable une meilleure répartition temps consacré aux activités productives (décroissantes) et aux activités contributives (croissantes). Le revenu de base apparaît comme la formule la plus pratique tant dans sa mise en œuvre que dans son acceptation, même si des débats sont nécessaires pour traiter les cas particuliers.

Mais le problème sociétal n’est pas totalement résolu pour autant car les activités contributives, nécessaires à l’attractivité de la communauté, doivent pouvoir être récompensées pour être développées dans un cadre motivant.

 

Des monnaies vraiment complémentaires

La monnaie sert à favoriser les échanges entre les membres d’une communauté et éventuellement entre des communautés.

Ces échanges concernent des biens et des services. Mais la société 2.0 nous amène à prendre en considération d’autres formes d’échanges, comme par exemple le savoir, la reconnaissance ou encore la créativité.

Ces types d’échanges sont très mal pris en compte dans notre système social en dépit du fait que les tâches « contributives » deviennent importantes pour notre attractivité (attirer des talents) et notre compétitivité (permettre à ces talents de se révéler au profit de la communauté).

Dans une perspective de mise en place d’un revenu de base, les monnaies complémentaires qualitatives deviennent indispensables pour favoriser l’investissement personnel des citoyens dans le développement du bien commun.

 

Pour le moment, pour des raisons historiques, sur un territoire donné, nous fonctionnons avec une seule monnaie dite « officielle ».

Or, un organisme qui fonctionnerait avec une seule hormone serait simpliste et donc capable de peu de fonctions.

C’est notre cas actuellement : nous utilisons la même monnaie sur des territoires aux temporalités très différentes. La vie au Pirée, à Amsterdam ou à Bordeaux n’est pas soumise aux mêmes contraintes de leur développement économique et social.

Par ailleurs, les talents et les savoir sont portés par les hommes. Même si Internet permet de nombreux échanges, la mise en pratique collaborative de ce patrimoine est nécessairement localisée. Avec les drames induits par les délocalisations, nous avons pris conscience de la nécessité d’enraciner le patrimoine culturel.

De fait, nous pensons intuitivement qu’une partie de la richesse créée quelque part doit être réinvestie dans le renouvellement de cette richesse locale. Cette notion a été démontrée dans certaines contrées où l’économie productive s’est développée de manière clivante, laissant une partie significative de la population sans réels moyens de subsistance.

Les expérimentations faites dans les économies plus avancées demeurent des cas d’étude, à de rares exceptions près, comme le Wir en Suisse. En particulier, ces expériences ne démontrent pas leur capacité à résoudre le problème qui leur est assigné, à savoir : développer de manière significative l’économie locale. Toutes fois, nul ne conteste leur valeur sociale, ce qui est un bon début.

En fait, ces monnaies sont adossées à la monnaie officielle, dont elles répliquent les qualités, les défauts et la culture, ce qui entrave la créativité qui permettrait de résoudre les problèmes émergents, que la monnaie officielle ne sait pas traiter.

Accessoirement, ces monnaies ont la même représentation que la monnaie officielle, ce qui représente des coûts de « fonctionnement » proportionnellement élevés.

Opportunément, la monnaie devient numérique et donc intelligente et très économique à gérer. Cette intelligence permet de définir des règles d’usage et de combinaison avec d’autres monnaies pour permettre de satisfaire différents besoins.

Ainsi, nous pouvons imaginer compléter les fonctions des monnaies officielles en développant des monnaies locales (qui n’utilisent dans des lieux précis), fondantes (qui perdent de la valeur si on ne s’en sert pas), des monnaies de récompense (qui permettent de bénéficier de bienfaits produits dans le secteur contributif), de monnaies à terme (qui ne s’utilisent que lorsque certaines conditions sont remplies… etc.

Exemple du « capital formation »

Jusqu’à présent, nous avons une idée de la formation qui part d’une phase doctorale suivie ou non d’une phase applicative. Pour ce qui concerne la formation tout au long de la vie professionnelle et même après, le processus efficace recommande l’inverse.

Ainsi, la plupart d’entre nous devraient être tour à tour apprenti, tuteur et parfois formateur. La monnaie adaptée à ce processus consiste à disposer d’un compte qui enregistre une unité lors d’un tutorat tandis que le compte du tutoré est décrémenté d’une unité. Ce qui compte en régime de croisière, ce n’est pas seulement le solde, mais aussi le nombre de fois où le compte a été activé.

 

Avec de tels instruments monétaires, le revenu de base peut devenir intelligent. Par exemple il peut être modulable au fil de la vie. Il peut être versé sous forme de combinaison de monnaie officielle, locale et contributive, chacune de ces devises étant le reflet du dynamisme économique de la zone concernée.

Le système distributif actuel, essentiellement basé sur la fiscalité, est devenu trop complexe pour être motivant auprès des électeurs. Les règles d’émission, d’utilisation et de destruction des monnaies complémentaires peuvent être connues par tous et débattues démocratiquement, en particulier localement.

Elles favorisent donc une démocratie active, transparente et donc attractive.

 

Des blockchains pour quoi faire ?

Il est d’usage de dire que le numérique change notre société, mais en réalité, la société favorise l’émergence des technologies dont elle a besoin.

Les blockchains ont été pensés dans ce sens. En particulier, ils permettent de définir pour chaque individu une comptabilité personnelle, éventuellement multidevise, qui est activée lors de transactions, effectuées dans le respect de règles liées à chaque devise employée.

Cette technologie constitue donc une opportunité pour développer le renouveau de notre pacte social. Cependant, rien ne nous empêche d’explorer d’autres technologies.

Ainsi, tandis que des groupes de travail expérimentent les blockchains, il est nécessaire de réfléchir aux usages que nous pourrions en faire dans le monde dans lequel nous aimerions vivre.