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Fin de la civilisation occidentale ?

Le livre « Changeons de civilisation  » dont nous parlons ce soir, part de la question suivante : « La civilisation occidentale, qui sert de référence aux autres civilisations de la planète pour construire leur propre modernité, est-elle en train de péricliter ? ».

Ma conclusion est NON. L’ère industrielle se révèle être une période de transition entre la période agraire et la période immatérielle que nous abordons. Elle a été développée sur la base d’un certain nombre d’hypothèses sociales et économiques extrapolées de l’ère agraire. Mais à présent, certains principes ont atteint leur limite, ce qui a pour effet de remettre en cause les croyances sur lesquelles nous avons bâti nos institutions.

J’ai donc travaillé sur ces limites et les torsions qu’elles font subir à nos institutions. J’ai ensuite exploré le champ des évolutions souhaitables.

 

Le changement de civilisation

Les changements de civilisation se caractérisent par la modification simultanée de 3 éléments :

  1. La maîtrise de l’énergie
  2. Les modes de communication

Ces deux premiers piliers s’appuient désormais sur la maîtrise des réseaux ce qui va influencer fortement la structuration de notre nouveau modèle sociétal.

  1. La remise en cause de textes fondamentaux. Pour ma part, le texte en cause, porte sur les premiers versets du livre de la genèse qui invitent l’homme à dompter la nature. Nous savons désormais que nous ne pouvons pas la dompter, mais seulement composer avec elle, comme le font toutes les autres espèces sur cette terre.

 

La loi du plus adaptable

Ce changement de vision modifie le fonctionnement de la société : nous passons de la loi du plus fort à la loi du plus adaptable.

Mais, d’autres changements émergent, qui sont induits par les limites atteintes par le paradigme de notre ère industrielle.

 

La priorité à l'estime de soi

Grâce aux progrès techniques, organisationnels et financiers, les générations montantes ont, en majorité, toujours trouvé un yaourt dans le frigo de la maison. De ce fait, elles estiment donc que leur sécurité physique et physiologique est globalement assurée.

Alors, elles développent une ambition d’un niveau supérieur : conformément aux travaux de Maslow, il s’agit de « l’estime de soi ». Concrètement, les générations, y et suivants, se focalisent sur le désir de réussir sa vie. Elles savent que cela se fait avec les autres, car l’estime de soi se développe en conjuguant ses talents avec l’entourage que l’on a choisi.

 

Une révolution générationnelle et planétaire

Ces générations aspirent à un autre modèle de société. Elles cherchent à l’imposer à travers une révolution non violente. Cette révolution a une spécificité : elle n’est pas propulsée par une classe sociale ou un pays émergent, mais par les jeunes générations, aidées des séniors. Le mouvement est très puissant. Il est planétaire, même si chaque zone géopolitique vit cette époque à sa manière.

 

Le numérique, parce que nous avons de nouvelles priorités

La révolution est en route. Elle se concrétise, par exemple, à travers le fait que nous confions progressivement à des robots la satisfaction de nos besoins primaires, c’est-à-dire ceux qui sont nécessaires à notre intégrité physique et physiologique.

Alors, ce n’est donc pas le numérique change notre civilisation, mais c’est parce que nous avons de nouvelles ambitions que nous développons ces technologies.

 

Nos institutions sont mises en torsion

Mais ces technologies bousculent nos institutions : la monnaie, la propriété, la démocratie… Ou encore, l’idée que nous nous faisons du travail.

Nos institutions ne sont pas conçues pour les prendre en compte les besoins liés à la satisfaction de l’estime de soi, du moins à l’échelle de la population toute entière. Cette incapacité provoque des tensions qui vont s’intensifier, aussi longtemps que cette aspiration sera mal prise en compte.

Or, comme nous allons le voir, cette aspiration est bonne pour la communauté. Nous devons donc nous intéresser à la manière de gérer les transitions, en repérant celle transition qui entraîne toutes les autres.

 

Besoin de nouvelles formes de gouvernance

Nous passons inexorablement « du toujours plus » au « toujours mieux ».

Notre compétitivité repose donc sur nos talents. Et pour gérer ces talents, nous allons délaisser le management hiérarchique, au profit d’un management facilitateur.

Pour cela, nous nous dirigeons vers des gouvernances de type holacratique puisque les espaces 2.0 nous le permettent et surtout que le niveau d’éducation de la population l’impose. Cette forme de gouvernance repose sur la confiance en l’autre, a priori, et sur l’idée qu’une foule est plus experte que le plus expert des experts.

 

Déplacement des frontières entre le bien commun et le bien privé

La création de richesse ne fonctionne plus comme à l’ère agraire et encore moins comme à l’ère industrielle. Certes, pour créer une entreprise, il faut toujours du capital, qui appartient au capitaliste, et du travail. Mais nous prenons conscience qu’il faut surtout du savoir et du réseau. Ces deux composantes stratégiques appartiennent respectivement aux individus et au bien commun.

Conséquence : la rente s’amoindrit et le patrimoine des savoirs devient un bien commun, jalousement cultivé par chaque zone géopolitique en tant que source majeure de compétitivité.

 

Vers une autre mondialisation

La mondialisation façon 20ème siècle vit ses dernières heures parce que chaque continent se met à produire ses voitures et ses yaourts. Les échanges entre les nations se concentrent sur deux types de marchandises :

  • Les matières premières (premières),
  • Les produits d’exception, produits avec du savoir et des talents.

De ce fait, la guerre des talents s’intensifie car la capacité à innover devient stratégique.

 

L'innovation devient l'affaire de la communauté

Mais, les processus d’innovation se modifient : ils ne sont plus le fait d’ingénieurs de haut niveau, capables de porter des projets audacieux comme au 20ème siècle, mais par des équipes croisant des talents et des savoir-faire grâce à la sérendipité organisée au frai de la collectivité, car elle seule pour organiser la sérendipité.

Les innovations de rupture se construisent désormais en agrégeant les succès et en tirant les enseignements des échecs de toutes ces équipes. L’innovation devient donc l’affaire de la communauté car, c’est elle qui la finance et qui joue un rôle stratégique dans sa compétitivité.

Lorsqu’elles achètent des sartups, les entreprises privées récompensent l’équipe qui a réussi à faire émerger une idée, un marché ou un procédé. Elles ne récompensent pas la communauté qui a développé le terreau et les échecs antérieurs. Elles ne paient donc pas le juste prix, ce qui va conduire à repenser l’ensemble du processus de création d’entreprise.

 

Recomposition du tissu entrepreneurial

Le problème n’est plus d’avoir des entreprises robustes conçues pour aller à la conquête des marchés internationaux, mais un tissu entrepreneurial qui optimise notre potentiel de talents et de savoirs.

En conséquence, le tissu économique se reconfigure avec des entreprises répondant à des caractéristiques différentes de celles que nous avons connues à l’ère industrielle :

  1. Avoir une durée de vie relativement courte pour assurer la réactivité du tissu entrepreneurial,
  2. être de tailles humaines afin de permettre aux individus d’y donner leur pleine potentialité tout en y accumulant des savoirs,
  3. être en interaction avec la vie locale et les corporations pour assurer l’enracinement culturel et également un ruissellement économique constant.

 

Notre défi : récompenser aussi l’économie contributive

Ainsi, le capitalisme change de position dans le processus de création de richesse. Dans le même temps, le travail productif s’érode suite aux effets combinés du progrès et des modes de consommations. Notre pacte social n’est pas capable de faire face au chômage de masse.

Or, en économie, il y a une règle incontestée qui dit qu’il y a toujours du travail pour tout le monde car l’homme a toujours un besoin d’un niveau supérieur à satisfaire. Effectivement, il y a du travail pour tout le monde, mais ce travail n’est plus seulement dans le secteur productif.

La France travaille beaucoup : dans le circuit des créateurs d’entreprise, dans les associations et les think tanks, ou encore dans l’économie parallèle. Mais elle veut ranimer le secteur productif.

 

La restructuration de nos institutions se poursuit

Alors, les peuples souverains inventent la démocratie économique car ne sont plus les entreprises mais les nations qui sont en compétitivités. Elles le sont grâce au dynamisme de leur tissu économique et associatif.

De fait, nos institutions se restructurent. Rappelez-vous :

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  • Avant la révolution, le pouvoir était bipolaire et la transmission du savoir était essentiellement orale et donc implicite.
  • Après la révolution, le monde industriel a pris une place prépondérante et le savoir est devenu une affaire d’élite.
  • À présent, le savoir est ouvert à tous et l’innovation prend une place stratégique, ainsi que tout ce qui favorise l’attractivité de la nation : sa vie sociale, artistique, culturelle, sportive, spirituelle ou encore politique… C’est ce que l’on appelle les activités contributives, par opposition aux activités productives.

 

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Alors, si les tâches contributives deviennent réellement stratégiques pour la compétitivité de la collectivité, il faut pouvoir les récompenser. Pour cela, nous allons devoir faire évoluer les deux piliers de notre vivre ensemble : notre pacte social, et la gouvernance de notre monnaie.

Or, nous ne sommes pas outillés pour prendre en compte les comportements vertueux de nos concitoyens dans la vie contributive.

 

Les temps de la vie

La vraie vie se déroule en 6 étapes : je nais, j’apprends, je fais, j’innove, je transmets et je me rends utile.

Depuis l’ère industrielle, nous avons simplifié à 4 étapes (je nais, j’étudie, je produis et « on » me retire du système).

Elle n’en récompense qu’une seule : « je produis ».

Mais, parce que nous avons besoin de l’ensemble de la palette de talents présents dans notre population et que les talents se révèlent dès lors que nous leur donnons la possibilité de se manifester, nous devons faire en sorte que chacun puisse contribuer efficacement à chaque étape de son parcours de vie, tour à tour dans le secteur productif et le secteur contributif.

 

Les mutations sans rupture via la vicariance et la simplexité

Le défi qui se présente à nous consiste donc à revoir notre pacte social et notre monnaie, mais sans passer par une phase de cahot afin de ne pas déstabiliser ces piliers qui nous portent actuellement. Alors, nous pouvons nous inspirer du processus de vicariance et de simplexité qui permet à n’importe quel organisme vivant d’évoluer (ou s’adapter) sans rupture. Voici comment il fonctionne :

  • Dans un premier temps, un organe nouveau apparaît qui permet de s’adapter un changement, c’est une vicariance.
  • Puis, l’organe d’origine se simplifie, de manière à ne pas accumuler les complexités antérieures. C’est la simplexité.

Notre système actuel ne reconnaît que les tâches productives.

  • La vicariance va avoir pour objet de développer des mécanismes de récompense des tâches contributives,
  • La simplexité va avoir pour objet de simplifier nos mécanismes de redistribution, qui se compose actuellement de la fiscalité et des aides. L’un et l’autre ont atteint un niveau de complexité national et international qui les rendent ingérables ce qui fait que notre système est inefficace, source de rigidité et désormais à contre-courant puisqu’il est basé sur la loi du plus fort.

 

Vers de nouveaux outils de gouvernance

Voici un scénario possible et probablement déjà en marche qui combine deux instruments de gouvernance encore peu utilisés :

  • Les monnaies intelligentes vont permettre de simplifier notre système de redistribution (fiscalité et aides). Ces monnaies vont être diversifiées et mises en synergies pour servir plusieurs sortes d’échanges : des biens et des services comme actuellement, mais aussi de l’estime, du partage du savoir, de la fidélité… etc.
  • Le revenu de base apporte une réponse à la volatilité que nous impose l’économie réactive dont nous avons désormais besoin ainsi que la volonté de chacun de développer ses savoirs et ses talents tour à tour dans la sphère productive et contributive.

Le revenu de base est d’ailleurs déjà inscrit dans nos valeurs communes puisque, désormais, chacun se distingue par ce qu’il fait et ce qu’il veut faire et non plus à travers des signes ostentatoires, qui désormais servent à exprimer notre personnalité.

 

Ampleur du mouvement et échéance réduite

Sur le plan anthropologique, nous pouvons considérer que nous vivons une mutation d’une ampleur comparable à celle qu’ont vécue nos aînés lorsqu’ils se sont sédentarisés il y a plus de 10 000 ans.

Ils ont eu plusieurs siècles pour s’adapter, ce qui ne sera pas notre cas car nous sommes poussés par 3 contraintes sur lesquelles notre marge de manœuvre est réduite : la démographie, les dérèglements climatiques et la vitesse de propagation du numérique.

Libre à nous de transformer ces contraintes en levier pour accéder aux nouvelles formes d’abondance auxquelles nous aspirons.