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La gouvernance façon 20ème siècle versus 21ème siècle

En 2002, il y avait 9 642 librairies en France. En 2003, il y en avait 5 023, soit près de la moitié.

À l’époque, je lançais une place de marché électronique pour les libraires de proximité. Effrayée par ces chiffres, j’ai contacté le ministère de la culture qui m’a répondu en substance : « la culture est une chose bien trop sérieuse pour la propager à travers des personnes que nous ne maîtrisons pas ! ».

En clair, le ministère favorisait sciemment les grandes chaînes de librairie et implicitement Amazon.

Effectivement, la culture est un espace d’influence majeur. Mais, les réseaux de librairie peuvent mettre en valeur certains auteurs et pas d’autres. A contrario, en tablant sur la diversité des libraires et de leurs implantations, il est possible d’élargir la diversité culturelle et idéologique. D’ailleurs, Internet avec sa blogosphère et surtout Wikipédia, a mis en évidence les mécanismes d’intelligence collective.

Depuis, nous savons que la dispersion est en réalité une protection pour les individus.

 

Réalité technique

Justement, la blockchain est une base de données décentralisée.

Lorsqu’un client fait un achat chez un commerçant avec sa carte bancaire, le système bancaire, lui-même composé de la banque du client, celle du commerçant et de la plateforme de compensation entrent dans le processus d’exécution du paiement et chacun prend une dîme au passage.

Avec la blockchain, ces intermédiaires deviennent inutiles. Mieux : la transaction est mémorisée en divers points du réseau, ce qui la rend inviolable tout en étant traçable.

 

Mais, pour que cela soit possible, il faut que la réplication soit certifiée : c’est le rôle dévolu au « mineur ». Le mineur ne sait pas ce qu’il mine. Il mine les certifications demandées au réseau. Parmi ces certifications, certaines correspondent aléatoirement à de la création monétaire. C’est avec ce type de certification qu’il est rémunéré.

Ce système administrativement très simple favorise en fait les gros mineurs qui minent beaucoup de transactions. Il y a donc risques de concentration pour les gros mineurs gagnent mieux leur vie et donc peuvent mieux s’équiper pour miner plus. Ceci constitue une fragilité du système.

 

Le numérique en France

À la fin de la dernière guerre mondiale, la France signe le plan Marshal et dans la foulée l’accord secret « Blum-Byrnes » qui accorde un prêt à la France en contrepartie de quoi, la France favorise la diffusion des films américains sans aucune réciprocité, bien au contraire.

À la fin de ce contrat, il est précisé que la France limite son industrie du traitement de l’information à des usages « domestiques ». En clair, pas d’industrie informatique significative. La contrainte est valable pour tous les pays soumis au plan Marshal : l’Europe numérique est ainsi placée sous domination américaine.

Le général de Gaules biaise néanmoins cette interdiction en développant Télétel qu’il place dans la catégorie des télécoms, au motif qu’il faut reconstruire le réseau téléphonique, ridiculisé par le 22 à Asnières de Fernand Reynaud, et, tant qu’à faire, le rendre le novateur possible.

À partir de 1970, des budgets spectaculaires sont progressivement utilisés pour maquetter ce qui va servir de base au 1.0, 2.0 et 3.0 de l’Internet d’aujourd’hui.

La confiance et le paiement en ligne s’avèrent indispensables. De nombreuses solutions sont imaginées et expérimentées. La cryptographie est une pièce centrale de ces travaux. Elle est expérimentée à grande échelle à travers la carte à puce. Ainsi, la France est considérée comme le berceau de la monétique et de la télématique.

Au cours des années 80, les Américains sifflent la fin de la partie. Les travaux français partent au MIT et seront exploités dans le Silicon Valley. Des accords commerciaux stipulent que le minitel ne peut être vendu dans le reste du mode qu’à travers une filiale commune à France Télécoms et IBM.

Au début des années 90, les Américains lancent l’Internet et 5 ans (le minitel avait mis 10 ans à s’imposer et la TV 20 ans).

Le lancement d’Internet en France sera ralenti de manière à laisser l’opérateur télécoms amortir les coûts d’investissement du réseau Télétel et de ses applications.

Le réseau Télétel est officiellement fermé en 2012.

Le plan Marshal s’est terminé en 2007 pour la France. Ainsi, d’une manière générale, l’Europe récupère son autonomie technologique.

C’est dans ce contexte qu’est par exemple lancé Galiéo qui est en gestation depuis plus de 20 ans.

 

L’américanisation de la télématique

Les Américains et les Français avaient une idée différente de la structure du réseau « télématique » : les Français utilisaient le protocole X25 qui connectait la machines du client et la machine du serveur durant toute la cession. Les Américains utilisaient Ethernet qui crée une connexion à chaque interaction.

Cette différence prive le réseau d’un certain nombre de commodité, mais permet un développement à très grande échelle.

L’autre différence fondamentale, porte sur les mécanismes de description des objets transportés. Au lieu d’être « cousu mains », ils sont produits à l’aide de langages, ce qui permet d’industrialiser la production de services. C’est ainsi qu’est créé l’HTML qui est inspiré des langages existant dans le monde de l’imprimerie.

L’idée de créer un langage de description d’une monnaie sera donc évidente.

 

La problématique de la monnaie

La monnaie dette que nous utilisons actuellement a été conçue pour faire éclore l’ère industrielle et adaptée à la mondialisation telle que nous la connaissons actuellement.

Nous passons à une autre époque qui nécessite probablement un système monétaire plus subtil.

Imaginer un organisme qui fonctionnerait avec une seule hormone. Il serait simpliste et peu capable de s’adapter à des changements. Notre organisme utilise plusieurs hormones pour coordonner les nombreuses fonctions de notre corps qui doit faire face à des situations physiques et émotionnelles très variées.

Nous allons vers une civilisation organique, c’est-à-dire organisé en cellules fonctionnant en interaction avec son environnement familial, social, économique et environnements. Les moyens d’échange dont nous allons avoir besoin vont être plus multiples.

L’évolution du système monétaire est une opération audacieuse. Tout le monde sait qu’il faut y parvenir, si possible avant qu’un accident plus grave encore que celui de 2008 ne survienne.

 

En 18 juin 1996, la NSA publie un rapport intitulé « Comment produire de la monnaie : la cryptographie du cash électronique anonyme ».

Dans les années 2000, des chercheurs entreprennent de créer un langage de description de monnaie numérique, en quelque sorte l’HTML de la monétique. Le concept de multimonnaie est donc admis.

 

Indépendamment de ces travaux technologiques, deux courants de pensées émergent à propos des monnaies du futur :

  • Les monnaies locales qui sont au départ des monnaies convertibles en services sociaux dans les quartiers pauvres d’Asie et d’Amérique latine.

En Europe, ils sont utilisés pour favoriser l’économie locale. Sans grand succès, car ces monnaies sont adossées à l’€ dont elles portent les inconvénients (monnaie dette). Pour les collectivités qui les mettent indirectement en œuvre, il s’agit en réalité d’une précaution en cas d’effondrement brutal de l’€.

  • Le débat sur ce que doit être la monnaie du 21ème siècle, avec notamment les chartalistes et antichartalistes, autour de la question de la création de monnaie, ses processus de circulation et de destruction.

Cette question n’a rien de théorique. En effet :

  • Le dispositif actuel est arrimé au $ en tant que monnaie étalon, ce qui pose de plus en plus de problèmes éthiques et géopolitiques,
  • Étant donné que nous changeons de civilisation, nous devons nous attendre à ce que nos instruments d’échanges évoluent. Concrètement, nous passons d’une société hiérarchique à une société organique dont la nature des échanges se diversifie en distinguant :
    • Les échanges de biens et de service liés au court terme (espace productif),
    • Des échanges sociaux et culturels liés au long terme (espace contributif).

 

Petite histoire du bitcoin

La blockchain est fortement liée au bitcoin, car c’est à travers de cette technologie qu’est expérimentée à grande échelle la monnaie numérique (cryptomonnaie).

Pour ce qui est du fonctionnement du bitcoin, ses créateurs ont cherché à théoriser la création monétaire en s’inspirant de l’époque de l’étalon or : une masse monétaire qui croit au fur et à mesure que de nouveaux utilisateurs apparaissent, puis devient constante.

  • 19 août 2008 : Satoshi Nakamoto (pseudonyme) réserve le nom de domaine bitcoin.org,
  • 17 août 2010 : Le bitcoin vaut 0,06 €
  • Juin 2011 : première marque d’attention dans les médias qui entraîne une 1ère bulle spéculative.

À l’époque, être mineur est une opportunité car l’investissement dans les moyens techniques est encore relativement modeste et les gains sympathiques,

  • 2013 – 2014 années des turbulences et de début de reconnaissance : avec le drame chypriote mais aussi la reconnaissance par l’Allemagne et Baidu qui accepte les paiements en bitcoin,
  • 17/11/16 au pot d’inauguration de la nouvelle maison du Bitcoin à Paris, le cours du bitcoin est à 694,70 €.

Important : l’achat de bitcoin se fait à travers des plateformes spécialisées sur lesquelles les mineurs vendent les devises qu’ils ont gagnées par leur travail. Ainsi, il est faux de dire que le Bitcoin est adossé à une devise institutionnelle.

Cependant, le caractère spéculatif de cette devise est réel, du moins tant que la quantité de bitcoin mis en circulation se poursuit. Ce sont les grands mineurs, les mieux équipés, qui profitent de cette croissance.

 

Décryptage

Lorsque les Américains ont lancé l’Internet à travers le monde, ils ont persuadé des créateurs d’entreprise de se saisir de cette opportunité pour créer des startups capables d’offrir des services sur le réseau. En effet, pour qu’un réseau ait des utilisateurs actifs, il faut qu’il ait des offreurs de service.

Dans un premier temps, il faillait des créateurs de service locaux, qui offraient des services dans la langue et avec la logistique du pays. La bulle Internet de 2000 a eu pour objet, non avoué, de prendre le contrôle financièrement des belles startups à travers le monde.

À présent, le réseau Internet est mondial. Il fait est implicitement sous le contrôle des GAFAM et de leurs satellites qui continuent de croître en achetant les belles startups.

 

Le bitcoin se positionne jour après jours comme une monnaie transnationale capable de servir de relais au système monétaire en cas de crise généralisée.

Devenir mineur devient une affaire de pro en raison des investissements nécessaires qui sont devenus sans commune mesure par rapport aux années 2010.

Ainsi, bien que fondamentalement décentralisé, la structure fonctionne de manière contrôlée.

 

Une autre idée des monnaies

Mais, le bitcoin peut être aussi vu, vis-à-vis des monnaies à venir, comme ce qu’a été le minitel face à l’internet : un démonstrateur qui met en évidence les limites techniques et sociétales et qui permet de concevoir des innovations.

Par exemple, des monnaies contributives se dessinent déjà en prolongation des cartes de fidélité ou des comptes individuels sociaux qui ont pour finalité de récompenser des comportements souhaités (carte de fidélité) ou vertueux (comptes personnels). Pour faire fonctionner ces monnaies, il est important que les états en maîtrisent les règles d’interopérabilité car ces règles vont être appelées à contenir des considérations fiscales.

Ces règles sont destinées à être connues de tous et permettent de faire des prévisions, ce qui va radicalement simplifier la vie des citoyens et de tous les autres agents économiques.

 

Ethereum

La blockchain fonctionne en créant un réseau composé d’ordinateurs qui, à eux tous, constituent la puissance et la fiabilité du système. Le Bitcoin est dédié à sa monnaie, qu’il gère et qu’il fait circuler.

En 2013, Vitalik Buterin, un jeune informaticien russe vivant au Canada jette les bases d’un autre réseau qui va s’appeler Ethereum. Il est ouvert de manière à permettre de sceller toutes sortes de contrats, de faire du traçage ou encore de la certification. Ceux qui parlent d’application utilisant la technologie blockchain parlent en général de ce réseau. Constituer un réseau entièrement privé est une opération lourde.

Les mineurs sont rémunérés en Ether. Ce réseau a donc sa propre monnaie.

Comme le bitcoin, ce réseau a connu ses drames, en particulier durant l’été 2016 avec le détournement des fonds de TheDAO qui a indirectement mis en évidence les dangers liés à la rébellion des mineurs.

 

Nature de la révolution annoncée

La promesse des blockchain, c’est la désintermédiation. Les fonctionnaires du cadastre, les notaires, les assureurs, les banquiers… toutes les professions qui certifient des actes sont concernées.

Par exemple, un projet en cours à Léonard de Vinci sous la direction de Jean Marie Nessi vise à faire en sorte que des groupements d’assurés s’assurent eux-mêmes à travers une blockchain, économisant les frais liés au fonctionnement des compagnies d’assurance.

Si la démonstration s’avère probante, les mécanismes financiers vont être profondément bousculés puisque l’assuré verse actuellement 200 € pour une couverture potentielle de 100 €.

Les projets mettant en œuvre la blockchain ouvrent immanquablement des débats sur la confiance et sur l’uberisation de l’état et de ses mandataires.

Mais nous n’en sommes qu’au début.

Sur le plan technique, des problèmes de charge restent à démontrer : par exemple, le minage nécessite beaucoup d’énergie, ce qui n’est pas très tendance, même si cette énergie commence à être récupérée pour alimenter des chaufferies.

Ce qui est certain, c’est que cette technologie doit être expérimentée et fiabilisée.

Mais, en parallèle, nous devons repenser les bouleversements sociétaux rendus possibles : un modèle de société de plus en plus immatériel qui n’est plus hiérarchique, mais organique, avec, notamment, des facilitateurs technologiques qui libèrent l’homme des tâches de contrôle et qui favorisent la confiance.

 

Une opportunité pour l’Europe

La blockchain est une technologie per to per. À ce titre, elle est adaptée à la culture Européenne. De plus, elle émerge en même temps que les objets connectés, ce qui accélère la restructuration de nos besoins numériques, notamment en termes de réseau et de traitement.

Ce basculement est donc une réelle opportunité pour la vieille Europe, mais pour qu’elle en profite, il faut qu’elle reconfigure ses institutions. Pour le moment, les déchirements politiques actuels entre la radicalisation et le progressisme occultent cette urgence.

Car en la matière, il y a urgence : les progrès que nous ne faisons pas, d’autres les font et nous les imposeront à leur profit.

Comme souvent dans les innovations, les faits techniques ne sont que la partie ludique de la phase historique. Le succès dépend de la capacité de la communauté à innover sur le plan politique et stratégique.