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Le microcapitalisme

Ce livre, très documenté, explique fort justement le changement de paradigme qui s’opère via le développement de l’économie dite « collaborative », c’est-à-dire celle des plateformes qui permettent à des particuliers de louer certains de leurs biens et une partie de leur temps.

Airb & b ne possède aucune chambre, mais menace l’industrie hôtelière : cet exemple montre que le capital éparpillé dans la foule devient plus puissant que celui concentré entre les mains de quelques-uns !

Partant de ce constat, François-Xavier Oliveau annonce un changement profond de notre modèle économique et social.

La force de l’économie collaborative a de quoi impressionner, effectivement. Mais elle nous dit autre chose de plus important encore : si les Hommes sont prêts à louer des objets aussi intimes que leur chambre à coucher ou leur cabane roulante (la voiture familiale), c’est que leur vision du monde change profondément.

L’Homme de Cro-Magnon ne transportait pas ses outils. Il les laissait sur place pour la tribu suivante ou pour lui-même lors de son prochain passage. Ses outils étaient simples et banalisés. Aujourd’hui, bien que nettement plus élaborée, une cuisine équipée se distingue tout juste d’une autre cuisine par sa couleur ou ses réserves d’épicerie. Elle vient de chez Ikea, de Lapaire ou bien elle est faite d’objets qui ont une histoire… et que dire d’une voiture, à part le nombre de place et sa marque dont les équipements sont forcément banalisés…

Ainsi, le changement de structure du capital potentiellement productif n’est qu’un des signes qui amorce un changement de vision du monde : pour les générations montantes, l’important devient ailleurs que dans l’accumulation de biens matériels.

A quoi cela sert-il d’avoir une belle maison si personne n’y vient jamais ? Est-ce important de savoir que mon voisin a une plus belle voiture que moi puisque je ne suis pas dans le besoin et je suis heureux auprès de mes proches, dans mon job et dans mes engagements associatifs.

 

Brève histoire de notre système monétaire et social

François-Xavier Oliveau rappelle que le système dans lequel nous vivons a été construit au fil du temps et plus particulièrement au lendemain de la dernière guerre mondiale où la France était à reconstruire physiquement, socialement et économiquement.

C’était l’économie de la demande où les Français manquaient de tout et les progrès techniques leur apportaient un confort croissant. Il y avait du travail pour tous et même au-delà. L’espérance de vie des travailleurs était inférieure à 70 ans. L’occident produisait essentiellement pour lui-même. Les matières extractives semblaient inépuisables ou du moins substituables grâce aux progrès. Le mot pollution était inconnu de tous.

Le PIB était l’indicateur sympathique qui affirmait que l’économie prospérait puisqu’il était en croissance : plus de 6 % ! Le système monétaire excitait les spécialistes mais pas le public : la dette publique semblait sous contrôle, même si le plan Marshal cachait ses secrets…

 

Nous voici un demi-siècle plus tard : le plan Marshal est fini. Le $, imposé comme monnaie d’échange internationale, est au bout de sa logique. Mais surtout, avec l’élévation du niveau d’éducation, l’Internet, l’intelligence artificielle, la miniaturisation et les préoccupations écologiques, chaque coin de la planète se préoccupe d’acquérir son autonomie industrielle et démocratique.

Les générations montantes veulent donner du sens à leur vie en réaction au consumérisme de leurs parents. Elles défient la finance qu’elles jugent cynique avec sa vision désespérément rivée sur le très court terme. Elles veulent une autre forme de démocratie et une forme de gouvernance basée sur l’encouragement aux bons comportements et aux initiatives positives. Elles se mobilisent pour faire émerger un vivre ensemble plus proche de la nature et des individus.

 

Changement de modèle de société

Depuis au moins 6 000 ans, l’organisation hiérarchique est la base de la puissance collective des humains : le chef de tribu ou le propriétaire organise de manière autoritaire le travail de la communauté et ses relations avec les voisins.

Jusqu’à présent, tous les citoyens devaient consacrer le meilleur de leur temps à produire des biens et des services et quelques-uns devaient faire fonctionner la hiérarchie. Il fallait dompter la nature pour qu’elle produise de quoi nourrir les hommes. Il fallait extraire de la matière pour produire des outils, des armes et tout ce qui est nécessaire pour couvrir les besoins primaires des citoyens.

Au lendemain de la dernière guerre mondiale, nous avons procédé à un rattrapage pour redonner à chacun ce qu’il avait perdu et même au-delà. Nos usines ont franchi un cap en matière d’efficacité et rapidement, il a fallu vendre notre surproduction au reste du monde.

À présent, avec la permaculture, nous savons rendre la nature efficace sans pour autant l’épuiser. Avec les progrès technologiques et organisationnels, nous savons faire en sorte que les machines produisent les biens et les services qui nous facilitent la vie. Nous nous tournons vers un monde où l’intelligence sous toutes ses formes devient la richesse du pays. Cette forme de richesse ne s’accommode pas du système hiérarchique qui écrase les talents et les savoirs et qui éloigne la prise de décision de l’action.

Cestes, il demeure nécessaire de défendre son territoire géographique, mais il devient aussi nécessaire de défendre son territoire culturel. Ceci induit l’idée que nos outils de gouvernance vont devoir se complexifier.

 

Indicateurs de richesse

La croissance du PIB supérieure à 6 % est un épisode historique dans l’Histoire. Les études tendent à montrer que la croissance normale oscille en 1 et 1,7 % selon les évolutions démographiques, les périodes de progrès, les variations climatiques, les guerres et les épidémies… etc.

Actuellement, l’occident entre dans une période de décrue démographique et, par ailleurs, les progrès ne visent pas à rendre les produits plus cher, bien au contraire, les coûts de production s’effondrent en raison de la forme de réindustrialisation que nous développons : produire au plus près des consommateurs, la juste quantité au bon moment tout en étant le plus économe en ressources extractives, énergétiques, humaines et financières.

Si les biens et les services que nous achetons contiennent de moins en moins de main-d’œuvre et de plus en plus d’intelligence collaborative. Tout doit être beau et facile à utiliser. Le recyclage est pensé dès la conception. La réparabilité et la partageabilité deviennent une exigence.

Les starups se créent avec peu de capitaux. Elles se développent soit en allant s’agréger dans un agrégat d’autres startups (stratégie de Gafa et Batx dont la capitalisation est artificiellement gonflée), soit par la volonté collective (tendance émergente, mzis qui a besoin d’être développée avec des outils tels que le crowdfunding, la commande publique, la commande citoyenne …).

Avec les optimisations fiscales et les abus en matière d’exploitation des données personnelles, les citoyens deviennent sensibles aux acteurs locaux qu’ils peuvent soutenir et sur lesquels ils peuvent agir.

Peu à peu, la compétitivité des nations se joue sur leur capacité à faire émerger des talents, à enraciner des savoirs et à encourager les initiatives créatives.

Le mot collaboratif est mis à toutes les sauces en lieu et place du mot performance. Pour être performant, il faut susciter la collaboration.

Collaborer n’est pas suffisant dans ce nouveau modèle de société. Il faut aussi accumuler du savoir, le faire circuler parce qu’en circulant, il prospère. Il faut aussi le mettre en action, parce que confronté à l’innovation, il se décuple. Le savoir appartient à la communauté. Sa prédominance dans la création de richesse va bouleverser notre paradigme.

Nous n’avons pas d’indicateurs qui nous permettent de savoir si nous faisons évoluer notre économie dans le bon sens. Les tentatives, dont celles de think tank FAIR (forum pour les autres indicateurs de richesse) n’ont pas à ce jour proposé de pistes exploitables : que voulons-nous mesurer exactement ? Il faut donc prendre la question autrement.

 

Le libéralisme à l’épreuve de ce désir de coopération

L’Homme se distingue des autres mammifères parce qu’il est capable de collaborer à condition qu’il soit respecté par la communauté. Il ne peut pas vivre seul, mais il ne supporte pas d’être exploité. Comme tous les mammifères, il déteste l’injustice.

Il préfère contribuer à la prospérité de la communauté plutôt que de se concentrer pour ses propres intérêts car l’estime de soi correspond à un besoin vital. Le consumérisme qui termine l’épisode industriel de son Histoire n’est pas un bon souvenir pour lui : les dirigeants de cette époque avaient décidé qu’il était égoïste et ils l’ont géré comme tel. Voilà pourquoi, à présent, il défie ces dirigeants (banquiers, juges et hommes politiques) en se radicalisant ou en allant chercher des candidats improbables aux fonctions suprêmes. Il cherche un nouveau modèle de société et se prépare au changement.

 

François-Xavier Oliveau repart astucieusement de la constitution pour reconstruire un modèle social plus conforme au monde qui vient, tout en restant fidèle aux valeurs qui nous lient. Il insiste sur la notion de liberté : chacun doit pouvoir organiser sa vie comme il l’entend tout en respectant les autres, évidemment.

Lors de la Révolution française, la notion de liberté était au cœur du changement attendu. Pour les générations qui montent, elle est une évidence.

Les parents d’Emmanuel Macron n’ont jamais imaginé que leur bébé allait un jour diriger la France. Louis XIV pouvait l’espérer dès son premier cri.

Les générations montantes sont préoccupées par la forme de démocratie dans laquelle elles vont vivre, se réaliser et créer une famille. Elles tiennent à la souveraineté de leurs communautés : en particulier, ses infrastructures et ses données.

Produire des biens et des services devient une affaire de machines et de gouvernance des ressources. La géopolitique et la démocratie deviennent donc des sujets importants.

Le bien commun devient le cœur de la capacité à créer de richesse : puisque les machines se préoccupent de satisfaire les besoins à court terme des individus, les hommes doivent se concentrer sur la satisfaction des besoins à long terme de la communauté.

Dès lors, il devient nécessaire de répondre à une question à la fois archaïque et complètement nouvelle : comment encourager les citoyens à contribuer à l’enrichissement de la communauté.

Le citoyen ne veut pas plus de liberté, il veut être reconnu dans ses contributions à la qualité de la vie de sa famille et de la communauté, au partage du savoir, à l’innovation, à la démocratie et même à la spiritualité car le monde de plus en plus technologique pose des problèmes éthiques de plus en plus pointus.

Cette forme de contribution n’a pas de métrique. Elle est donc impossible à marchandiser. Elle n’est d’ailleurs pas marchandisable car elle ne garantit aucune profitabilité à l’échelle d’un individu, ni même d’une génération.

Il ne s’agit pas de bouleverser le modèle, hérité des 6 000 ans d’Histoire, qui a permis de développer le système agraire, puis industriel. Il s’agit de le compléter de manière à ce que les Hommes puissent satisfaire ce besoin nouveau.

Le système de protection sociale est de toute évidence dépassé, le système capitalistique de plus en plus aberrant et le système judiciaire et réglementaire à bout de souffle. Nous avons besoin de les faire évoluer et de les compléter.

 

Monnaie hélicoptère et revenu de base

François-Xavier Oliveau rappelle le principe de la monnaie hélicoptère qui a séduit Mario Draghi et fait rire ses conseillers : la Banque Centrale Européenne (BCE) émet de la dette qui est acquise par le système financier. Au lieu de circuler dans l’économie réelle, elle se retrouve essentiellement dans la sphère financière, ce qui ne dynamise pas le tissu entrepreneurial. Alors, pourquoi ne pas l’adresser directement aux ménages qui, dans leur majorité l’y injecteront immédiatement ?

Mais, François-Xavier Oliveau ne développe pas cette hypothèse. Il propose le revenu universel. Il en profite pour faire un plaidoyer de très bonne qualité, en reprenant les meilleurs arguments en circulation au MFRB (Mouvement Français pour le Revenu de Base) et les remarquables travaux de Marc de Basquiat.

Malgré tout, le lecteur reste dubitatif, tout comme il l’a été en écoutant Benoît Hamon durant la campagne présidentielle de 2017. Quelque chose cloche : recevoir quelque chose de la communauté contre rien n’est pas naturel, voir même pervers.

Chacun reçoit la vie de ses parents et, normalement, il leur témoigne en retour toute la sollicitude possible.

Certains penseurs d’une économie hautement robotisée proposent de verser à chacun un pécule minimum de manière à faire tourner l’économie sans travailleurs. Le montant de ce pécule est déterminé, dans un pays donné, par ce que coûte un pauvre à la communauté. Le pauvre, ainsi traité, entend le message suivant : « ôte-toi de mon regard, toi l’inutile » ! Ceci ne peut aboutir qu’à la révolte des rebelles et l’effondrement du reste de la population abandonnée à l’indifférence générale.

Cet effondrement est un drame pour ceux qui sont directement concernés. Il est aussi un drame pour la communauté. Parmi eux se trouvent statistiquement des talents d’exception et toutes sortes de belles personnes qui ne demandent qu’à se révéler.

Voilà pourquoi il ne faut pas donner le revenu de base contre rien. Il faut le donner contre une contribution à la vie de la communauté. Mais il faut le verser dans une monnaie spécifique, interopérable avec la monnaie marchande selon certaines règles, ce qui est possible avec les crypto-monnaies.

Tout le monde doit être tour à tour consommateur et producteur de prestations qui enracinent et développent le mieux vivre en famille, dans la commune, dans les associations, dans les systèmes de partage de savoirs, dans les fabLab, dans les partis politiques, dans les églises… Mais également dans les tâches empathiques liées aux résolutions de conflit et aux soins des personnes et du monde vivant. Chacun peut contribuer selon ses attirances et ce, aussi longtemps que Dieu lui prête vie et l’appétence.

Cette forme de gouvernance invite implicitement chacun à s’impliquer dans la vie de sa famille, de sa commune et de ses domaines de prédilection. Il n’impose pas de « faire société », il incite chacun à le faire, ce que le modèle consumériste ne fait pas, générant de nombreux défauts comportementaux et sanitaires.

Il peut se faire que certains soient trop sollicités par leur vie strictement professionnelle. Alors, ils paient en monnaie marchande les prestations qu’il devrait normalement payer en monnaie complémentaire.

Cette approche est plus révolutionnaire que le simple revenu de base puisqu’elle amène à compléter le système monétaire marchand avec un système monétaire non marchand. Elle correspond mieux aux besoins de notre époque et elle prêt moins le flanc à la domination perverse.

 

Impôt & pensions, marchand et non marchand

Avant l’impôt, il y avait les corvées. Tour à tour, les membres de la communauté accomplissaient des tâches nécessaires à l’entretien et au développement du bien commun. Mais les puissants s’affranchissaient de ces tâches en payant ceux qui le faisaient à leur place. Il est donc apparu plus simple de faire payer l’impôt à tout le monde et, avec l’argent collecté, de payer ceux qui réalisaient les corvées.

Il n’en reste pas moins vrai que les communautés ont besoin de biens et de services et parmi ces services, certains peuvent être remplis par les citoyens eux-mêmes, contre rémunération en monnaie complémentaire.

La fin du service militaire a permis de comprendre la valeur sociale du brassage que permettait ce don à la nation.

Le numérique commence à modifier profondément le rapport des citoyens à la chose publique : celle-ci devient un service facilitateur et non plus une administration tatillonne, attachée à ses prérogatives. Le changement de mode de gouvernance qui en résulte est propice à la mise en place de cette logique.

La question de l’impôt s’en trouve modifiée : il n’est plus seulement basé sur l’activité strictement marchande, mais aussi sociale, car tous les revenus, quelles que soient les monnaies concernées, sont imposables puisque chacun est partie prenante de la qualité de vie de la communauté et du dynamisme du tissu entrepreneurial.

Le revenu de base est donc conditionné à une contribution au développement du bien commun. Il est versé pour une part en monnaie marchande et pour une autre part en monnaie complémentaire. Ces monnaies sont capitalisables dans des projets de startups ou dans l’ESS. Cette capitalisation sert aux retraites et aux pensions.

Cette proposition offre une liberté sereine à chaque citoyen : à chaque étape de sa vie, il reçoit et il donne en fonction de ses capacités et de son histoire personnelle.

C’est avec une telle approche que nous pourrons sortir du schéma capitalistique actuel qui devient chaque jour un peu plus dangereux pour notre environnement, nos vies privées et notre souveraineté.

Complexe mais passionnant : comme toujours, pour trouver des idées neuves, il faut créer un cercle magique : « ce serait formidable si… » et construire son idéal à l’intérieur. « Ce serait formidable si la société, devenue capable de répondre aux besoins physiques et physiologiques elle se préoccupait aussi de l’accomplissement des Hommes ».