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L'approche par la futurologie

La démonstration qui va être faite s’appuie sur une démarche de futurologue.

La futurologie s’intéresse au moyen terme et au long terme. Elle a pour objet de tracer les évolutions probables d’une problématique en fonction de ce que nous connaissons de son passé immédiat et surtout de son passé fondateur (passé profond). Cette manière d’aborder le futur, inspirée des mécanismes de nos prises de décisions lorsque nous ne sommes pas sous influence a pour objet de rechercher la continuité de pensée des hommes et des femmes impliqués dans la problématique étudiée.

 

Changement : priorité au social et au culturel

Selon un consensus en cours, le monde change. La question est de comprendre pourquoi afin d’imaginer les opportunités et les évolutions auxquelles nous devons faire face pour saisir ces opportunités.

Nous abordons un virage en épingle dans l’histoire de l’Humanité.

Il peut se résumer comme ceci : après avoir centré nos activités dans la sécurisation des besoins primaires du plus grand nombre de nos congénères, nous abordons la satisfaction de nos besoins collectifs à moyen et long terme.

Actuellement, les ingénieurs répondent aux défis de la sortie du « travail » sous ses formes laborieuses, dangereuses ou encore fastidieuses. Ce sont les travailleurs sociaux qui vont inventer les prochains progrès attendus.

Les objectifs attendus sont connus : la nouvelle forme de compétitivité des nations se joue sur leur capacité à enraciner les savoirs sur le territoire et à y faire prospérer des talents, soit en les valorisant, soit en les attirants. Ceci s’obtient en se dotant d’une organisation qui favorise un terreau social et culturel de haut niveau.

Le rôle des travailleurs sociaux va devenir déterminant, mais, bien entendu, leurs rôles vont évoluer.

 

Les fondamentaux du changement de civilisation

Le changement de civilisation est habituellement caractérisé par l’apparition simultanée de 3 évènements : nouvelles formes d’énergie, de mode de communication et de vision du monde.

En matière d’énergie et de communication, nous passons en mode réseau. En matière de mode de pensée, nous remettons en cause les premiers versets de la genèse où Dieu dit à l’homme : « tu trouveras dans la nature tout ce dont tu as besoin ».

À présent, nous prenons conscience que nous ne pouvons pas dominer la nature, nous devons nous comporter comme toutes les autres espèces : composer avec elle. Ceci nous amène à passer de la loi du plus fort à la loi du plus adaptable.

 

Fin des systèmes hiérarchiques

… Et pour s’adapter à cette nouvelle donne, il faut apprendre à coopérer avec ses proches et avec son environnement. Ainsi, les organisations hiérarchiques apparaissent inappropriées car elles ont 2 défauts :

  • Elles éloignent le lieu de l’action et celui de la décision, ce qui est mauvais pour la réactivité,
  • Elles écrasent les talents, ce qui est mauvais pour la créativité.

Le modèle hiérarchique est adapté à la prédation. Jusqu’à présent, notre modèle de société est en partie basé sur la prédation : la prédation de la matière, du vivant et du pouvoir et, en dernier lieu, de la finance. Or, seul, l’homme ne peut rien faire. Il est contraint de vivre en société et pour que cette société soit efficace, il faut qu’il passe de bons deals avec ses voisins qui détiennent des richesses ou des savoirs faires qui lui manquent. La prédation entre les Hommes est un fléau.

Contrairement à toutes les autres espèces vivantes sur cette terre, l’Homme n’a pas de prédateurs externes. Il doit réguler lui-même sa démographie, ce qu’il fait mal depuis le 20ème siècle. La recette est pourtant connue : culture, formation et coopération. L’Homme ne doit pas détruire ses congénères, mais réguler sa démographie comme le font toutes les autres espèces.

 

Passage aux organisations organiques

Pour ces deux raisons, nous passons aux organisations organiques, qui sont les plus courantes dans la nature. Ces organisations sont fractales : tout se décide du plus près de la manière au plus global du cosmos (ou spirituel).

L’organisation organique que nous connaissons le mieux est celle de notre corps. Aucun organe ne gouverne l’ensemble. Lorsqu’un organe rencontre des difficultés, les autres s’activent pour favoriser son rétablissement. Lorsque nos organes fonctionnent bien, nous sommes efficaces et normalement agréables pour les autres. Ainsi, nous favorisons la prospérité de notre communauté. La communauté a donc intérêt à ce que chacun de nous aille bien, car si elle va bien, elle aura des relations constructives avec ses voisins…

 

Sortir d’une numérisation archaïque

Notre vie est de plus en plus numérisée. Les architectures actuelles des systèmes qui se cachent derrière cette numérisation à outrance ont une structure hiérarchique. En effet, pensés au 20ème siècle, elles sont centralisatrices, ce qui est logique puisqu’elles ont pour finalité de nous influencer et indirectement de normaliser nos comportements.

Mais ceci heurte nos sensibilités culturelles et entrave notre évolution sociétale. Cela ouvre des opportunités pour l’Europe qui a été tenue à l’écart du développement de la 1ère génération de l’Internet.

En effet, se départir de l’emprise des GAFA (USA) et des BATX (Chine), cela semble de la pure fiction pour la plupart d’entre nous. Mais peut-être pas pour ceux qui sont prêts à offrir à leurs enfants un monde plus mature. Si l’Afrique est reconnue comme le berceau de l’humanité, l’Europe est le berceau de la démocratie, des droits de l’homme, de la Sécurité sociale, de l’Open Source ou encore du P2P (connexions d’ordinateur à ordinateur dans un réseau télécoms maillé), dont une des applications est Skype.

Nous avons l’opportunité de construire l’architecture numérique qui correspond à notre vision du vivre ensemble et qui n’entrave pas notre évolution sociétale, dont sa dimension démocratique. Ceci est d’autant plus possible que nous passons à la miniaturisation des machines et « l’algorithmisation » des concepts. Les investissements matériels sont donc de plus en plus à notre portée et les aspects logiciels de plus en plus adaptés à notre patrimoine culturel. Mais pour cela, il faut que nous en soyons conscients et que nous mobilisions notre volonté d’innover. Or, la bascule sociétale qui se présente à nous constitue une belle opportunité.

 

Urgence néanmoins

Nous amorçons donc un changement très profond de notre vision du monde. Sans doute plus profond encore que celui qu’ont connu nos aînés lorsqu’ils se sont sédentarités et qu’ils ont eu à faire face à des crises sanitaires et sociales d’un genre nouveau pour eux, liées à l’adaptation du corps mais aussi à l’apparition de la notion de propriété.

À notre tour, nous rencontrons des problèmes liés à la fin de l’époque que nous quittons : l’obésité, les cancers, les pollutions… Mais aussi les migrations, l’éparpillement de la pauvreté, la remise en cause des dividendes et plus largement des mécanismes monétaires qui portant sont la base de notre modèle de société.

L’ampleur des adaptations que nous avons à opérer est immense, mais nous n’allons pas disposer d’autant de temps que nos aînés car nous sommes bousculés par :

  • La démographie que nous gérons mal depuis le 19ème siècle,
  • Le dérèglement climatique qui est pour une part lié au problème de démographie,
  • Le développement ultrarapide du numérique qui reconfigure les flux de pouvoirs à tous les niveaux dans la communauté des Hommes.

 

Le parcours culturel de Sapiens

Alors pour comprendre ce monde qui vient et y construire des institutions efficaces, nous devons comprendre comment se sont forgées nos valeurs et comment elles évoluent.

Au commencement, nous avions un modèle de société matrilinéaire. C’est-à-dire que la priorité était d’assurer le renouvellement de l’espèce et son amélioration. La notion de propriété n’existait pas. Les hommes vivaient en tribus de petites tailles.

Puis, l’idée est venue, pour protéger les enfants et leurs mamans, de créer des réserves de nourriture, puis de cultiver certaines plantes et d’élever certains animaux. Puis, finalement de se sédentariser. Mais l’agriculture nécessite un apprentissage extraordinairement long. Alors, sous le poids de la crainte de manquer, Le modèle patriarcal s’est imposé et les pulsions de vie ont sensiblement cédé la place à des pulsions de mort. L’homme s’est mis à développer une tendance à l’accaparement.

L’agriculture est, encore aujourd’hui, une forme de lutte contre la nature. En s’engageant dans cette voie, l’homme est devenu fortement dépendant des phénomènes climatiques et à certains nouveaux microbes. C’est ainsi que sont apparus l’allégeance aux dieux et le début de la réflexion sur le fonctionnement du "vivre en société".

Installé dans l’ère agraire, l’Homme se tourne vers le monothéisme et accentue la hiérarchisation de la société et sa vision patriarcale. La pulsion de mort s’intensifie avec la militarisation et le développement des systèmes répressifs.

 

Avec l’avènement de l’ère industrielle, l’Homme pense se détacher des contraintes de la nature, il s’éloigne des religions et les critères financiers deviennent toujours plus pressants dans les décisions individuelles et collectives.

 

Et maintenant ?

Mais soudain, les valeurs basculent:

  • La pulsion de mort se dissipe : les guerres très technologiques sont inhumaines. Alors, on ne cherche plus à acquérir des terres mais de l’influence. Dans cette lutte, les salauds n’ont pas d’avenir.
  • Le modèle patriarcal s’effondre : la société doit pouvoir mettre en valeur tous ses talents, quel que soit le sexe. Car le talent est un des fondements de la création de la richesse dans l’économie de l’immatériel.

 

La restructuration du tissu économique

À Dans le même temps, l’industrie va se modifier en profondeur sous l’effet conjugué des 3 innovations : l’économie circulaire, la robotisation et les big data. Le but du jeu consiste à produire au plus près du consommateur la juste quantité au bon moment, en étant aussi économe que possible en ressources extractives, énergétiques et humaines.

En particulier, le fait de devenir économe en ressources humaines bouscule l’idée que nous nous faisons du travail et créer un basculement sociétal : des études convergentes montrent l’effondrement des classes moyennes qui ont été jusqu’à présent le socle de stabilité de notre modèle de société. Seules subsistent les tâches à faible valeur sociales et celle à très haut niveau d’expertise. Les tâches traditionnellement dévolues à la middle class deviennent inintéressantes puisque les machines les réalisent de manière plus performante. Les générations montantes n’en veulent plus, les investisseurs non plus. Les institutions qui tentent de les faire perdurer entravent notre évolution sociétale.

 

Les besoins permanents de créativité induits par l’économie de l’immatériel nécessitent le renouvellement constant des équipes. Ceci dérégule le monde du travail : tant les employeurs que les employés souhaitent privilégier la mobilité, alors que le modèle que nous quittons était basé sur la stabilité des carrières.

 

Un autre facteur bouscule notre modèle de société : l’économie de la fonctionnalité.

Les Sapiens, agriculteurs puis industrieux, deviennent « mobiles ». Sa caractéristique : éviter de posséder, préférence à la mutualisation des biens, pourvu qu’ils soient efficaces, propres et disponibles. Cette économie de la fonctionnalité chamboule, par exemple, l’industrie automobile, pilier historique de l’industrie allemande mais aussi en partie française.

Cette nouvelle forme d’économie impose la reconfiguration de la solidarité entre les hommes, car elle dépatrimoinise les familles.

 

Vaste programme, mais de toute manière, nous devions restructurer notre tissu entrepreneurial. Si au 20ème siècle il était pertinent pour les nations de faire émerger des géants capables d’aller à la conquête des marchés mondiaux, à présent, il devient nécessaire de développer un tissu entrepreneurial réactif, composé d’entreprises à taille humaine où les hommes y donnent le meilleur d’eux-mêmes. Ces entreprises, astucieusement maillées à travers des contrats basés sur des intérêts croisés bien compris et adossés à un réseau réactif de startups constituent une économie robuste car impossible à décapiter.

 

Ainsi, l’État n’est plus seulement le fournisseur de moyen les entreprises. Il veille à l’élasticité du tissu entrepreneurial et se pose en facilitateur entre les citoyens « investisseur, producteur et consommateur » et les entreprises. La démocratie économique se dessine à travers la forme non aboutie du crowdfunding et des budgets participatifs. La notion de souveraineté s’approche de l’idéal démocratique aussi difficile à atteindre que ne l’est l’agriculture idéale !

 

Évolution de nos institutions

Souvenez-vous : outre la famille, la société était gérée de manière bipolaire, à savoir l’Église et l’État. Les activités marchandes n’étaient pas directement dans le spectre du pouvoir visible car la priorité était donnée à l’accaparement des terres. Le savoir était transmis de manière orale à travers les familles.

Avec la révolution industrielle, la finance a pris de l’importance. Le savoir est devenu plus que jamais une affaire d’élite.

À présent, le savoir est ouvert à tous et deux activités humaines prennent de l’importance dans la compétitivité des nations : le secteur socioculturel et la capacité d’innovation.

En poussant le raisonnement un peu plus loin, on assiste à une sorte de repolarisation de la société avec :

  • les activités contributives dédiées à la satisfaction des besoins primaires des hommes, donc à court terme,
  • les activités contributives dédiées aux évolutions des communautés donc dédiées au long terme.

La révolution qui s’annonce concerne la prise en compte de cette dualité selon laquelle chacun doit pouvoir combiner des activités productives et des activités contributives, tout au long de son parcours de vie puisque la communauté des hommes a besoin de cette dualité.

Notre système économique n’est pas outillé pour favoriser les activités contributives puisqu’il les dédie au bénévolat et au volontariat :

On ne vous demande pas de faire des enfants, mais si vous en faites, on vous demande de les réussir. On ne vous demande pas de consacrer du temps à l’innovation ou à la démocratie, mais si vous le faites, ce sera mieux pour la communauté.

 

Renouveau des métiers liés au social

Dans les tâches contributives, il y a les tâches empathiques, celles qui sont dédiées aux résolutions de conflits sanitaires, économiques ou autres.

Pour faire cela actuellement, les gouvernants utilisent des institutions telle que la justice, la santé ou encore la fiscalité… etc. Mais cette approche a des limites de complexité et d’inefficacité, voire même de déviance.

Déjà, la santé se restructure progressivement autour de 3 piliers : le prédictif, le préventif et seulement en dernier recours le curatif. Autrement dit, elle se rapproche du modèle en vigueur dans tous les organes vivants. Ces organes n’ont pas de juges ou de médecins ni plus généralement d’institutions autoritaires. Ils sont fondamentalement conçus pour faire du prédictif et du préventif !

La prédictivité est devenue possible grâce au numérique. Son arrivée dans la chose sociale devient donc possible, mais l’apprentissage va être long. Par exemple, il nous confronte à une forme de transparence assez crue. Il ne parle que du passé dans lequel nous avons tendance à nous enfermer par commodité car il nous laisse sans arme face au futur… ect.

 

Besoin d’outils de gouvernance supplémentaires

Actuellement, les états tentent de faire cette évolution avec de « l’argent dette », c’est-à-dire de l’argent qui a été conçu depuis plus de 10 000 ans pour favoriser les échanges entre les hommes qui créent des richesses destinées aux besoins primaires, c’est-à-dire ceux qui s’usent quand on s’en sert.

Les besoins secondaires tels que la culture, le savoir, la démocratie… Au contraire, se bonifient lorsque l’on s’en sert. Rien à voir avec la rareté des biens productifs. Nous allons devoir être imaginatifs pour créer le système d’échange dont ce nouvel espace social a besoin. Les universitaires y sont peu présents. En revanche, les think tank et les do tank s’y multiplient.

Les nations attractives seront celles qui font évoluer leurs institutions vers dans ce sens.

 

Développement de nos capacités sociales

Si par le passé une poignée de sachants pouvait prétendre faire tourner le monde, à présent, il est préférable de puiser sa richesse de toutes les formes d’intelligence éparpillées dans la société.

Cela nous amène vers des formes de gouvernances plus complexes. La granularité du pouvoir et son agencement dans une dynamique cohérente deviennent un problème entièrement nouveau pour la communauté des hommes.

Pour le moment, nous sommes centrés sur le « CO » : collaboration, coconstruction, cogestion… Mais ces nouvelles organisations sont en devenir nourrissant cette atmosphère de renaissance qui nous mobilise.

Les codes sociaux évoluent en cette période postindustrielle. Nous prenons conscience des dangers de nos biais cognitifs et des comportements déviants. Il ne s’agit pas de les éradiquer, mais simplement de les identifier et de les traiter avec discernement sans entraver la diversité humaine qui est inhérente à la vie.

 

Retour à la pulsion de vie

Ainsi, nous en revenons en quelques sortes aux valeurs matrilinéaires, mais évidemment de manière plus complexe. En effet, avant de se sédentariser, l’Homme consacrait la moitié de son temps aux relations sociales. Puis le travail a pris ce temps. À présent, dans la société que je vous ai décrite, l’homme souhaite et a besoin de se partager entre 3 types d’activités : productives, contributives et empathiques dont les prémices sont nos métiers sociaux actuels. Ils vont s’imposer comme les plus décisifs dans la compétitivité de la nation. Or, la compétitivité, c’est la vie, celle qui fait qu’il y a progrès.

Dans ce contexte, les métiers liés à la prévention, à la médiation, et au curatif deviennent stratégiques et nécessitent talents et savoirs faire. Ils vont se professionnaliser davantage.