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Nature de la mutation en cours

Le pacte social

La monnaie que nous utilisons actuellement a permis de développer toute la période de sédentarisation jusqu’à nos jours. Elle permet à chacun de contribuer à la création de richesses au mieux de ses moyens, de ses talents et de ses savoirs. La richesse crée est partagée à travers le système des paiements : temps contre et/ou prise de risques contre de la monnaie.

À présent, un nombre croissant de tâches sont déléguées aux machines. L’Homme se réserve les tâches créatives, décisionnelles et managériales (job « de rêve ») ainsi que celles que les machines ne savent pas encore accomplir (les jobs « de merde »). Ainsi, l’emploi tel que nous l’avons stabilisé durant le 20ème siècle disparaît et devient instable. En effet, ni les bons jobs, ni les mauvais ne peuvent être pratiqués durablement : on ne peut être créatif à jet continu et on ne peut accomplir une tâche abrutissante toute sa vie au 21ème siècle.

Ainsi, pour la première fois depuis la sédentarisation, la classe moyenne se trouve progressivement exclue du système socio-économique qui a fait ses preuves depuis plus de 30 siècles.

 

Les critères de compétitivité

Dans le même temps, la notion de compétitivité, dont les nations ont besoin pour progresser, évolue. Par le passé, il s’agissait d’aller capter les richesses du voisin en s’arrogeant ses biens, ses terres, ses minerais ou en esclavageant sa population. Avec la mondialisation, il s’est agi d’affaiblir les capacités économiques des uns pour dominer les marchés.

À présent, avec le développement inéluctable de l’économie circulaire, la compétitivité consiste à avoir des échanges de haut niveau avec le reste du monde, étant entendu que chacun s’efforce de produire lui-même de quoi satisfaire le plus possible ses besoins primaires.

L’économie circulaire qui s’impose consiste à produire la juste quantité au bon moment et au bon endroit en étant aussi économe que possible en énergie, en ressources extractives et en intervention humaine. La vie en autarcie étant mortifère, pour exister il faut avoir soit des matières premières, soit des produits d’exception à proposer. Voilà pourquoi les talents et les savoirs deviennent plus que jamais stratégiques.

Ainsi, la souveraineté passe par la création d’un tissu entrepreneurial créatif et réactif.de ce fait, les luttes entre zones géopolitiques se jouent pour une large part sur la capacité à attitrer et enraciner des savoirs, mais aussi à attitrer et faire prospérer des talents.

La stratégie d’accumulation de savoirs et de talents se joue de deux manières : soit en ayant une population pléthorique, soit en faisant fructifier le plus possible son vivier potentiel de talents.

Pour la seconde option, qui nous concerne plus particulièrement, il faut permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même durant les 6 étapes de son parcours de vie :

  1. Je nais : j’ai besoin d’amour et de soins,
  2. J’apprends : j’ai besoin d’espaces d’initiatives,
  3. Je fais : j’ai besoin de réseaux pour me former et pour évoluer,
  4. J’innove : j’ai besoin de croiser les savoirs et mutualiser les moyens,
  5. Je transmets : j’ai besoin de lieux d’échanges,
  6. Je me rends utile et bienveillant : j’ai besoin de proximité avec mes semblables et d’accompagnement matériel et affectif.

 

Le modèle social actuel ne récompense que l’étape 3, mais il est mal outillé pour faire face aux nouvelles réalités : carrières en forme de confettis avec virements de bord multiples.

Les étapes 2, 4, 5 et 6 sont mal ou pas outillées du tout. Elles sont, pour une large part, considérées comme relevant du bénévolat et du volontariat. C’est-à-dire qu’elles sont considérées comme ne créant pas de valeur et relevant simplement de l’ordre des choses de la vie.

Or, elles deviennent nécessaires au bon fonctionnement de la vie socio-économique pour prévenir et gérer les tensions croissantes sur le plan social, financier et cognitif. Elles sont surtout nécessaires pour assurer une continuité harmonieuse de transmission des savoirs et de l’expérience acquise. Elles doivent donc être prises en compte par le système sociétal.

En effet, le volontariat n’est pas stable puisque au moindre incident, le volontaire se replie. Il faut donc en permanence renouveler le cheptel de volontaires.

Quant au bénévolat introduit toutes sortes de dérives puisque les intéressés y poursuivent des objectifs personnels qui ne sont pas toujours concordants avec l’objet de l’association dans laquelle ils s’impliquent.

 

Pour développer une nouvelle forme de prospérité

Dans les années 80, les chinois commençaient à être perçus comme menaçant vis-à-vis de l’occident car, sortant progressivement de l’extrême pauvreté, ils parvenaient à emporter des marchés de plus en plus significatifs. Ils se montraient humbles et disaient : « notre seule richesse, c’est notre travail ». Dans le monde des startups, on répète en l’envie : « le meilleur capital est celui que l’on fabrique soi-même ». De nombreux exemples historiques nous rappellent que l’on peut faire beaucoup avec « ce dont on dispose ». Ce qui compte, c’est d’avoir un objectif partagé avec sa communauté.

En Europe, nous avons à reconstruire notre tissu entrepreneurial pour l’adapter au 21ème siècle. Nous ne sommes pas dans la même situation que la Chine des années 70 : nous terminons un cycle économique qui voit la fin des entreprises géantes, handicapées pour s’intéresser au long terme. La Silicon Valley nous a appris qu’il est préférable de se tourner vers un autre modèle : un tissu d’entreprises à taille humaine, astucieusement maillées[1] et adossées à un vivier de startups. Ce vivier, gérées avec pugnacité, créent de la valeur innovante, à moindre coût, selon le processus « essais / erreur », universellement appliqué dans la nature.

Le système économique actuel ne s’intéresse qu’au profit qui s’obtient en jouant soit sur les quantités, soit sur la rareté, à travers les entreprises « vaches à lait » bien campées sur un marché établi. Ce système est assez intolérant au processus « essais / erreur » qu’il abandonne volontiers à la galaxie des startups. Ceci donne l’impression que seules les zones géopolitiques qui se sont organisées pour générer une liquidité abondante peuvent s’affranchir de cette contrainte. Or, nous ne sommes pas dans ce cas.

En revanche, nous disposons d’un système social qui permet aux citoyens de donner du temps, du savoir et de la créativité pour créer de la richesse à travers du partage de savoirs, de l’innovation, de la culture, de la démocratie ou encore de la spiritualité. Il suffit juste de créer la cadre qui favorise la création et le partage de cette richesse, puisque cette forme de richesse se bonifie lorsqu’elle est partagée.

Créer des « salles de bal » ne suffit pas à faire démarrer la fête. Y ajouter la musique non plus. Il faut créer un contexte de confiance par la réciprocité.

Le don de temps, comme tous les dons, doit demeurer exceptionnel. Pour que l’engagement soit durable, il faut donc mettre en place un outil de réciprocité.

Il est possible de s’inspirer des initiatives issues des favelas en Amérique Latine (résumé inspiré de plusieurs histoires) :

Dans les années 70, une ville, entourée de favelas, était devenue salle et embouteillée. L’équipe municipale a osé proposer aux habitants des favelas de ramasser les souillures en faisant du tri sélectif. Chaque sac de canette ou de carton rapportait un certain nombre de tickets qui pouvaient être revendus à un prix attractif ou utilisés en tant que titre de transport en commun ou encore utilisés dans des écoles de rattrapage scolaire ou de formation professionnelles… Une décennie plus tard, la ville est devenue propre, le système scolaire est devenu performant, les habitants des favelas ont développé un artisanat recherché par les habitants du centre-ville…

La performance du système scolaire a été décuplée par les « monnaies du savoir » (les élèves de la classe n + 1 assistent les élèves de la classe n-1).

Ces tickets sont devenus une monnaie complémentaire à part entière que les gouvernements font soutenir et gérer par la banque centrale.

 

A la base de cette monnaie, il n’y a pas de création de valeur productive, il n’y a que de la création de valeur contributive : rendre la vie meilleure au sein de la communauté, y partager le savoir et développer des prestations qui fiabilisent le long terme de la ville.

La [ville] n’est pas une favela, mais une ville propre et son système scolaire ne pose pas de problème grave. La question qui se pose à elle, comme à toutes les villes de France, est de ne pas subir l’enlisement socio-économique en cette période de mutation du pacte social.

Le tissu entrepreneurial dont nous avons besoin à présent repose sur la capacité à créer un grand nombre de startups pour activer le processus essai/erreur qui va permettre de faire émerger des offres abouties. Mais pour cela, il est nécessaire de procéder au recyclage des startups non abouties en récupérant l’expérience acquise et en facilitant la réorientation des porteurs de projet.

Durant le 20ème siècle l’innovation a porté sur des éléments liés à la technologie. Elle pouvait se faire à travers des structures institutionnalisées telles que le CNRS ou le CEA et les laboratoires de recherche des grandes entreprises. À présent, nos innovations sont plus complexes, nécessitant l’intervention de nombreuses disciplines. Sans pour autant renoncer aux structures institutionnelles, il devient nécessaire de favoriser en plus la sérendipité à travers des structures plus proches des citoyens.

En effet, pour créer une startup innovante, il faut mobiliser de plus en plus de ressources en amont. Ces ressources existent en abondance dans la [ville] en particulier. Par exemple chez les retraités[2] ainsi que les préretraités et les jeunes respectivement en phase 3, 4 et 5.

La stimulation culturelle et entrepreneuriale se fait de multiples manières : par exemple en organisant des conférences, des séances de créativité, des cercles de lecture, des spectacles, des ateliers de coworking… Les habitants de la ville ont eux-mêmes certainement des propositions à faire !

 

Modalités pratiques

Le mécanisme peut être le suivant : outre la facilitation à l’accès à des locaux, la ville accorde une dotation de jetons à chaque habitant qui en fait la demande. Il est également possible d’acquérir des jetons (pris sur les recettes) en s’impliquant dans l’organisation de ces évènements.

Avec ces jetons, il est possible de participer aux évènements, mais aussi de suivre une formation à l’accompagnement de startups, à la médiation, à la documentation, au montage de spectacles…

Les habitants et les non-habitants peuvent acquérir des jetons supplémentaires en les achetant soit dans une bourse d’échange, soit à l’occasion d’une émission de jetons. Mais ils peuvent surtout en acquérir en contribuant (après formation et un minimum de sélection). Leurs surplus peuvent être donnés aux enfants participant au soutien scolaire (mais pas de gratuité : le paiement introduit une notion de respect entre le producteur et le bénéficiaire).

Les entreprises peuvent acquérir des jetons en mettant à disposition des ressources (locaux, bases de données… etc.). Elles peuvent ensuite distribuer ces jetons à leurs collaborateurs ou faire des séances de collaboration avec les startups…

Tout ceci a pour finalité d’enraciner le tissu entrepreneurial et les savoirs et accélérer et fiabiliser le processus essai /erreur de création de startups.

 

Ce système peut évoluer vers d’autres domaines socio-économiques tout aussi utiles. Par exemple : les activités empathiques (résolutions de conflits de toutes natures : sanitaires, sociale, financières…). Par exemple le partage de connaissance en matière pilotage de conseils syndical de copropriété d’immeubles, devenu nécessaire avec la complexification des aspects énergétiques et des relations entre les occupants (détresses de la solitude, locations éphémères…).

Là aussi, les habitants ne manquent pas d’idée, il faut seulement leur créer un cadre de confiance et de partage.

 

[1] En particulier pour mutualiser tout ce qui peut l’être raisonnablement.

[2] Première retraite, celle en phase 5.