Les dangers du légalisme et de l’extraterritorialité

Bien entendu, Forum Atena souhaite une bonne année à tous ses membres, ses sponsors et ses sympathisants, mais nos vœux les plus chers portent sur cette nouvelle décennie qui commence dans le désarroi : les partis politiques ne sont plus des viviers de talents mais de doutes, nos syndicats ne comprennent plus les travailleurs, nos églises oscillent entre enfermement et discrétion, les médias luttent contre les réseaux sociaux et réciproquement, la finance escamote ses mutations promises… Indépendamment de cela, la machine réglementaire poursuit son chemin vers un gouffre de plus en plus terrifiant : l’hypercanalisation des initiatives des acteurs de la vie sociale et économique, ainsi que celle des citoyens eux-mêmes.

Si en 1964 le Club de Rome a alerté les Hommes sur l’incohérence d’une gouvernance basée sur la croissance infinie dans un monde fini, Soljénitsyne, en 1978, a alerté l’Occident sur les dangers du « légalisme » qui fige la vie.

En 1978, ni Soljenitsyne, ni aucun d’entre nous n’étaient pleinement sensibilisés la propagation de l’extraterritorialité rendue possible via le net. À présent, cette question devient prégnante. Elle vient alourdir une problématique déjà bien pesante pour les entrepreneurs, mais aussi pour les citoyens.

 

Les limites à ne pas dépasser

La vie, c’est le changement. Le changement, c’est la capacité à explorer de nouvelles pistes mais aussi la capacité à s’adapter.

Les lois et les règlements doivent être considérés comme de la matière vivante qui se manipule avec humilité et ambition. Elle doit pouvoir devenir de plus en plus circonstanciée. Même à l’ère du numérique, l’idée semble évidente et sa mise en œuvre un peu utopique… Et pourtant, Soljénitsyne semble bien avoir raison : qui n’a pas ressenti ces derniers temps le poids des institutions auxquelles il a eu à faire ? Qui ne s’est jamais heurté à une loi ou une réglementation qui semble absurde ou contre-productive ici alors qu’elle fait sens ailleurs ?

Les tribunaux sont de plus en plus débordés et la confiance dans la justice se perd. Dans le même temps, le chiffre d’affaires de la profession d’avocat poursuit sa croissance près de 3 fois plus vite que l’inflation, sans que des progrès en termes d’efficacité n’apparaissent.

L’affaire Enron en ce début de siècle a mobilisé plus de 1 100 avocats qui sont allés éplucher dans le menu détail plus de 100 000 documents… Absurde ? Non : légaliste à outrance.

Dans le monde rapide où l’abstrait l’emporte sur les faits, la justice doit évoluer vers la médiation en amont de la juridiction, de même que la médecine évolue vers la prévention et réserve le bistouri et les médicaments lorsque les approches douces et la prise en compte de la complexité a échoué.

 

Que peut le numérique dans cette évolution ?

Nous savons maintenant qu’en matière de vivant, plus il y a de numérique, plus il faut de l’humain pour gérer le spécifique.

Les personnalités de le Silicon Valley, mais aussi des think tanks français du numérique, dont Forum Atena, ne cessent de mettre en garde sur l’usage abusif des big datas et de l’intelligence artificielle : les big datas ne nous parlent que du passé immédiat et les moteurs d’intelligence artificielle amplifient les biais cognitifs de leurs géniteurs. Rien de tel pour bloquer l’évolution, donc la vie.

En revanche, le numérique permet de formuler clairement des situations complexes et réduire la subjectivité. Nos archives, l’accès aux textes simplifiés (l’esprit de la loi et non la loi) doit permettre aux citoyens et aux acteurs de la vie sociale, économique et démocratique de mieux se comprendre et de comprendre les évolutions auxquelles ils sont confrontés.

Ainsi, plus de numérique dans nos vies implique plus d’humain dans nos relations : nos institutions vont devoir s’adapter en rendant les principes accessibles (prédictif) et faire des alertes l’évolution des situations à risque pour les acteurs de la vie civique, sociale et économique (préventif).

De ce fait, les données personnelles deviennent du bien commun pour permettre d’évaluer les positions de chacun dans chaque contexte. De leur côté, les institutions deviennent des facilitateurs avec d’être des arbitres.

Soljenitsyne nous challenge et nous sommes heureux de relever le défi, même s’il est clair qu’il s’annonce énorme !

Bonne décennie à tous !