France Stratégie a lancé 7 questions.

  1. Quelles interactions humains-nature, mondialisation et pandémies ?
  2. Quelles attentes à l’égard de la puissance publique face aux risques ?
  3. Quelles interdépendances et quelles formes d’autonomie à différentes échelles ?
  4. Quel modèle social pour « faire avec » nos vulnérabilités ?
  5. Quelle voie pour une économie soutenable ?
  6. Quelles relations entre savoirs, pouvoirs et opinions ?
  7. Numérique : nouveaux usages, nouvelles interrogations

 

Le collectif des think tanks du numérique n’y répond que sous l’angle numérique, conformément à sa vocation. Mais surtout, nous nous concentrons sur l’aspect numérique parce que ces questions, intimement liées entre elles, renvoient toutes à la nécessité, pour l’Europe, d’innover en passant à un numérique du 21ème siècle, basé sur un pacte social également du 21ème siècle. En osant ces évolutions, nous cessons d’être un territoire convoité, impliqué dans des guerres financières, numériques et monétaires, menée par des acteurs porteurs d’une pensée du 19ème et du 20ème siècle.

 

Priorités exprimées dans les médias

Le codiv19 a mis en relief des réalités dénoncées par les créatifs sociaux depuis longtemps. Ce choc a déclenché une volonté collective de sortir des dénis et de repenser notre modèle de société. Il devient possible de prendre du recul sur le modèle enseigné dans nos écoles et nos universités.

Or, ce changement va nécessiter de l’audace et le numérique est au cœur des innovations que nous allons devoir mettre en œuvre.

Nous partons de 4 constats vus et entendus durant la crise du codiv19 et qui nourrissent le désir de changement :

  1. Une civilisation mondialisée super-efficace financièrement est fragile : le monde ne peut plus être gouverné avec, comme principal critère, le profit et, comme vision, le court terme. Nous devons aller vers une forme de gouvernance multicritère, donc plus complexe et donc plus adossée au numérique.
  2. Nous voulons quitter l’anthropocène et entrer dans une vision symbiotique, autrement dit, nous cessons de culpabiliser les citoyens. Nous voulons au contraire faire de la nature notre alliée. Lui permettre de mieux nous accueillir et réciproquement. C’est la promesse de l’économie circulaire. Dans cette économie, l’interdépendance des acteurs de la vie sociale et économique s’intensifie. La gouvernance devient plus complexe et les échanges de données deviennent vitaux. Ceci ne peut se faire sans le recours au numérique.
  3. Un mot marque ce basculement culturel : la « mission ». Les citoyens veulent donner du sens à leur manière de contribuer au vivre ensemble en accomplissant des missions auxquelles ils croient. Les entreprises gagnent la confiance de leurs parties prenantes en se synchronisant sur les missions dans lesquelles elles sont légitimes et les institutions organisent leurs propres missions de manière à réguler l’ensemble.
  4. Les modes de contributions deviennent duales : la robotisation est au cœur de l’économie circulaire et de la fonctionnalité. Elle détruit l’emploi au sens où nous l’avons conçu jusqu’à présent. Le temps ainsi libéré doit être réinvesti dans de nouvelles formes de contributions, dédiées au bien commun. Freiner la robotisation est dangereux pour la compétitivité. Il faut donc réinventer le pacte social qui correspond à ces nouveaux besoins sociétaux. Ceci touche le cœur même de notre modèle de société et ses outils de gouvernance.

La création de richesse immatérielle doit pouvoir être encouragée et récompensée : nous devons favoriser le développement de cette nouvelle source d’abondance en adaptant nos outils d’échange et de comptabilisation.

 

Priorités ressenties par les think tanks

Tout ceci concourt à l’intensification des réseaux, des plateformes, des robots, des IoT, des big datas, de l’IA et de la monétique. C’est la raison pour laquelle les think tanks du numérique recommandent de conduire des actions prioritaires sur les points suivants :

  • Une stratégie en matière d’architecture réseau et système d’information collective,
  • La souveraineté numérique, au niveau local, national et européen,
  • Le respect de métiers qui y sont attachés,
  • Une stratégie industrielle qui tente des expérimentations et qui soutient ses acteurs.

Forts du désir de changement impulsé par la pause imposée par le codiv19, les mutations technologiques et géopolitiques en cours nous ouvrent des opportunités qui sont désormais à portée de main, à condition d’accepter de changer notre vision du monde et de donner leur juste place à nos acteurs du numérique.

L’état doit redessiner sa responsabilité en matière de numérique :

  • Les infrastructures numériques sont toutes aussi vitales que les autres réseaux (eau, électricité, routes…).
  • La notion d’Etat Plateforme désigne l’infrastructure des échanges de données entre l’état, les agents sociaux et économiques et les citoyens ainsi que les tiers de confiance dans les relations entre les citoyens et les agents sociaux et économiques. N’attendons pas que les grandes plateformes étrangères s’effondrent et, en attendant, elles poursuivent leur ingérence. Construisons une architecture adaptée à l’esprit modulaire et scallable qui sied à la gouvernance européenne.
  • L’industrie numérique ne demande qu’à mettre en valeur ses talents et favoriser une industrie européenne forte. Avoir été écartée de cette industrie naissante devient un atout pour l’Europe : nous pouvons passer directement à une architecture 1.0 plus adapté à la ligne de pensée Européenne et à la soutenabilité.

Le numérique devient une industrie stratégique et doit être traité comme telle. Les professionnels doivent être responsabilisés et les meilleurs d’entre eux connus du public pour susciter des vocations. La sélection et la formation doivent être adaptées à la spécificité des qualités requises très particulières.

Le passage de l’économie linéaire à l’économie circulaire devenant le chemin vers un modèle de société soutenable, il devient nécessaire de créer un Ministère spécifique, chargé également des stratégies d’innovations et la politique numérique.

La création de valeur devenant de plus en plus immatérielle, le numérique doit être mis à profit pour protéger et récompenser les (co)-auteurs.

 

Enfin, au cœur de cette mutation civilisationnelle, il y a le système monétaire. L’actuel, fondamentalement basé sur le « toujours plus » devient chaque jour plus fragile. En effet, nous touchons aux limites physiques de notre planète et que les formes de richesses immatérielles qui constituent notre nouvelle source d’abondance ont un comportement économique radicalement différent des formes de richesses que nous avons créées jusqu’à présent : il ne remplit pas des missions nouvelles que nous attendons de lui. La guerre des monnaies s’intensifie, une guerre sans doute désespérée, mais assurément dévastatrice. La réponse Européenne doit être pensée dans la continuité des fondamentaux de l’économie symbiotique / régénérative. Notre monnaie doit se diversifier et employer pleinement l’intelligence apportée par le numérique. Cela doit pouvoir se faire en tentant de se départir du syndrome de Soljenitsyne[1], c’est-à-dire en simplifiant (pour l’usager) les mécanismes de taxation et de redistribution de manière à obtenir une gouvernance réactive et donc plus à même de faire face aux crises.

 

Geneviève Bouché

Coordinatrice des Think Tanks du Numérique

thinktankdunumerique@gmail.com

Télécharger la contribution


[1] Soljénitsyne, en 1978, a alerté l’Occident sur les dangers du « légalisme » qui fige la vie.