Une idée simple en apparence, hasardeuse en réalité

Le revenu universel délivre un message qui peut être perçu comme une insulte aux citoyens : « faites ce que vous voulez, mais respecter quelques règles d’hygiène sociale et sanitaire. D’ailleurs, nous vous donnons les moyens minimums pour le faire ».

Cette boutade est une provocation, mais il est aussi la base du concept pour ses promoteurs contemporains qui ont déterminé le montant de ce revenu en répondant à la question : « combien coûte un pauvre à la communauté » ?

Ils se sont posé cette question parce que nous savons que nous devons et nous voulons rationaliser notre manière de produire et de consommer. Cela passe notamment par l’économie de la fonctionnalité, celle qui consiste à mutualiser les biens dont nous n’avons qu’un usage occasionnel ou ceux que nous changeons régulièrement car nos besoins évoluent. Ceci nous amène inexorablement à produire « moins mais mieux ».

Ce « moins » peut prendre une ampleur considérable. Par exemple, appliqué à l’automobile, un des moteurs de l’économie européenne, cette forme d’économie réduit les besoins de production dans un facteur de 10 à 1 !

Par ailleurs, en occident, la rationalisation passe par la robotisation afin de produire de manière plus fiable et moins chère que le moins cher des pays à bas coût.

Comme nous l’a annoncé la courbe d’Oxford 2013, cette robotisation grignote en priorité les tâches allouées à la classe moyenne.

De fait, nous le constatons que le marché du travail est en attrition, même si quelques profils sont en tension dans certains secteurs.

Or, pour que l’économie tourne, il faut des acheteurs. Dans notre narratif économique actuel, les acheteurs sont les travailleurs. Alors, si le travail se fait rare, il faut injecter de l’argent sur les comptes bancaires des ménages. Cela peut sembler facile à faire admettre aux États Unis, marqué par la culture utilitariste héritée des conquérants de l’Ouest. Par extension, il serait bien commode de le faire admettre à la population française qui entend parler d’Etat providence depuis quelques décennies.

Mais, nous sommes des Européens et de ce fait, nous sommes fondamentalement des stoïciens. Nous sommes attachés à la notion de droit et de devoir. Pour nous, à travers le travail, il y a avant tout une notion d’insertion sociale, qui se matérialise par une récompense pécuniaire et cette récompense pécuniaire permet de s’assumer soi-même ainsi que sa famille. Ce processus concrétise notre désir de droits et de devoirs accompli.

Le revenu sans contrepartie ne va donc pas de soi pour les Européens et violer leurs réticences serait une erreur culturelle grave dans notre histoire. Il faut donc voir la chose autrement. Or, justement, ceci est non seulement possible, mais souhaitable.

 

Une autre approche possible et souhaitable

Nous sortons de la sédentarisation dont le dernier chapitre aura été l’ère industrielle qui a été dominée par la pensée anglo-saxonne, dont la marchandisation à outrance.

Par ailleurs, nous avons l’impression que nous sommes désormais capables d’assurer les besoins primaires du plus grand nombre. C’est donc tout naturellement que nous souhaitons nous tourner vers la satisfaction de besoins d’un niveau supérieur. De fait, sans se référer particulièrement à la pyramide de Maslow, les générations montantes se tournent spontanément vers des activités qui développent l’estime de soi, celle que l’on ressent en recevant de la gratitude. Cette gratitude, nous l’obtenons en nous occupons du bien commun.

Ainsi, les blocs géopolitiques vont progressivement adopter l’économie circulaire et l’économie de la fonctionnalité. Elles vont produire elles-mêmes leurs yaourts et leurs avions. Leurs échanges vont se concentrer sur les matières « première-premières » et les produits d’exceptions, ceux que l’on produit avec du savoir et du talent.

De ce fait, enraciner les savoirs et faire prospérer les talents va devenir un facteur majeur de compétitivité. Or, pour y parvenir, il est nécessaire de se doter d’un terreau socioculturel et démocratique de haut niveau. Ceci nous ouvre l’opportunité de réorienter le temps libérer par la rationalisation des activités productives vers le développement du bien commun : ce sont les activités contributives.

Pour le moment, les activités contributives sont dévolues au volontariat ou au bénévolat ce qui revient à une non-reconnaissance et qui devient donc inapproprié pour des tâches devenues stratégiques pour la communauté.

 

Diversification de notre système économique

Ainsi, notre système économique se dédouble inexorablement :

  1. L’économie productive, dédiée à la satisfaction des besoins primaires des individus, la seule que reconnaisse notre système socio-économique actuel,
  2. l’économie contributive, dédié au développement du bien commun. Plus précisément : à la famille, aux savoirs et à l’innovation, à la culture, à la démocratie et à la spiritualité.

Or, la création de valeur qui est développée dans l’espace contributif se comporte de manière radicalement différente que celle que nous connaissons dans l’espace productif. En effet, si les biens et les services se déprécient à l’usage ou avec le temps, les richesses créées et échangées dans l’espace contributif (savoirs, expérience, attention, réflexion, résolution de conflits…) se bonifient à l’usage et avec le temps.

Ainsi pour récompenser la création de valeur dans l’espace contributif, il n’est pas possible d’utiliser la monnaie dette que nous avons développée au fil du temps depuis près de 10 000 ans pour nos échanges commerciaux.

Nous devons donc innover car nous avons désormais besoin de reconnaître et mettre en symbiose ces deux formes d’économie et donc de disposer d’outils de gouvernance.

 

Diversification monétaire

Opportunément, la monnaie devient numérique et donc potentiellement intelligence. Pour le moment sa capacité d’intelligence se limite à empêcher les contrefaçons, ce qui est déjà pas mal.

Nous pouvons faire mieux. Par exemple nous pouvons faire cohabiter des monnaies complémentaires, l’une dédiée aux activités productives (l’actuelle) et l’autre dédiée aux activités contributives. Ces monnaies sont liées avec des règles d’interopérabilités évolutives pour permettre aux citoyens de diversifier leurs modes de contribution à la société en tenant compte de leur parcours de vie respectif.

Cette idée n’a rien de futuriste. Les technologies sont disponibles et la nécessité de se les approprier est impérieuse.

Cependant, sur le plan opérationnel, ces instruments de gouvernance nécessitent une démocratie plus mature que celle que nous connaissons. En contrepartie, elle permet de se départir progressivement du « syndrome de Soljenitsyne », ce grand penseur qui, dès 1973, avait mis en garde les Occidentaux sur les dangers de la surréglementation qui caractérise à ses yeux le monde occidental.

En effet, grâce au traitement en temps réel des transactions, le recours aux monnaies complémentaires intelligentes permet de sortir d’une fiscalité hypercomplexe et d’un système redistributif devenu surhumain.

Bien entendu, cette innovation désespérerait l’aîné des Rothchild à qui on attribue cette réflexion : « Donnez-moi le contrôle sur la monnaie d’une nation, et je n’aurai pas à me soucier de ceux qui font ses lois ». Avec cette approche, ceux qui font les lois se soucient de la monnaie. Ceci nécessite une démocratie de haut niveau. Or justement, consacrer du temps à la démocratie fait partie des activités contributives : elles nécessitent de l’engagement et donnent lieu à récompense.

Cet exemple permet d’illustrer la nécessité de rendre la monnaie contributive fondante (la partie non utilisée disparaît en fin de mois). En effet, étant fondante, la monnaie contributive permet aux citoyens de récompenser les contributeurs qu’ils estiment méritants.

Pour mémoire : c’est avec les monnaies fondantes qu’ont été bâties les pyramides et les cathédrales !