De l’enrichissement sans création de valeur ? !

Les manifestations valorisant la blockchain, les crypto monnaies ou encore les NFT se succèdent. De jeunes entrepreneurs racontent comment ils s’enrichissent en jonglant entre les variations de valeurs, en gérant des portefeuilles, en convertissant des bitcoins en monnaies institutionnelles, en vendant des œuvres numériques, en vendant de la donnée sur les bitcoins… etc.

Ceux qui s’enrichissent vraiment et de manière durable, sont les mineurs qui ont le droit de valider une transaction et qui sont rémunérés pour cela. Cette activité, actuellement très énergivore, nécessite des investissements importants tant en matériel qu’en connaissance (du milieu en particulier).

Ceux qui ont le pouvoir, ne prennent pas la parole, ils laissent les petits poissons qui gravitent autour d'eux assurer la promotion du système dont ils prendront définitivement le pouvoir le temps venu.

Du temps de la bulle Internet, les régulateurs d’opinion rappelaient que ceux qui se sont réellement enrichis au siècle passé étaient les fournisseurs de pelles et non les chercheurs d’or eux-mêmes.

Le public est attiré dans ces manifestations clairement promotionnelles par curiosité, mais il est intrigué par ces enrichissements produits sans création de valeur réelle. Il comprend que ce qui intéresse ces beaux parleurs, c’est de collecter de l’épargne publique et de la faire tourner dans le système puisque chaque transaction justifie des rémunérations, certes minimes, mais nombreuses et éparpillées.

Le public est effrayé par la complexité du système qui lui est présenté et les motivations anxiogènes proférées pour le pousser à se détourner de la monnaie institutionnelle. Ceci lui rappelle de mauvais souvenirs. Il demeure septique car les promesses lui semblent creuses.

Cependant il comprend qu’il se passe quelque chose autour de la notion de monnaie… Il est inquiet : le mode opératoire de ces beaux parleurs n’est pas sans rappeler la supercherie de la bulle Internet.

 

Le système monétaire est effectivement en danger

Les enthousiastes du bitcoin ont raison quand ils disent que le système monétaire est en danger : il enchaîne les crises plus ou moins discrètement. Mais ce n’est pas en remplaçant toutes les monnaies par une ou deux monnaies gérées par des entreprises privées que le problème des crises va disparaître.

Avec ou sans les cryptos, la haute finance n’a pas de raison de remettre en cause son appétit pour la recherche du profit, la volonté de tout marchandiser, y compris ce qui relève du bien commun tel que l’eau, la santé, la vieillesse, le partage du savoir… etc.

Or, sa croyance aveugle dans la loi du plus fort est en échec car elle génère des géants et ces géants tuent la vie puisque la vie est une affaire de diversité et que la notion de faiblesse est une notion relative : chacun de nous a des faiblesses et des points forts.

En éliminant des "faibles", on supprime de la richesse potentielle !

Il va bien falloir revoir cet aspect de la logique de nos grands argentiers, quels que soient les instruments d’échange qui vont être développés à l’occasion du passage aux monnaies numériques.

 

Aller plus vite que les institutions démocratiques

Pour ce qui est du développement forcé des cryptos, l’enjeu cette fois-ci, ne consiste plus à maîtriser seulement les données de chacun, mais aussi les flux monétaires. La course à cette nouvelle captation est ouverte et l’adage « le premier prend tout » demeure exacte. C’est ce qui provoque l’effervescence sur les cryptos. La Chine y va à sa manière, les USA avec les siennes. L’Europe expérimente et réfléchit et, un peu comme pour les vaccins Covid, elle a pris la mesure des enjeux et s'outille pour mener efficacement la guerre des monnaies qui est en cours.

Toutes ces initiatives tendent à remplacer la monnaie classique par de la monnaie numérique, définitivement déconnectée de la matière. L’intelligence apportée par la numérisation est seulement utilisée pour empêcher la falsification et donc affirmer qu’il est possible d’avoir confiance dans ces monnaies.

Mais, contrairement à l'UE et la Chine, aucun de ces opérateurs de monnaie ne remet en cause la raison pour laquelle le système monétaire mondial est en souffrance.

 

Ces monnaies numériques, gérées par des entreprises privées, ne connaissent pas les frontières. Elles espèrent ainsi prendre le contrôle de tout ou partie de l’économie mondiale. Il leur suffit d’inventer la monnaie la plus facile à manier par le public. Pour les opérateurs, la motivation est d’en savoir toujours plus sur qui dépense quoi, quand, comment et où… Et ainsi orienter les mises en relation commerciales.

Hégémonistes, centralisatrices, non démocratiques : ces monnaies tentent de contourner les doutes soulevés par le « grand reset » exprimé en 2020 par Klaus Schwab, l’organisateur des entretiens annuels de Davos qui réunit les décideurs économiques de la planète. Or, ces doutes flottent encore en chacun de nous. Mais nous savons à présent que les réponses à nos doutes sont hors de vue des experts strictement économistes et monétaristes qui font fonctionner le système monétaire actuel. Il faut écouter de nouveaux sons de cloche portés par des équipes multidisciplinaires.

 

Nouvelle vision du vivre ensemble, nouvelles monnaies

La monnaie est l’instrument qui distingue l’Homme des autres mammifères. Elle apparaît avec la sédentarisation, c’est-à-dire la période durant laquelle l’Homme s’organise pour créer des édifices spirituels monumentaux qui l’immobilisent sur des périodes de plus en plus longues. Il s’arrange donc pour développer autour de lui tout ce dont il a besoin pour satisfaire ses besoins primaires. Les Hommes se spécialisent et pour faciliter les échanges, ils créent la monnaie.

Mais, si la monnaie facilite les échanges, elle ouvre également la porte aux abus. C'est la raison pour laquelle elle est gérée par l’Autorité suprême, reconnue pour faire régner l’Ordre.

À présent, les générations montantes considèrent que nous sommes capables d’assurer les besoins primaires du plus grand nombre. Le consumérisme a montré ses limites tant sociales qu’environnementales. Ces générations veulent s’occuper d’environnement social et écologique : elles veulent développer un bien commun de haute qualité.

Bien entendu, s’occuper du bien commun ne veut pas dire délaisser les tâches dévouées à la satisfaction des besoins primaires des Hommes.

En Europe, pour reconstruire notre industrie, nous devons démontrer que nous savons produire mieux que les pays à bas coût. Ceci est possible grâce à la robotisation. Cependant, cette robotisation a pour effet de réduire le temps consacré à produire les biens et les services.

Pour mémoire, des progrès de toutes natures ont permis aux femmes de sortir de leur cuisine (6 heures par jour dans les années 60, 1 heure en moyenne à présent).

Cette évolution ouvre naturellement l’idée que chacun de nous peut s’arranger pour avoir des activités intéressantes tout au long de son parcours de vie, ce qui tombe plutôt bien, puisque la communauté a besoin de bras et de cerveaux de plus en plus engagés et responsables pour développer le bien commun. Cependant, si la communauté en a besoin, elle doit s’organiser pour récompenser ces contributions. C’est là que le problème apparaît : avec la monnaie actuelle, nous ne savons récompenser correctement que les activités qui génèrent du profit.

 

Néanmoins, produire et consommer moins mais mieux devient l’aspiration des générations montantes. Cela bouleverse profondément notre modèle de société. Nos institutions et les instruments de gouvernance deviennent de moins en moins adaptés tout en laissant les crises se multiplier.

Maîtriser la donnée, dont nos robots ont besoin, devient aussi important que la monnaie. Dans le même temps, les relations interpersonnelles deviennent aussi importantes que la mécanisation car, nous comprenons que plus de numérique engendre un besoin de toujours plus de relations interpersonnelles.

Or, la logique ultralibérale de culture anglo-saxonne installée dans notre espace politique et économique ne sait par récompenser ce type de création de valeur. Elle a tendance à fermer les écoles, les tribunaux, les mairies… Bref, les lieux de liens.

Pour les récompenser, il nous faut les monnaies fléchées.

 

Pourquoi il y a urgence

Toutes les monnaies du monde sont plus ou moins reliées à l’US $ qui se comporte comme un chef de file, ce qui lui donne des privilèges dont il abuse parfois. Ce privilège a pour contrepartie l’autorité du « gendarme du monde », rôle qui commence à lui être contesté et dont il semble se fatiguer à certains moments.

Actuellement, pour faire tourner l’économie américaine, et occidentale plus largement, il faut injecter chaque année plus d’endettement que la croissance ne permet de rembourser. Les USA sont endettés à près de 130 % de leur PIB. Cet endettement fuyant est en réalité financé par les pays, les entreprises et les citoyens qui ont besoin d’acheter du $ pour vaquer à leurs occupations commerciales et non commerciales. Cela n’est plus possible. La Chine ne veut plus jouer à ce petit jeu.

Notre monnaie est née dans l’économie agraire et artisanale. La monnaie n’a pas beaucoup évolué lors du passage à l’ère industrielle – c’est plutôt la comptabilité qui a évolué en introduisant en 1917 la notion d’amortissement - alors que les mécanismes de création de valeur introduisaient des notions nouvelles, dont la course à la compétitivité et donc l’épuisement des ressources.

L’arrivée de la puissance informatique a créé une économie artificielle (casino financier) et l’économie de l’immatériel (GAFAM et dépendances), a achevé la dérive du système vers la spéculation déconnectée des besoins réels.

 

Il devient donc nécessaire de distinguer les activités productives avec des notions de recherche du profit raisonnable et les activités contributives qui ne sont pas directement soumises à la notion de profit, mais de compétitivité globale.

Ce dédoublement est rendu nécessaire pour la raison suivante :

  • Dans l’espace productif, la création de valeur se déprécie avec le temps ou à l’usage,
  • Dans l’espace contributif, la création de valeur se bonifie à l’usage et avec le temps.

 

Or, le bien commun de qualité devient un facteur de compétitivité majeur, mais pour l’obtenir, il faut compter sur un espace productif efficient et équilibré quant aux relations avec les voisins.

De même qu’une entreprise pour fonctionner a des coûts fixes et des coûts variables, dont les salaires, de même une économie se pilote en considérant ses ressources et ses besoins fixes et variables. Deux types de monnaies doivent cohabiter et le système qui les gouverne doit se nourrir des données sécrétées dans ces deux espaces.

Ainsi, chaque espace de création de valeur doit avoir sa famille de monnaie et ces familles de monnaies doivent être mises en synergie.

Les monnaies spécifiques à l’espace contributif sont en réalité des monnaies fléchées destinées à encourager les citoyens à contribuer au bien commun et d’en consommer les biens faits, tout au long de leur parcours de vie.

 

Les monnaies numériques sont potentiellement intelligentes. Libre à nous d’exploiter cette innovation pour gérer efficacement et avec souplesse notre système redistributif englué année après année dans une complexité surhumaine.

L’efficacité de notre système redistributif est indispensable pour notre attractivité. Il assure à la classe moyenne un environnement de confiance dans lequel il est encouragé à développer de la prospérité.

Nous devons avoir la pleine maîtrise de ce système monétaire complexe et ce système doit être piloté dans un processus démocratique de haut niveau.

Hors de question d’en déléguer la charge à des entreprises privées loin de nous, tant géographiquement que culturellement et démocratiquement.

En savoir plus :

« Economie productive – économie contributive »

aux éditions ISTE.