Partager le même numérique ne fait pas de nous des citoyens du monde

 

Le numérique rampant désincarne nos vies par manque de contacts réels. Nous pouvons espérer que nous allons reconstruire un équilibre en distinguant ce qui nécessite des contacts interpersonnels et ce qui gagne à être simplifié à travers le numérique.

Mais cette source de perte de sens est encore plus profonde : le numérique rend notre planète un village. Or, personne ne peut se revendiquer citoyen de l’humanité, omniculturel, ayant pour seules références de vie la loi du marché.

Les civilisations sont nées autour de sources de prospérités et, en parallèle, de croyances spirituelles et de rites qui ont eu pour but de permettre aux communautés locales de développer l’économie, mais aussi la culture et les connaissances selon le principe bien connu : « l’union fait la force ».

Dans la mondialisation, tous ces repères sont effacés. Il ne reste plus de lieux de cohésion tels que les églises où l’on prie, on chante et on se redit les valeurs qui nous unissent. On ne chante pas dans une usine ou dans un bureau et encore moins, seul dans sa cuisine, lieu de télétravail … D’ailleurs, le champs collectif est quasiment exclus des produits culturels, seulement admis pour évoquer le passé ou célébrer les talent d’un artiste en particulier.

La publicité ne nous uni pas : elle flatte notre individualisme. Les vedettes de la chanson sont des solitaires et nous n’allons même plus au cinéma partager des instants d’émotion. Même les émission de télévision à succès valorisent les combats interpersonnels.

 

Nous devons recréer des espace de cohésion à échelle humaine

 

L’Homme est le mammifère qui n’a ni griffes, ni corne, ni poils, ni aucun attribut pour se protéger et intimider ses prédateurs. Alors, pour survivre, il doit se mettre en équipe et utiliser son cerveau pour développer des outils et bâtir des protections.

Il a très tôt appris la manière de souder les groupes : la prière et le chant. Ces activités, on le sait à présent, opèrent des mises en concordance des organismes des individus. Ils ont utilisé certaines grottes pour leurs activités spirituelles. Ils ont choisi des grottes aux effets acoustiques capables de décupler l’effet de mise en cohésion du groupe. Hélas, les meilleurs emplacements ne favorisaient pas l’évacuation rapide en cas de danger, ce qui faisait le bonheur des prédateurs des Hommes, dont les ours.

Alors, les hommes ont décidé de construire les « grottes externes » que nous appelons les cathédrales. Mais pour cela, ils se sont sédentarisés. Ils ont créé l’agriculture, l’industrie, puis l’économie de l’immatériel avec l’avènement du numérique. Ils ont aussi créé les notions de hiérarchie, de propriété et de dette.

La mondialisation est une aberration : la vie évolue en mode essai-erreur. Il faut donc des corps constitués qui se challengent en permanence pour amener du progrès. Les géants ne peuvent donc perdurer car ils bloquent ce processus de vie en écrasant les tentatives d’« essai – erreur ».

C’est en perdant ces repères de cohésion que nous mesurons leur utilité. Le sentiment de perte de sens doit néanmoins être perçu comme une opportunité : celle de reconstruire un vivre ensemble qui sauvegarde (en mode fractal) notre patrimoine collectif local, national et Européen, tout en intégrant les valeurs du 21ème siècle qui conviennent à notre trajectoire d’évolution.

Notre trajectoire d’évolution n’est pas celle qui s’opère actuellement aux Amériques, ni en Asie, ni en Afrique … elle est centrée sur ce que nous voulons préserver : notre position géologique et climatique encore exceptionnelle avec ses saisons et les engrais naturels que le vent nous apporte délicatement du désert. Ceci est certes fragilisé, mais il nous a permis de développer une continuité d’expériences unique au monde de près de 30 ou 40 000 ans ! Nous en tirons une certaine maturité comportementale qui ne nous donne aucun droit pour donner des leçons aux autres, mais qui doit nous motiver pour faire respecter sur nos terres les valeurs auxquelles nous sommes attachés.

Cela passe par la refondation de cercles de confiance adaptés à un modèle de société mature et compris par le plus grand nombre de nos concitoyens.

Le numérique est partie prenante de cette refondation. Avec l’« informatique[1] », les équipes du général de Gaulles voulaient « rendre la France efficace », ce qui n’a rien à voir avec la feuille de route de la Silicon Valley qui est de « maîtriser la foule ».

Revenons à la feuille de route qui a été la notre dans les années 80. Mais en parallèle, repensons notre vision des points de cohésion : les églises, les loges maçonniques, les partis politiques doivent se réinventer ou céder le passage à d’autres formes de lieu de cohésion.

Se passer de spiritualité semble hasardeux. Les crises de nos églises sont en réalité l’affaire de tous. Pour le moment les think tanks sont éparpillés et quasiment sans moyens. Or, ils sont nombreux, spécialisés et enclins à croiser leurs expertises. Ce tissu potentiel de cohésion doit être d’avantage pris en considération.

 

[1] Mot créé à la demande du général de Gaulle qui désignait les machines et les logiciels. A présent, nous utilisons le mot « numérique » pour intégrer également les données à ce vecteur de puissance.