L’économie (actuelle) dogmatique

Étymologiquement, « économie » signifie « administration de la maison » et plus largement la tribu.

Ce terme désigne plus précisément la manière de répartir de la valeur produite.

Au commencement, chacun contribuait à la survie et au renouvellement de la tribu. Puis la marchandisation des biens et des services a imposé une gouvernance basée sur la propriété et le profit.

 

Durant le 20ème siècle les partis politiques, les universitaires et finalement toute la population ont considéré le système actuel comme éternel. Néanmoins ils ont eu des débats dogmatiques autour de théories dont les noms sont dérivés des leaders d’opinion qui les ont portés.

L’époque qui se termine correspond, en Europe, à la fin des maisons royales puis celle du dépassement de la maturité de l’industrie et finalement à la dislocation du mirage de la mondialisation moderne.

Ceci met en exergue les défauts des théories sur le capitalisme face au socialisme ainsi que celle du global face au local.

Il s’ensuit une instabilité des institutions qui se caractérise par la montée des extrêmes en politique, des crises économiques et sociales, et des guerres militaires et hybrides, de plus en plus dévastatrice pour les populations.

La culture du résultat immédiat l’emporte sur le compromis entre le court, moyen et long terme.

Les gouvernants n’ont plus de doctrines fiables à leur disposition. Ils n’ont plus de projet de société mobilisateur. Ils gèrent comme ils peuvent la défiance de leurs électeurs. Ils s’endettent pour acheter de la paix sociale.

C’est dans ce contexte que les citoyens se mettent à repenser l’économie dite « capitaliste ». Trois autres qualificatifs sont à l’honneur. Ils ne sont pas en concurrence, ils se combinent.

 

L’économie circulaire

L’idée

Dans la nature, le vivant n’a pas de poubelle. Les déchets des uns constituent les entrants des autres. Tout est recyclé !

L’économie circulaire repose sur l’idée que l’Homme s’organise pour s’insérer dans cette chaîne.

Par opposition, l’économie du 20ème siècle est appelée « linéaire » : j’extrais, je transforme, je commercialise, je consomme, je jette.

Hélas, prendre la notion d’économie circulaire à la lettre n’est pas possible. Nous brassons des matériaux que nous sommes peu capables de restituer à la nature. Cependant, l’idée demeure un objectif vers lequel il faut tendre.

Plus raisonnablement, l’économie circulaire devient l’engagement des entreprises et des collectivités à :

  • Produire la juste quantité, au bon moment et au bon endroit,
  • Tout en étant aussi économe que possible en ressources extractives, en énergie mais également en intervention humaine.

Car, pour être efficace, il faut avoir recours à la fiabilité et la disponibilité des robots.

Les conditions de succès

Cette logique industrielle repose sur un tissu économique radicalement différent de celui du siècle précédent.

En effet, les biens et les services produits contiennent de plus en plus d’intelligence. Ils sont réalisés non plus par de grandes entreprises qui concentrent de la main-d’œuvre et des capitaux, mais par un tissu d’entreprises à taille humaine qui concentrent des expertises et des potentiels créatifs.

Les stratégies industrielles sont donc à penser autrement. Si au siècle dernier le ministère de l’économie imaginait le futur proche en mettant autour de la table quelques grands décideurs, à présent, il doit piloter le tissu entrepreneurial. Cela commence par :

  • L’animation de viviers de startups pour être toujours en pointe, ainsi que des « débutances » pour recycler les startups qui n’arrivent pas à maturité,
  • Le pilotage des fonds d’investissement,
  • La mise en concordances des entreprises productrices, distributrices et celles recycleuses,
  • La structuration de confédérations pour aller à l’export,
  • L’entretien de lien avec les laboratoires de recherche,
  • Le pilotage des enseignements supérieur, technique et permanent… etc.

Ceci impose aux gouvernements d’avoir une vision à long terme et aux syndicats de s’impliquer dans la coordination des acteurs du tissu économique.

Par exemple, il devient nécessaire de définir les raisons d’êtres de chaque entreprise ou encore de faire évoluer les parcours de vie des produits.

L’adaptation de nos institutions va prendre un temps important si nous laissons la classe politique actuelle s’en charger, car :

  • Elle est encore trop marquée par la dichotomie « droite (intérêt des entrepreneurs) – gauche (intérêt des travailleurs) ».
  • Alors que le challenge consiste à conjuguer la « fin du mois » avec la « fin du monde ».

Ceci impose de développer l’intelligence collective et non plus simplement l’affrontement concurrentiel.

 

L’économie de la fonctionnalité

L’idée

Moins connue que la précédente, elle se développe le plus rapidement et à l’abri des débats démocratiques.

Cette économie consiste à faciliter la mise en commun de biens : voitures, maisons, outils… etc.

Nous l’avons vu avec AirBnB, cette activité ne peut être laissée sans supervision démocratique.

Dans le cas d’AirBnB, cette économie, en l’état, favorise le gestionnaire de la plateforme qui est pourtant l'acteur qui prend le moins de risque dans la chaine de création de valeur.

Pour les biens d’équipement, cette forme d’économie favorise les détenteurs de parc d’équipement et dépatrimoinise les entreprises et les ménages.

Les dépenses contraintes de ces agents économiques ne cessent d’augmenter et la puissance capitalistique des opérateurs ne cesse de se renforcer.

 

L’asymétrie qui en résulte n’est pas durable.

A part AirBnB, les politiques ne se sont pas encore penchés sur cette mutation. Pourtant, l’idée serait de mettre en gestion coopérative ces biens et que les coopératives soient encadrées démocratiquement.

 

L’économie contributive

L’idée

Ce terme est né en 2006 dans le think tank « nains de jardin » (Michel Gérant) où des écologistes se posaient la question de savoir comment sortir de l’économie linéaire.

Ce think tank n’a pas répondu à la question, pas plus que les autres. En revanche, de ses travaux, il ressort que nous entrons dans une phase de rationalisation de notre manière de produire et de consommer.

  • D’une part, Gaïa nous l’impose,
  • D’autre part, les générations montantes ne sont plus sensibles au consumérisme. Elles cherchent de plaisir plus durable, dont celui de se rendre utile à la communauté.

 

Ceci a fait apparaître l’idée que l’économie productive allait devoir être mise en synergie avec l’économie contributive.

Cette économie est basée sur l’idée que la compétitivité de la nation va désormais reposer sur la créativité et la réactivité des acteurs de l’économie et donc la qualité du patrimoine humain.

Pour obtenir cette qualité, il est nécessaire de développer un vivre ensemble de haut niveau. Cela implique d’encourager les citoyens à donner du temps à :

  • La famille,
  • La culture et le savoir,
  • La démocratie,
  • La spiritualité.

 

Mais aussi à s’engager dans les résolutions de conflits :

  • Sanitaires,
  • Juridiques,
  • Environnementaux.

 

L’enjeu

Actuellement, le tissu productif réduit de manière accélérée ses besoins quantitatifs en ressources humaines tout en élevant ses exigences qualitatives : moins de main-d’œuvre et plus de managers, d’experts et de créatifs, mais dans des proportions très défavorables à l’emploi de masse.

Il devient donc nécessaire de réorienter l’activité des citoyens vers les activités contributives de manière à ce qu’elle favorise l’élévation qualitative du patrimoine humain de la nation.

Or, le système actuel ne sait pas le faire : il a été conçu pour faire éclore l’ère industrielle. Pour lui, les activités contributives sont perçues comme des dépenses :

  • Elles sont financées via des subventions et des dons, c’est-à-dire des ressources qui ne sont pas extensibles,
  • Elles sont opérées, en dehors des frais de fonctionnement, soit par le bénévolat, soit par le volontariat, c’est-à-dire des ressources humaines non récompensées (ou très mal) et donc instables.

Or, si ces activités deviennent un vecteur de compétitivité, il devient nécessaire d’encourager les citoyens à s’y engager mais aussi de récompenser la qualité de leur engagement.

Les citoyens ne sont pas hostiles à l’idée de s’engager. Même, ils le souhaitent car ils savent que plus de liberté impose plus d’engagement. Ce n’est donc pas du côté des citoyens que le blocage s’éternise.

Le temps de maturation de sortie des dogmes

Pour le moment, le terme « économie contributive » entre dans le vocabulaire des économistes à la recherche de solutions aux distorsions subies par le fonctionnement de notre modèle de société… Mais peu de solutions sont examinées de manière académique ou expérimentale.

La raison en est que, pour construire des propositions, il faut être capable de prendre ses distances vis-à-vis des dogmes économiques des siècles précédents.

Tout le monde aime l’innovation, mais appréhende le changement. Alors, chacun préfère écouter celui qui propose de « tout changer pour que rien ne change ».

Mais, au regard de la bascule sociétale qui s’impose, rafistoler le système ne convient pas. Il faut aller chercher des solutions « en dehors du bac à sable ».

Toucher au mécanisme monétaire nécessite de l’audace et de la créativité. Pourtant, c’est bien de lui que dépend notre effondrement ou notre ouverture vers un modèle de société enviable : nous voulons un système de partage et non plus de captation de richesse.

Alors, pour le moment, parler d’économie contributive fait « tendance » et ne fâche personne…

 

Trame de solution : l’économie duale

Sur le plan anthropologique, cette évolution est inéluctable :

L’ère industrielle a permis de satisfaire les besoins primaires du plus grand nombre, même si des progrès restent à faire.

À présent, les citoyens sont intéressés à développer un vivre ensemble de haute qualité. Ce sont les générations montantes qui le souhaitent et qui vont le faire.

Les Hommes n’échangent pas que des biens et des services. Ils veulent s’impliquer dans « la vie de la cité » pour en tirer de la gratitude. Mais cette forme de rémunération ne « nourrit pas son Homme ».

Alors, il devient nécessaire de ressortir des concepts toujours écartés jusqu’à ce jour :

  • le revenu universel de Thomas More (16ème siècle)
  • la « monnaie hélicoptère » (popularisée par Keynes) au siècle dernier.

Mais ceci doit être fait en tenant compte des expérimentations qui démontrent que verser un revenu sans contrepartie fonctionne mal.

L’idée est de verser ce revenu en contrepartie d’un engagement à s’impliquer dans la vie de la cité à travers des tâches contributives et de compléter son revenu avec des tâches productives (en fonction des moyens de chacun).

Cette approche est réalisable en utilisant une monnaie duale basée sur la technologie des monnaies numériques.

 

C’est l’objet de la publication « Quelle(s) monnaie(s) pour quel modèle de société » .