Du narratif à la réalité

Le colbertisme est considéré comme l’économie pilotée par l’Etat, par opposition au libéralisme qui est supposé laisser la libre entreprise à chacun, le marché régulant l’offre et la demande.

Colbert a développé cette stratégie à propos du luxe car Louis XIV voulait ériger le luxe à la française comme support de colonisation de l’Europe : variante du soft-power qui a réussit aux romains et que les USA ont modernisé à l’après-guerre à travers l’occident.

Ayant vécu la naissance des GAFAM, je peux confirmer que la méthode employée par les USA a été colbertiste dans les faits et libérale en façade, via des narratifs …

La stratégie était de prendre le contrôle des influences sur les populations en complément de l’emprise financière sur l’économie, avec le $ érigé en monnaie d’échange international.

Je suis encore à ce jour admirative de la rigueur avec laquelle la fusée GAFAM a été montée.

Je me souviens d’un meeting en Suisse réunissant dans les années 80 les professionnels de la télématique naissante. Un intervenant venu des US nous avait expliqué que les Français avaient bien travaillé, mais que les USA allaient submerger les pays avec leur projet pensé directement à l’échelle mondiale. Le délai qu’ils s’accordaient était de 5 ans.

Pourquoi 5 ans ? Parce que la presse écrite a mis 40 ans à s’imposer, la radio 20 ans, la TV 10 ans et donc leur système : 5 ans… Et ils l’ont fait !

Nous leur avions dit à l’époque que pour déployer un tel réseau, il fallait qu’il y ait des services et du contenu. Bingo : les pionniers du web en France se souviennent des jeudi soir dans certains bars parisiens où les créateurs de service et de contenus étaient incités à aller présenter leurs projets à de supposés investisseurs américains…

En aparté, les USA nous ont expliqué que le nerf de la guerre était la maîtrise des capitaux.

En 2024, Enrico Letta s’interroge sur la raison pour laquelle le secteur des télécoms est morcelé en Europe… Je me souviens de la violence avec laquelle France Télécoms a été démantelé et de l’innocence avec laquelle des intrus ont été positionnés sur ce marché. Le but officiel était de favoriser la concurrence. Le but réellement recherché était de privatiser afin que les états ne rechignent pas à devoir financer une croissance coûteuse du trafic destiné à créer de la richesse dans la Silicon Valley.

Les « Entretiens d’Autran » de la fin des années 90 rassemblaient des élus, des universitaires et des praticiens du numérique de l’époque. Ils découvraient la supercherie, mais trop tard.

 

Une opportunité à saisir en éloignant les entraves

Au judo, c’est lorsqu’il y a du mouvement qu’il est possible d’agir. L’IA nous en donne la possibilité. Le reste de l’émission traite bien cet aspect. Mais il déplore que cela soit compliqué au motif que nous avons des lacunes.

  • La restauration de Notre Dame nous a montré que nous savions puiser dans notre patrimoine de connaissances pour se projeter vers le futur,
  • Les JO de Paris 2024 nous ont montré que nous savions nous mobiliser,
  • La pandémie de la covid nous a montré qu’en s’unissant au niveau Européen nous allions plus fort et même plus vite,
  • Airbus Industrie prouve que nous savons mettre en synergie les expertises locales pour obtenir un « moteur économique » résilient,
  • La Chine démontre que des stratégies basées sur des visions à long terme et déclinées sur le terrain avec pragmatisme donnent nécessairement des résultats.

 

Nous le voyons avec le MERCOSUR, vouloir sauver son industrie du 20ème siècle en sacrifiant celle du 21ème siècle n’est pas une bonne idée. Enrico Letta et Jean Pisani Ferri nous mettent au pied du mur :

  • Les citoyens Européens sont dans les starkings blocs et veulent libérer leur capacité à aller de l’avant,
  • La recomposition du paysage géopolitique est très ouverte. Nous pouvons en finir avec les dépendances qui entravent nos capacités de progrès.
  • Nous comprenons que nos relations avec nos partenaires ne sont plus sur la base du dominant / dominé mais sur la base des intérêts partagés bien compris au bon niveau. La mondialisation tout azimut a montré ses limites.

L’Europe des « erasmus » doit prendre son envol !

Reprendre la main sur notre souveraineté numérique est une nécessité qui recommande un colbertisme rénové. Il tire les enseignements du passé : basé sur la mise en commun des excellences des Européens et non des réglementations, certes structurantes, mais qui finissent par devenir pénalisante.