Pouvoir, technologie et vide spirituel
Par genevieve-b. dimanche 23 février 2025, 19:38. le billet du dimanche | Lien permanent.
Dans son dernier article, Julien Devaureix interprète l’actualité qui sidère l’UE et commence à mobiliser une fraction des Américains aux USA. Il attire notre attention sur Peter Thiel bien que les regards soient tournés vers Elon Musk.
Voici quelques précisions pour aller plus loin dans l’analyse et identifier nos moyens pour reprendre le cours normal de notre évolution.
Thiel & Musk, des déracinés adeptes de l’Etat profond 2ème génération
La notion d’Etat profond repose sur l’idée que la gouvernance d’un état se fait finalement à l’intérieur d’un petit cercle de privilégiés, indépendamment des faits qui les ont amenés « aux affaires ».
Les défendeurs de l’Etat profond 2ème génération souhaitent que cette gouvernance soit réalisée par des machines, elle-même entre les mains des technologues.
Or, le vivant est en constante évolution tandis que les machines ne le sont que si l’Homme procède à des mises à jour. Elles sont donc toujours en retard d’une mise à jour…
Avec l’élection de Monsieur Trump, le monde entier a compris que désormais, le pouvoir est entre les mains des acteurs du numérique. Ils ont la volonté de nous entraîner vers la « soumission numérique ».
Effectivement, comme le confirme Tariq Krim dans son article sur la guerre du numérique US / EU, Les deux anciens associés dans l’aventure PayPal, messieurs Musk et Thiel, sont bien résolus à pousser le plus loin possible L’Etat profond seconde génération.
Pour ces personnalités plus ou moins apatrides et éperdument éprises de technologie, ce concept ne semble pas poser de problème. Ils veulent juste acquérir les moyens de réaliser leurs projet « hors sol ».
Mais, les logiques d’évolution du vivant démontrent que leur vision est dangereuse : dans la nature, la concentration de données et de décisions se termine mal. Si un décideur se trompe l’ensemble du système périclite.
Les chinois l’ont illustré avec le drame des moineaux qu’ils ont tué en masse sur ordre de Mao Tsé Tung : certes, les moineaux mangeaient les graines, mais ils avaient d’autres vertus dans l’écosystème…
Le boum de l’IA (Intelligence artificielle) qui tend à faire croire que la machine est plus puissante que l’Homme en matière de réflexion n’y change rien. Les processus de décision du vivant ne se mettent pas en équation !
On sait que la vie est plus forte que la mort et que le vivant fini toujours par trouver la porte de sa survie.
L’UE doit donc sortir de son indolence et en profiter pour aller vers un anti-état profond : des technologies qui donnent des éléments de décision, mais qui laissent les Hommes face à leur ressenti et leur capacité à coopérer de proche en proche. Une technologie basée sur la modularité et non la concentration.
Hommage aux héros de la conquête de l’Ouest
Peter Thiel et Elon Musk font partie de la mouvance des Transhumanistes. Ils ont en commun le fait d’être actifs aux USA sans être des Américains issus des migrants qui ont osé et travaillé dur pour donner vie au « rêve américain ».
Si l’industrie européenne s’est construite en mobilisant les citoyens autour de l’idée du « mieux être pour tous grâce au progrès technique », les transhumanistes ont enlevé « pour tous » et remplacé « progrès » par « innovation ».
De plus, ils se concentrent sur le prolongement physiologique des corps et le décuplement des capacités mentales des élites.
Leur ligne de conduite : l’élitisme et la rapidité. D’ailleurs, ils n’hésitent pas à donner une saveur nazie à leur mouvement.
C’est leur credo, mais probablement pas celui de Gaïa, ni des Européens qui ont un très long passé d’expériences historiques qui forgent leur potentiel en matière de progrès.
La conquête de l’Ouest a duré moins de 2 siècles. Elle a été une aventure humaine incroyable qui a forgé une culture qui veut que chacun doive se prendre en charge. Le plus faible est nuisible pour la communauté. On lui accorde de la pitié, mais il ne doit pas en abuser.
Les hommes et les femmes qui s’y sont risqués n’avaient pas grand-chose à perdre et partageaient un rêve : celui de créer un monde meilleur, au moins sur le plan matériel.
Les migrants partaient d’une Europe gorgée de connaissances. Pour faire mieux, ils ont fait confiance à la technologie. Ils l’ont fait avec la rage de celui qui a une revanche à prendre.
Ils l’ont fait aussi avec violence vis-à-vis des autochtones, ce qui n’a pas été une bonne idée car ceux-ci avaient un « règlement intérieur » très évolué qui fonctionnait bien. On sait aujourd’hui combien il aurait été préférable de l’enrichir, mais pas de l’ignorer…
Bref : un mélange de créativité et de brutalité.
Ceci ne relève pas d’un narratif à la gloire des héros de la conquête de l’Ouest. C’est une réalité historique. Mais tout ceci a plus de 200 ans. Entre-temps, il y a eu la Seconde Guerre mondiale.
Le numérique selon le général de Gaulle
Lorsque de Gaulle est rentré de Londres, il a dit aux Français, qu’il fallait reconstruire l’industrie en misant sur deux innovations : l’ « informatique » et le « nucléaire ».
- Le « nucléaire » car la gestion du pétrole a été une des fragilités des nazis et allait devenir un des axes de développement de notre indépendance. Le charbon étant déjà proche de son épuisement dans l’hexagone, il fallait bien trouver une nouvelle source d’énergie stable.
- L’ « Informatique » (mot qu’il a fait créer pour les circonstances) car il avait bien compris que sans cette technologie, la physionomie de la guerre aurait été différente : point de Shoah ni de débarquement par exemple.
Mais il a été plus visionnaire encore : il a recommandé de développer ces filières selon deux axes : militaire et civile.
La feuille de route qui a été donnée aux équipes en charge de développer l’ « informatique civile » était : « Rendre la France efficace ».
Le digital des USA
Les USA se sont développés notamment à partir du moment où les premières usines d’Europe ont commencé à devenir obsolètes et que le charbon s’est avéré poser plus de problèmes que le pétrole.
La haute finance anglo-saxonne s’est fixée comme objectif de dominer le monde par le commerce, d’abord en maîtrisant les océans (la grande idée de John Pierpont Morgan), mais surtout en maîtrisant la finance.
Puis, à la fin de la dernière guerre, une idée nouvelle s’est imposée, en échos à la volonté du général de Gaulle : conquérir les populations en maîtrisant leurs données.
Ce point est devenu un axe central de la politique des USA vis-à-vis du reste du monde : devenir le maître absolu du numérique.
Les historiens vont finir par nous révéler la détermination avec laquelle cette stratégie a été soutenue par les gouvernements américains successifs. Mais nous disposons déjà de témoignages. Par exemple :
IBM a été la première firme à remplir cette mission. Ses inspecteurs (agents de maintenance des ordinateurs) payés chèrement par les entreprises et les administrations françaises, disposaient de bureaux fermés à clef et circulaient librement avec des copies de fichiers, « pour les analyser », disaient-ils.
Selon des accords secrets liés à l’application du plan Marshall, la France s’interdisait de développer une industrie (significative) des machines de traitement de l’information.
Tout a été fait par les USA pour que le plan calcul du général de Gaulle soit saboté.
Le contournement tenté par la France, via les télécoms et la télématique, a été torpillé avec la même détermination.
Le plan Marshall étant terminé en 2007, cette interdiction a été relayée par celle de l’accès au pétrole.
Une arme de persuasion massive
Au commencement de l’après-guerre, les USA ont eu « les grandes oreilles » qui prétendaient écouter les conversations téléphoniques au motif de repérer les comportements mal intentionnés.
Mais la télématique permettait d’aller beaucoup plus loin. Reprise par les USA, cela a donné le WEB. Le 1.0 (Google) a permis de savoir qui s’intéresse à quoi. Puis le 2.0 (Facebook notamment) a permis de savoir qui est en relation avec qui et à quel propos. Puis les vidéos et les jeux ont permis d’accentuer les « couloirs d’influence », en particulier auprès des jeunes publiques.
Dans « la vraie vie », les jeunes apprennent le monde via les jeux. Mais lorsque ces jeux sont numériques, ils apprennent un monde filtré en 2 dimensions et sans émotions ni odeur, ni texture, ni son… ! Ils se vident l’esprit. A la fin, ils pensent et consomment selon les injonctions faites sur leur imaginaire atrophié.
À travers des outils réellement utiles, leurs parents les équipent tout en tentant de réduire le temps passé sur les écrans.
Cette arme de persuasion massive est infiniment plus dangereuse que l’arme de dissuasion qui a tenu le monde en équilibre durant 80 ans. Elle ne coûte presque rien et ne détruit pas grand-chose physiquement. Par contre elle peut effondrer une démocratie et piller le capital humain.
Ainsi est né le technoféodalisme
Ce numérique est terrifiant. Mais il est encore plus problématique : il crée des géants financiers et devient une ressource majeure pour l’économie américaine. Le numérique a pris le pouvoir aux USA et tente de le prendre continent par continent, en commençant par l’Europe, avec l’aide de la Russie qui maîtrise, par procuration, aussi cette arme avec ses fermes de trolls en Sibérie et dans certains pays « amis ».
Les hauts personnages de ce technoféodalisme sont souvent issus de familles déracinées qui n’ont pas d’attache à un patrimoine culturel et spirituel particulier. En tout état de cause, ce sont des personnages détachés du commun du vivant et fascinés par les théories. Ils sont éventuellement source de connaissances nouvelles, mais pas adapté à la gouvernance du vivant.
L’Europe en panne de propositions alternatives ?
Nous devons prendre notre part de responsabilité dans ce désastre : les intellectuels français, mis en lumière par la bienpensance produite par le softpower américain, tentent néanmoins de comprendre ce qu’il se joue actuellement dans l’effondrement de l’équilibre géopolitique. Mais ils se réfèrent en priorité à des auteurs américains et non à des auteurs européens libres penseurs … Ainsi, ils ne trouvent pas d’alternatives à ce transhumanisme vide de spiritualité…
Ceci est fondamentalement regrettable : la religion, qui est le support de spiritualité d’une communauté est fondamentalement faite pour « relier » les Hommes et leur permettre de faire société.
Les transhumanistes ne sont pas dans cette optique : ils ne sont pas là pour résoudre les problèmes du « peuple ». Avant eux, les concepteurs des dogmes économiques de l’ère industrielle n’ont cessé de flatter l’individualisme des consommateurs, détruisant les liens sociaux puis familiaux.
Autrement dit, le système qu’ils proposent est vide de projet de société pour le commun des mortels tout comme le précédent était vide de perspectives sociétales. Pas de progrès civilisationnel en vue, bien au contraire.
L’Europe possède naturellement ses propres créatifs sociaux. Il suffit de leur donner la possibilité de s’ouvrir au débat.
Les dangers du vide spirituel
En effet, l’Europe n’adhère pas à cette perspective, même si elle en subit la stratégie destructrice. Elle n’adhère pas non plus au consumérisme qui a permis de bâtir la mondialisation que nous connaissons actuellement et qui débouche sur la financiarisation à outrance et les désordres géologiques et climatiques.
- Elle a été la première zone géopolitique à exploiter le charbon. Son industrie a été la première à connaître l’obsolescence de ses installations.
- Elle est la première à entrer dans l’ère de la rationalisation qui n’est plus basée sur le « toujours plus » mais sur le « mieux avec moins ». Ce mieux avec moins repose sur le numérique et sur les organisations coopératives.
- Elle a besoin de reconfigurer son modèle de société et ses outils de gouvernance, basés sur la coopération stimulante et non la compétition à outrance.
Cela ne pourra pas se faire sans avoir recours à tout ce qui peut relier ses concitoyens. Autrement dit, l’Europe doit se fixer comme objectif d’instaurer un nouveau modèle de société capable de permettre à chacun de grandir dans un vivre ensemble de haute qualité en apportant le meilleurs de ses capacités de contribution :
- ce que le consumérisme n’a pas su faire, car il cultive l’individualisme,
- ce que L’Etat profond seconde génération est incapable de promettre, car il n’est attractif que pour une supposée élite qui ne pense qu’à quitter notre planète.