Fin d’une époque, quid de l’époque d’après ?

Nous savions que la fin de l’ère industrielle déstabiliserait ceux qui en ont le plus profité, en l’occurrence les occidentaux.

Le scénario probable était la révolte des classes moyennes et le démantèlement du dollar roi. Nous y sommes.

  • A travers des promesses trompeuses, les classes moyennes ont voté en faveur d’un dictateur au service des intérêts de son entourage, qui promettait des solutions rapides à leurs souffrances.
  • Les zones géopolitiques, encore en croissances, profitent du désordre occidental pour gagner en pouvoir sur la scène internationale.

Elles ne remettent pas en cause le libéralisme, car il fonctionne encore en leur faveur. L’Occident est donc obligé d’innover. Les USA ne sont pas partis pour contribuer à ce chantier. C’est donc à l’Europe de le faire avec sa spécificité : une mosaïque géologique et culturelle, mais antifragile en raison de son patrimoine de connaissances partagées.

Antifragile, comme l’ont été nos aînés qui ont guerroyé entre eux durant des siècles, mais qui ont également su partager leurs capacités d’innovation.

 

Évolution des valeurs qui nous rassemblent

L’ère industrielle se termine en Europe et en occident. Durant cette époque, nous avons cru pouvoir dompter la nature afin qu’elle nous procure tout ce dont nous estimons avoir besoin.

Nos conditions de vie matérielles se sont considérablement améliorées. Mais :

  • La nature nous fait savoir qu’elle ne se dompte pas.
  • La logique économique qui a porté l’ère industrielle a dépassé ses limites : basée sur la notion de « toujours plus » elle a généré des géants économiques et concentré les pouvoirs.
    • Ceci a généré des décideurs qui ne résistent pas à la tentation d’abuser des Hommes et de l’environnement au-delà du raisonnable.
    • Les institutions deviennent inopérantes et les populations deviennent défiantes et donc ingouvernables.

Ces décideurs ont oublié que pour assumer le pouvoir, il faut proposer aux citoyens un projet de société crédible.

 

Les avatars sortis des volutes de la drogue et des valises de la corruption

Les intellectuels qui ont pensé le monde qui vient ont été nourris généreusement par l’industrie du numérique et accessoirement par les surprofits des oligarchies.

Dans le monde du numérique, la drogue fait partie des outils de travail. On y imagine et on réalise un monde qui n’a encore jamais existé. Pour le développer, il faut coder des machines et remplir leurs fichiers de données toujours plus hétérogènes. Une forme de travail les plus accaparante qu’il soit !

Il faut le faire avec détermination et endurance car s’accorder un temps de repos nécessite ensuite une remise en contexte douloureuse et chronophage.

Alors, pour résister sans faire de pause, on se drogue. Et quand on se drogue, on a des fulgurances.

Seuls certains esprits très spécifiques parviennent à y résister. Cela donne une faune plutôt sympathique, mais passablement incontrôlable.

Dans le numérique, il est possible de bâtir des fortunes indécentes et cela permet de prendre le pouvoir.

Nous avons été dérangés par le comportement amoral de la haute finance. Nous sommes hallucinés par celui des geeks.

 

Comprendre la vraie nature du changement

Ces personnages se sont tournés vers des intellectuels qui leur ressemblent.

Par exemple, ceux qui parlent de « lumière sombre » ou « d’état profond » de seconde génération (entièrement géré par les machines, et donc à la main de ceux qui détiennent ces machines).

Faute de diagnostic réaliste, ils prônent la déconstruction de l’ordre établi, comme cela se passe dans les périodes de transitions.

Nous avons effectivement à faire face à un faisceau de transitions. La plus exploitée médiatiquement est le réchauffement climatique. Mais elle révèle les autres mutations en cours dont :

  • La volonté d’aller vers un monde plus mature : les générations montantes veulent s’investir dans des entreprises dont la raison d’être est conforme à leur volonté de respecter la planète. Elles veulent également s’investir dans des tâches qui sont profitables à la communauté.
  • La nécessité de reconfigurer les modes de gouvernance : la création de valeur se fait de plus en plus avec du numérique et en combinant des expertises de plus en plus complexes. Cet environnement exige de la créativité et de la réactivité. Les organisations hiérarchiques n’y ont plus leur place. Ce sont les organisations en rhizome qui prennent le relais.

Ainsi, l’Europe n’est pas en décadence comme l’affirment des dirigeants des autres blocs géopolitiques. Elle est en train de se réinventer.

 

Conséquence sur la pensée économique

L’économie a pour objet de définir la manière de répartir la création de valeur au sein d’une communauté.

La création de valeur est produite par les Hommes, pour les Hommes.

Depuis la sédentarisation, les Hommes produisent et échangent des produits agricoles et manufacturés ainsi que des services. Ce qu’ils échangent, c’est du temps, du savoir-faire et du soin.

Au fil du temps, ces productions sont devenues complexes, ce qui implique des organisations elles même de plus en plus complexes.

La notion de made in XXX (nom d’un pays) est progressivement remplacée par Design by YYY (nom d’une entreprise) puisque nos biens et nos services sont le résultat d’une agrégation de composantes issues des quatre coins de la planète.

Ceci résulte de la forme de mondialisation qui a été développée dans le dernier quart du 20ème siècle. Ce fut l’époque arrogante de l’occident qui, sous la férule des USA, s’imaginait concepteurs et consommateur de produits complexes, mais pas producteurs. Les tâches opérationnelles étant déportées dans les pays à « bas coût ».

Ne pas produire soi-même, c’est perdre de la connaissance et permettre aux sous-traitants d’acquérir de l’expertise. Cette logique n’était pas durable. On lui doit la désindustrialisation et différentes sortes de dépendances …

A présent, l’Europe reconstruit ses capacités de production en misant sur le numérique. Ceci impose deux innovations sociétales :

  • Une gouvernance inclusive qui favorise la mise en œuvre de l’intelligence collective,
  • Une démocratie qui va du bas vers le haut,

Autrement dit le contraire de ce que proposent les USA !

 

Diriger un pays dans ce nouveau contexte nécessite de garantir au plus grand nombre une qualité de vie matérielle descente afin que chacun puisse sereinement donner le meilleur de lui-même tout au long de son parcours de vie.

Assurer un « esprit sain dans un corps sain » au plus grand nombre était le souhait des intellectuels romains lorsque la chute de Rome devenait menaçante. Nous ne devons pas manquer ce challenge une seconde fois !

 

De l’audace plutôt que du saccage

Détruire, c’est facile, construire nécessite plus de travail et d’audace.

Une approche possible consiste à repenser notre économie afin qu’elle soit capable de mettre en synergie deux formes de création de valeurs :

  • L’économie contributive est celle qui a pour objet de développer la qualité du vivre ensemble. C’est une économie locale qui est développée par et pour les locaux et qui inclus le « travail invisible » qui prend pourtant une part de plus en plus stratégique dans notre capacité à jouer la carte de l’intelligence collective.
  • L’économie productive qui a pour objet de satisfaire les besoins primaires des individus. C’est une économie d’échange de biens et de service qui s’inscrit dans la prolongation de l’économie actuelle.

Quoi qu’il en soit, en tous cas en Europe, la création de valeur n’est plus simplement agraire ni industrielle. Elle est aussi contributive. La communauté a besoin de toutes ces formes de création de valeur pour développer de la prospérité.

Toutes ces formes de création de valeur doivent être réalisées de manière responsable et donc faire l’objet de récompenses, comme le salaire récompense actuellement les tâches productives et certaines tâches institutionnelles.

Voilà pourquoi l’économie doit se complexifier. Mais dans le même temps, la monnaie devenant numérique et avec une démocratie plus performante, il est possible de rendre cette complexification plus simple à vivre au quotidien.

Un vaste espace de créativité s’ouvre devant nous !