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Le changement de civilisation

Pour les historiens, les anthropologues et les futurologues, il y a changement de civilisation lorsqu’il y a concomitance entre :

  • L’appropriation d’une nouvelle forme d’énergie,
  • L’émergence de nouveaux modes de communication,
  • La remise en cause d’un ou plusieurs textes fondamentaux.

 

Cette concomitance est en cours actuellement. Nous pouvons donc dire que nous sommes en train de changer de civilisation.

  • Pour ce qui est de l’énergie et du mode de communication, les changements sont convergents : ils passent en mode réseau.

La découverte de la notion de réseau devient déterminante dans les progrès que nous réalisons. En particulier, elle se retrouve dans notre manière de réorganiser la société.

Nous prenons conscience que le modèle « organique », qui est généralisé dans la nature, devient préférable au mode hiérarchique, même si nous le pratiquons depuis plusieurs millénaires : il permet de donner de la stabilité à notre vivre ensemble tout en lui permettant d’évoluer de manière continue.

En effet, la société organique, repose sur les synergies entre les individus par opposition au modèle pyramidale, qui sépare la décision de l’action et qui écrase les talents.

Implicitement, nous tendons à généraliser une forme de gouvernance qui est « facilitatrice », c’est-à-dire qu’elle fait confiance aux individus mais, en échange, elle est exigeante envers eux.

Ceci est à présent possible en raison de l’élévation du niveau d’éducation de la population.

 

  • Le texte fondamental que nous remettons en question, il se situe, selon moi, dans les premiers versets du livre de la genèse dans lequel Dieu dit à l’Homme qu’il trouvera dans la nature tout ce dont il a besoin… Mais, faute de bornes, l’Homme s’est mis à piller la nature et la nature est devenue inquiétante.

L’Homme est donc contraint de remettre en cause son modèle de société et c’est ainsi que nous glissons du « toujours plus » vers le « toujours mieux ».

 

Changement de priorité

C’est donc un homme nouveau qui émerge. Il a été chasseur-cueilleur, puis agriculteur, puis ouvrier, et il devient mobile : socialement, culturellement, professionnellement, géographiquement… etc.

C’est parce qu’il aspire à être mobile qu’il développe les technologies numériques : il ne subit pas le numérique, il le porte avec enthousiasme et même insouciance.

 

Sa priorité ne consiste pas à posséder toujours plus, mais à donner du sens à sa vie.

Il est prêt à confier aux robots la production des biens et des services qui assurent son intégrité physique et physiologique, c’est-à-dire les couches basses de la pyramide de Maslow. Le temps ainsi libéré, il le destine à la couche immédiatement supérieure : l’estime de soi. En clair, il veut s’accomplir à travers sa famille, les savoirs, l’innovation, la culture, la démocratie ou encore la spiritualité.

Il veut s’émanciper et en même temps contribuer à la vie de la communauté car l’estime de soi passe par la réalisation de tâches positives pour les autres et avec les autres.

 

La génération Y (25 – 35 ans actuellement) est la première à porter cette aspiration de manière significative. C’est elle qui introduit le mot « collaboratif » à tous propos.

Dans le même temps, la génération précédente se sent envahie par le mot « complexité ». Elle est sans doute la dernière à avoir tenté de standardiser la vie et à réglementer le reste…

Mais à présent, les mentalités changent : nous admettons que le monde est complexe, les systèmes deviennent apprenants et prédictifs, l’action se gère en mode conciliation et non plus par la force. L’avenir appartient à ceux qui maîtrisent ces changements.

En tout état de cause, la génération Y passe du mode pyramidal au mode organique.

 

Un mouvement mondial et générationnel

Ce changement de civilisation ne ressemble à aucun autre : il n’est pas le fait d’une classe sociale ou d’un pays devenu dominant. Il est le fait des générations Y et suivantes à travers le monde. Ce mouvement est donc très puissant et sans retour.

À y regarder de plus près, il est au moins aussi important que celui qu’ont connu nos aînés lorsqu’ils se sont sédentarisés et qu’ils ont créé cette notion de propriété qui nous pose un problème, encore aujourd’hui.

Sauf que nos aînés ont eu du temps pour muter. Ce n’est pas notre cas : nous subissons des pressions climatiques, démographiques et technologies.

D’ailleurs, nos institutions subissent déjà de fortes torsions et la défiance s’installe. Je pense en particulier à la monnaie, au travail ou encore à la notion de propriété… ce qui ébranle notre pacte social.

 

Bouleversement du pacte social

Que devient la notion de travail au 21ème siècle à partir du moment où chaque servitude de la vie quotidienne s’exécute de manière efficace à l’aide de robots ?

Ceci nous offre la possibilité de repenser les 6 temps de la vie : je nais, j’apprends, je fais, j’innove, je transmets et enfin, je me rends utile.

L’ère industrielle ne reconnaît que 3 temps : je nais, j’apprends et je fais. Puis l’individu sort du système.

Les 3 autres temps (j’innove, je transmets et enfin, je me rends utile) sont confiés au volontariat et au bénévolat, autrement dit, à des régimes instables puisque, sans reconnaissance, les individus y renoncent dès la première difficulté.

Alors, si réellement l’homme désire s’accomplir à chaque étape de sa vie et que la communauté en tire profit, il devient nécessaire de faire évoluer le pacte social.

 

La mondialisation évolue

Dans le même temps, la mondialisation évolue : les blocs géopolitiques se mettent à fabriquer eux-mêmes leurs yaourts et leurs avions. Leurs échanges se recentrent sur :

  • Les matières premières
  • Les produits d’exception.

Dès lors, la compétitivité d’une nation repose sur les talents et les savoirs. Les ressources humaines deviennent donc un patrimoine précieux, qui ne se gère plus du tout comme la main-d’œuvre des siècles précédents.

Nous n’avons plus besoin de grandes entreprises robustes, capables d’aller à la conquête des marchés mondiaux. Car le monde n’est plus à conquérir, il est à séduire. La réactivité devient stratégique et à travers elle, la capacité à libérer les initiatives.

Puisque la production se relocalise grâce aux énergies renouvelables, aux robots et aux logiques de l’économie circulaire, nous avons besoin d’un tissu d’entreprises à taille humaines, qui s’adaptent en permanence aux réalités… Ce qui est le propre des structures organiques.

C’est ainsi que nous passons de « la loi du plus fort » à « la loi du plus adaptable ».

 

L’adaptation des institutions

De fait, la structure même de la société poursuit sa métamorphose. Rappelez-vous :

  • Avant la révolution, le pouvoir était bipolaire (église – état) et le savoir était transmis au sein des familles de façon essentiellement orale,
  • Après la révolution, l’industrie puis la finance se sont mis à prendre une part croissante du pouvoir sur la communauté et le savoir est devenu une affaire d’élite,
  • À présent, le savoir est ouvert à tous et le monde associatif, ainsi que celui de l’innovation, deviennent fondamentaux dans la compétitivité des nations… Tant et si bien que la société s’organise autour de 3 composantes :
    • La famille (pivot),
    • L’espace productif (dédié aux besoins des personnes à court terme),
    • L’espace contributif (dédié aux besoins de la communauté à long terme).

Actuellement, nous ne récompensons que les tâches productives. Le passage au nouveau modèle de société va reposer sur notre capacité à récompenser aussi l’implication de nos concitoyens dans les tâches contributives.

A priori, cela semble compliqué car les tâches contributives n’ont aucune métrique.

Par exemple, que vaut le temps consacré aux travaux d’une loge maçonnique ? Rien du tout et pourtant, la communauté a besoin de ces temps consacrés à la quête de sens et d’avenir.

Ce défi est nouveau et je formule des vœux pour qu’il fasse l’objet d’un travail aussi riche que celui de nos aînés du 18ème et 19ème siècle lorsqu’ils ont vu émerger l’ère industrielle, qui est en réalité l’antichambre du changement de civilisation actuel.

 

Le drame de la monnaie

Tous ces changements mettent à mal l’emploi, tel que nous l’avions stabilisé durant le 20ème siècle. En particulier, le salariat n’est plus le mode privilégié pour injecter du pouvoir d’achat auprès les ménages.

Dans l’antiquité, les soldes des soldats étaient délivrées sous forme de jetons à valoir sur les butins des guerres à venir. Avec ces jetons, les soldats pouvaient acheter de quoi subvenir à leurs besoins. Or, ces jetons se sont révélés tellement pratiques pour les citoyens qu’ils ont avantageusement remplacé les bâtons de taille et les tablettes d’argile. Mais surtout, ils ont stimulé l’économie.

C’est ainsi qu’est née la « monnaie dette » que nous utilisons encore aujourd’hui. Mais que devient-elle dans une économie de plus en plus organique et immatérielle ?

La guerre des monnaies est liée à la guerre des talents. Nous devons donc adapter nos mécanismes monétaires afin qu’il satisfasse trois facteurs de progrès :

  • Stimuler l’attractivité sociale et culturelle,
  • Simplifier et fiabiliser du système fiscal,
  • L’éradiquer les crises financières, source de défiance dans la population.

En clair, nos instruments de gouvernance doivent s’adapter à la structuration organique de la société.

 

La piste du revenu de base

Bien que baignés dans l’idée judéo-chrétienne selon laquelle « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », le revenu de base et ses variantes apparaissent comme une piste à explorer.

L’idée portée, par les associations militantes, consiste à verser à chacun un revenu stable, ce qui va de toute façon devenir indispensable dans une économie qui fonctionne en mode projet et qui, de ce fait, généralise les carrières en pointillé.

Cette proposition consiste à simplifier au maximum le mécanisme de redistribution des surplus productifs issus de la robotisation. C’est déjà pas mal, mais quid de l’espace contributif.

 

Pour les ultralibéraux, le revenu de base a pour objet de distribuer un minimum de pouvoir d’achat aux ménages afin qu’ils puissent acheter les biens et les services produits par les robots. Leur débat est strictement économique : il se centre sur le montant du revenu acceptable.

 

Dans la pratique, ces deux approches débouchent sur la gestion de la pauvreté par ceux qui maîtrisent des moyens de production. Leurs raisonnements ne s’intéressent qu’au PIB, c’est-à-dire à ce qui est produit. Pour eux, tout ce qui concerne les tâches contributives est l’affaire de la communauté. Où est le progrès ? Car la bonne question est :

  • Veut-on gérer la pauvreté des citoyens exclus du système productif et laisser cette population dans la déshérence sociale ?
  • Ou bien veut-on un vivre-ensemble qui favorise l’éclosion de « belles personnes », éthiquement responsables, à qui il sera possible de confier des tâches productives, créatives, décisionnelles et managériales de haut niveau ?

 

La souveraineté du bien commun

Pour avancer sur le sujet, il faut tenir compte de la communautarisation de l’économie. En effet, la compétitivité vient de l’innovation. L’innovation naît dans les activités contributives avant de devenir un projet d’entreprise. Pour créer une entreprise, il faut certes toujours du capital et du travail, mais il faut aussi de plus en plus de savoir, des idées et du réseau, c’est-à-dire des composantes du bien commun immatériel.

Pour le moment, les startups, qui réussissent, tombent tôt ou tard sous le contrôle, direct ou indirect, des grandes multinationales. Mais peu à peu, la résistance s’organise au sein des blocs géopolitiques, poussé par les générations montantes qui aspirent à la souveraineté du bien commun.

Ainsi, ce n’est pas seulement la notion de travail qui évolue, mais également celle de la propriété : à qui appartient véritablement une startup qui a été aidée par la communauté et qui résulte de la somme des savoirs acquis à travers les échecs antérieurs ?

Le revenu de base favorise le renouvellement du tissu entrepreneurial, mais avec quel type de monnaie le financer alors qu’il prend sa genèse dans la création de richesse contributive et non productive ?

 

La piste des monnaies complémentaires

Actuellement, l’économie repose sur un système monétaire qui s’inscrit dans la continuité de « la monnaie dette ». Notre monnaie actuelle doit son existence à des emprunts liés à de la création de richesses productives. Mais les intérêts liés à ces emprunts imposent de créer toujours plus de richesses productives, ce qui est de moins en moins réaliste depuis que :

  • Nous savons que les ressources de notre planète ne sont pas extensibles et que notre maîtrise actuelle du cosmos ne nous permet pas de faire des réassorts !
  • Nous avons décidé de consommer moins mais mieux et plus efficacement,
  • nous évitons de faire de l’inflation,
  • nous allons vers l’apaisement démographique,

… ce qui fait que le PIB s’apaise lui-même, voir même, qu’il ne plus être un indicateur de nos activités productives puisqu’il mêle les activités positives et les activités négatives.

De plus, nous n’avons pas trouvé le moyen de reconnaître les richesses contributives, alors qu’elles occupent de plus en plus nos concitoyens.

 

Il ne s’agit pas de faire table rase du système qui a permis à notre espace productif de prospérer. D’ailleurs, les générations montantes ne souhaitent pas faire la révolution. Elles veulent simplement l’enrichir de manière à ce qu’il soit capable de prendre en compte plusieurs formes de création de richesses.

La technologie nous permet de sortir de la représentation figée de nos monnaies. En particulier, les blockchains nous laissent entrevoir l’utilisation d’une combinaison de monnaies, dédiées chacune à une forme particulière de création de richesse, tout en étant interopérables les unes avec les autres, selon des règles spécifiques.

Outre les monnaies productives, nous pouvons imaginer la monnaie de savoir, d’estime, de créativité, de démocratie… etc.

Par exemple, un revenu de base, versé pour une part en monnaie productive et pour une part en monnaie contributive, serait de nature à favoriser les parcours de vie diversifiés auquel chacun aspire et dont la communauté a besoin.

 

Les enjeux

Pour avancer sur ces sujets, il est nécessaire de lancer des travaux de recherche et des expérimentations. La France, qui est pourtant le berceau de la monétique, est attentiste : ses institutions semblent dépitées.

À la base de cette situation, il y a des tabous que nous devons dépasser, faute de quoi nous allons être les vaincus du changement de civilisation.

 

Les civilisations naissent et meurent selon un scénario immuable :

  • Une conjonction de facteurs favorise l’éclosion d’un nouvel espace de prospérité.
  • Peu à peu, la protection de cette prospérité s’institutionnalise, mais malgré tout, les facteurs bougent et la prospérité se délite.
  • Les institutions continuent néanmoins leur mission de protection, tandis que les citoyens se mettent à réclamer le retour d’une abondance en perdition.
  • Alors, la gouvernance se radicalise et elle ouvre la porte du chaos.

 

L’occident, dont la civilisation a servi de référence au reste du monde pour organiser sa modernisation, est exposé à ce scénario. Mais, riche des connaissances que nous fournissent les historiens, les anthropologues et les futurologues, nous ne pourrons pas dire à nos enfants que nous ne savions pas…

Concentrons-nous donc sur les facteurs de changement qui s’imposent à nos institutions. Évitons de faire de l’activisme à travers des innovations en trompe-l’œil.

Je vous remercie.