gesica_berlin.jpg
 

Le temps de la défiance

Un voile de défiance enveloppe nos institutions. Des doutes, voire de la détestation, s’abattent sur les élus, les banquiers et finalement la justice, c’est-à-dire le lieu où sont censés être dénouées les torsions croissantes d’une société en souffrance.

Le besoin de changement devient une évidence, mais quel changement ? On ne peut pas tout changer. Alors, existe-t-il une innovation politique ou sociale qui pourrait entraîner tous les changements dont nous avons besoin ?

Avant de penser aux solutions, il convient de comprendre les origines du changement.

 

Le changement de civilisation

Les civilisations naissent et meurent selon un scénario immuable :

  • Une conjonction de facteurs favorise l’éclosion d’un nouvel espace de prospérité.
  • Peu à peu, la communauté développe les institutions qui vont protéger cette prospérité,
  • Mais malgré tout, les facteurs bougent et la prospérité se délite.
  • Les institutions continuent néanmoins leur mission de protection, tandis que les citoyens se mettent à réclamer le retour d’une abondance en perdition.
  • Alors, la gouvernance, désemparée, se radicalise et elle ouvre la porte du chaos.

L’occident, dont la civilisation a servi de référence au reste du monde pour organiser sa modernisation, est exposé à ce scénario. Mais en réalité, avec la mondialisation, toute l’humanité est menacée et une crise fatale peut se déclarer du jour au lendemain…

Mais heureusement une nouvelle forme d’abondance s’offre à nous et la mobilisation s’organise. C’est la belle histoire dont je veux vous parler maintenant, car c’est dans ce cadre que l’avenir des avocats va y prendre sa place.

 

Modalités pratiques de ce changement de civilisation

Nous changeons de civilisation : pour les historiens, les anthropologues et les futurologues, il y a changement de civilisation lorsqu’il y a concomitance entre :

  • L’appropriation d’une nouvelle forme d’énergie,
  • L’émergence de nouveaux modes de communication,
  • La remise en cause d’un ou plusieurs textes fondamentaux.

 

Cette concomitance est en cours actuellement. Nous pouvons donc dire que nous changeons de civilisation.

  • Le texte fondamental que nous remettons en question, il se situe, selon moi, dans les premiers versets du livre de la genèse dans lequel Dieu dit à l’Homme qu’il trouvera dans la nature tout ce dont il a besoin… Mais, faute de bornes, l’Homme s’est mis à piller la nature et la nature est devenue inquiétante.

L’Homme est donc contraint de remettre en cause son modèle de société et c’est ainsi que nous glissons du « toujours plus » vers le « toujours mieux ».

 

  • Pour ce qui est de l’énergie et des modes de communication, les changements sont convergents : ils passent en mode réseau.

Et d’ailleurs, la découverte de la notion de réseau devient déterminante dans les progrès que nous réalisons. En particulier, elle se retrouve dans notre manière de réorganiser la société.

 

 

Admettre la société organique

Nous prenons conscience que le modèle « organique », qui est généralisé dans la nature, devient préférable au mode hiérarchique.

L’organisation organique repose sur les synergies entre les individus et les groupes d’individus, par opposition au modèle hiérarchique, qui sépare la décision de l’action et qui écrase les talents.

Notre corps humain est composé d’organes qui sont complémentaires et non concurrents. Il n’existe pas d’organe omnipotent. Notre corps humain est organique et son fonctionnement est collaboratif. Son évolution se fait en continu.

L’organisation organique permet de donner de la stabilité à notre vivre ensemble tout en lui permettant d’évoluer de manière continue.

Dans la nature, les éléments collaborent les uns avec les autres. Hormis les périodes de cataclysme, la nature évolue sans rupture. Pour cela, elle utilise un mécanisme dual : la vicariance et la simplexité.

  • Dans un premier temps, un changement extérieur apparaît. Alors l’organe sensible à ce changement développe une sorte de parade qui permet de s’adapter au changement, c’est une vicariance.
  • Puis, lorsque la solution développée paraît efficace, l’organe d’origine se simplifie, de manière à ne pas accumuler les complexités antérieures. C’est la simplexité.

C’est d’ailleurs ce que font les informaticiens (en principe) en faisant évoluer sans cesse les modules des logiciels qui font désormais tourner le monde… Mais ce n’est pas ce que font les législateurs qui pourtant font aussi tourner le monde à leur manière.

 

Implicitement, nous commençons à développer une forme de gouvernance qui est « facilitatrice », c’est-à-dire qu’elle fait confiance aux individus mais, en échange, elle est exigeante envers eux.

Ceci rendu possible grâce à l’élévation du niveau d’éducation de la population.

 

La génération Y (25 – 35 ans actuellement) passe du mode hiérarchique au mode organique. Cette génération est la première à porter cette aspiration de manière significative.

C’est elle qui introduit le mot « collaboratif » à tous propos.

Dans le même temps, la génération précédente se sent inhibée par le mot « complexité ». Elle est aussi la dernière génération à avoir tenté de standardiser la vie et à réglementer le reste…

À présent, les mentalités changent : nous admettons que le monde est complexe, car dans le cosmos, dont nous faisons partie, tout est en interaction avec tout, directement ou indirectement.

Par exemple, nos systèmes informatiques deviennent apprenants et prédictifs. L’action se gère en mode conciliation et non plus par la force. L’avenir appartient à ceux qui maîtrisent ces nouveaux modes de pensée.

 

 

Changement de priorité

C’est donc un homme nouveau qui émerge. Il a été chasseur-cueilleur, puis agriculteur, puis ouvrier, et il devient mobile, pas nomade, mobile : socialement, culturellement, professionnellement, géographiquement… etc.

C’est parce qu’il aspire à être mobile qu’il développe les technologies numériques : il ne subit pas le numérique, il le porte avec enthousiasme et même insouciance.

Sa priorité ne consiste pas à posséder toujours plus, mais à donner du sens à sa vie.

Il est prêt à confier aux robots la production des biens et des services qui assurent son intégrité physique et physiologique, c’est-à-dire les couches basses de la pyramide de Maslow.

Le temps ainsi libéré, il le destine à la couche immédiatement supérieure, c’est-à-dire l’estime de soi. En clair, il veut s’accomplir à travers sa famille, les savoirs, l’innovation, la culture, la démocratie ou encore la spiritualité.

Il veut s’émanciper et en même temps il veut contribuer à la vie de la communauté car l’estime de soi passe par la réalisation de tâches positives pour les autres et avec les autres.

 

Un mouvement mondial et générationnel

Ce changement de civilisation n’est pas le fait d’une classe sociale ou d’un pays qui devient dominant. Il est le fait des générations Y et suivantes à travers le monde. Ce mouvement est donc très puissant et sans retour.

À y regarder de plus près, il est au moins aussi important que celui qu’ont connu nos aînés lorsqu’ils se sont sédentarisés et qu’ils ont créé cette notion de propriété qui nous pose un problème, encore aujourd’hui.

Sauf que nos aînés ont eu du temps pour muter. Ce n’est pas notre cas : nous subissons des pressions : démographiques, climatiques et technologies.

 

Nos institutions subissent de fortes torsions et la défiance s’installe. Je pense en particulier à la monnaie, au travail ou encore à la notion de propriété… Autant d’éléments qui ébranlent notre pacte social.

Pour nous adapter, nous allons devoir être créatif et réactif. Seule l’intelligence collective permet d’y parvenir. Ce n’est pas un homme providentiel ni même une catégorie de la population qui va porter la mutation. C’est l’ensemble des citoyens qui vont agir, certains avec leur carte bancaire et leur bulletin de vote, d’autres avec leur métier, d’autres encore avec leur capacité de veille ou de communication… etc.

 

Repenser les temps de la vie

Pour le moment, nous devons répondre à UNE question : que devient la notion de travail au 21ème siècle à partir du moment où chaque servitude de la vie quotidienne s’exécute de manière efficace à l’aide de robots ?

Cette question nous offre la possibilité de repenser les 6 temps de la vie, qui sont : je nais, j’apprends, je fais, j’innove, je transmets et enfin, je me rends utile.

L’ère industrielle ne reconnaît que 3 temps : je nais, j’apprends et je fais. Puis l’individu sort du système. Il ne récompense vraiment qu’un seul temps : je fais.

Les 3 autres temps (j’innove, je transmets et enfin, je me rends utile) sont confiés au volontariat et au bénévolat, autrement dit, à des régimes instables puisque, sans reconnaissance, les individus y renoncent dès la première difficulté.

 

Alors, si réellement l’homme désire s’accomplir à chaque étape de sa vie et que la communauté en tire profit, il devient nécessaire de faire évoluer le pacte social.

 

La mondialisation évolue

Dans le même temps, la mondialisation évolue : les blocs géopolitiques se mettent à fabriquer eux-mêmes leurs yaourts et leurs avions. De ce fait, leurs échanges se recentrent sur :

  • Les matières premières
  • Les produits d’exception.

Dès lors, la compétitivité d’une nation repose sur ses talents et ses savoirs. Les ressources humaines deviennent donc un patrimoine précieux, qui ne se gère plus du tout comme la main-d’œuvre durant les siècles précédents.

L’ère industrielle a privilégié certaines formes d’intelligences, par exemple, celles de l’ingénieur. Nous avons besoin à présent de toutes les formes d’intelligences, celles de l’esprit, de la main, du cœur … etc.

Nous n’avons plus besoin de grandes entreprises robustes, capables d’aller à la conquête des marchés mondiaux. Car le monde n’est plus à conquérir, il est à séduire. La réactivité devient stratégique et à travers elle, la capacité à libérer les initiatives.

Puisque la production se relocalise grâce aux énergies renouvelables, aux robots et aux logiques de l’économie circulaire, nous avons besoin d’un tissu d’entreprises à taille humaines, qui s’adaptent en permanence aux réalités… Ce qui est le propre des structures organiques.

C’est ainsi que nous passons de « la loi du plus fort » à « la loi du plus adaptable ».

 

L’adaptation des institutions

De fait, la structure même de la société poursuit sa métamorphose. Rappelez-vous :

  • Avant la révolution, le pouvoir était bipolaire (église – état) et le savoir était transmis au sein des familles de façon essentiellement orale,
  • Après la révolution, l’industrie puis la finance se sont mis à prendre une part croissante du pouvoir sur la communauté et le savoir est devenu une affaire d’élite,
  • À présent, le savoir est ouvert à tous et le monde associatif, ainsi que celui de l’innovation, deviennent fondamentaux dans la compétitivité des nations… Tant et si bien que la société s’organise autour de 3 composantes :
    • La famille (pivot),
    • L’espace productif (dédié aux besoins des personnes à court terme),
    • L’espace contributif (dédié aux besoins de la communauté à long terme).

Comme nous l’avons signalé, nous ne récompensons que les tâches productives. Le passage au nouveau modèle de société va reposer sur notre capacité à récompenser aussi l’implication de nos concitoyens dans les tâches contributives positives.

A priori, cela semble compliqué car les tâches contributives n’ont aucune métrique : elles ne s’expriment pas en mètre, en kilos ou en durée. Par exemple, que vaut le temps consacré à sa famille, à ses travaux personnels ou au partage du savoir : rien du tout ! Pourtant, la communauté a besoin de ces temps consacrés à la transmission ainsi que la quête de sens et d’avenir.

 

Le drame de la monnaie

Tous ces changements mettent à mal l’emploi, tel que nous l’avions stabilisé durant le 20ème siècle.

Notre pacte social et notre monnaie ne sont pas conçus pour le chômage de masse. En particulier, le salariat, désormais en perdition, n’est plus le mode privilégié pour injecter du pouvoir d’achat auprès les ménages.

Dans l’antiquité, les soldes des soldats étaient délivrées sous forme de jetons à valoir sur les butins des guerres à venir. Avec ces jetons, les soldats pouvaient se procurer de quoi subvenir à leurs besoins. Or, ces jetons se sont révélés tellement pratiques pour les citoyens qu’ils ont avantageusement remplacé les bâtons de taille et les tablettes d’argile. Mais surtout, ils ont stimulé l’économie.

C’est ainsi qu’est née la « monnaie dette » que nous utilisons encore aujourd’hui. Mais c’est aussi ainsi qu’ont disparu les mécanismes qui régulaient l’économie (annulations périodiques des dettes pour favoriser la qualité des contrats).

Alors que devient notre monnaie dans une économie de plus en plus organique et immatérielle ?

La guerre des monnaies est liée à la guerre des talents. Nous devons donc adapter nos mécanismes monétaires afin qu’il satisfasse 3 facteurs de progrès :

  • Libérer les capacités d’initiatives dans le secteur productif, mais aussi contributif afin de stimuler l’attractivité économique, sociale et culturelle,
  • Simplifier et fiabiliser du système fiscal,
  • L’éradiquer les crises financières, source de défiance dans la population.

En clair, nos instruments de gouvernance doivent s’adapter à la structuration organique de la société.

 

La piste du revenu de base

Bien que baignés dans l’idée judéo-chrétienne selon laquelle « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », le revenu de base apparaît comme une piste à explorer.

L’idée consiste à verser à chacun un revenu stable, ce qui va de toute façon devenir indispensable dans une économie qui fonctionne en mode projet et qui, de ce fait, généralise les carrières en pointillé.

Si nous n’y prenons pas garde, la mise en place d’un revenu de base débouche sur la gestion de la pauvreté par ceux qui maîtrisent des moyens de production.

Les raisonnements des adeptes du revenu de base, même les plus généreux, ne s’intéressent qu’au PIB, c’est-à-dire à ce qui est produit. Pour eux, tout ce qui concerne les tâches contributives demeure l’affaire de la communauté.

Alors, où est le progrès ? Car la bonne question est :

  1. Veut-on gérer la pauvreté des citoyens exclus du système productif et laisser cette population dans la déshérence sociale ?
  2. Ou bien veut-on harmoniser l’espace productif et l’espace contributif de manière à favoriser l’éclosion de « belles personnes », éthiquement responsables, à qui il sera possible de confier les tâches nécessaires au fonctionnement d’un secteur productif fortement numérisé et donc puissant comme une voiture de course ? Or, c’est dans la sphère contributive qu’a lieu cette préparation de haut niveau.

Il n’est pas possible de conditionner le versement du revenu de base à des tâches contributives : le travail sera mal fait et la ségrégation sociale sera décuplée. Au final, la création de richesse contributive sera encore plus dévaluée !

La seconde voie est préférable, mais elle nécessite de l’innovation sociale et monétaire.

 

La souveraineté du bien commun

Pour avancer sur le sujet, il faut tenir compte de la communautarisation de l’économie. En effet, la compétitivité vient de l’innovation et l’innovation naît dans les activités contributives avant de devenir un projet d’entreprise. Pour créer une entreprise, il faut certes toujours du capital et du travail, mais il faut aussi de plus en plus du talent, du savoir, des idées et du réseau, c’est-à-dire des composantes du bien commun immatériel.

Pour le moment, les startups, qui réussissent, tombent tôt ou tard sous le contrôle, direct ou indirect, des grandes multinationales. Mais peu à peu, la résistance s’organise au sein des blocs géopolitiques, poussé par les générations montantes qui aspirent à la souveraineté du bien commun.

Ainsi, ce n’est pas seulement la notion de travail qui évolue, mais également celle de la propriété : à qui appartient véritablement une startup qui a été aidée par la communauté et qui résulte de la somme des savoirs acquis à travers les échecs antérieurs ?

Le revenu de base peut favoriser le renouvellement du tissu entrepreneurial, mais avec quel type de monnaie le financer alors qu’il prend son origine dans la sphère contributive et non productive ?

 

La piste des monnaies complémentaires

Actuellement, l’économie repose sur un système monétaire qui s’inscrit dans la continuité de « la monnaie dette ». Notre monnaie actuelle doit son existence à des emprunts conditionnés par la promesse de création de richesses productives. Mais les intérêts liés à ces emprunts imposent de créer toujours plus de richesses productives, ce qui est de moins en moins réaliste depuis que :

  • Nous savons que les ressources de notre planète ne sont pas extensibles et que notre maîtrise actuelle du cosmos ne nous permet pas d’aller y faire des réassorts !
  • Nous avons décidé de consommer moins mais mieux et plus efficacement,
  • nous évitons de faire de l’inflation,
  • nous allons vers l’apaisement démographique,

… tout ceci fait que notre système ne répond plus à nos besoins. Il se fragilise et menace même de céder.

 

Il ne s’agit pas de faire table rase du système qui a permis à notre espace productif de prospérer. D’ailleurs, les générations montantes ne souhaitent pas faire la révolution. Elles veulent simplement enrichir le système de manière à ce qu’il soit capable de prendre en compte plusieurs formes de création de richesses.

La technologie nous permet de sortir de la représentation figée de nos monnaies. En particulier, les blockchains nous laissent entrevoir l’utilisation d’une combinaison de monnaies, dédiées chacune à une forme particulière de création de richesse, tout en étant interopérables les unes avec les autres, selon des règles connues de tous.

Ainsi, outre les monnaies productives, nous pouvons imaginer une monnaie du savoir, d’estime, de créativité, de démocratie… etc.

Par exemple, nous pouvons imaginer un revenu de base, versé pour une part en monnaie productive et pour une part en monnaie contributive, de manière à favoriser les parcours de vie diversifiés auquel chacun aspire et dont la communauté a besoin.

 

Sortir de la défiance

Pour toutes les raisons que nous venons d’explorer, nous sommes contraints de faire évoluer les outils et les méthodes de notre vivre ensemble. C’est à ce prix que nous apaiserons la défiance qui s’installe dans les démocraties à travers le monde.

Déjà, les changements deviennent perceptibles :

  • La culture du « chacun pour soi » cède la place à la complémentarité des intérêts bien compris.
  • Les gouvernances qui s’imposent sont facilitatrices et non plus autoritaires.
  • Les décisions se prennent au plus près des lieux d’action.
  • La transparence devient une exigence.

Mais surtout, le développement des big data, des neurosciences et des sciences sociales permettent de comprendre et d’anticiper les dysfonctionnements relationnels entre les individus et entre les groupes.

 

Une autre idée de la justice

La justice est donc impactée.

En particulier, les citoyens ne veulent plus être infantilisés, mais responsabilisés. Ils veulent comprendre les règles du vivre ensemble et les limites de la transgression.

Durant le 20ème siècle, les textes de référence se sont calcifiés et l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » est définitivement mort. Alors que faire ? À l’évidence, pour répondre à ces attentes, il faut repenser la manière de rendre la loi accessible et la justice prévisible.

Les objectifs à atteindre sont essentiels pour l’attractivité de la nation. Il s’agit:

  • Pour les citoyens : libérer les capacités d’initiatives ce qui implique une autre approche des systèmes punitifs (droit à l’erreur en particulier),
  • Pour les gouvernants : éliminer les « irritants », en fluidifiant les procédures et l’accès aux réglementations.

 

La justice, dans sa forme actuelle, devient de plus en plus complexe et donc coûteuse. C’était également le cas pour la santé. Mais à présent elle se réorganise. Elle devient :

  • prédictive,
  • préventive
  • et, en dernier recours, curative.

On peut imaginer que la justice devienne à son tour prédictive, préventive et curative.

Elle peut devenir préventive en se rendant lisible par tous les citoyens, grâce notamment, à l’intelligence artificielle.

Mais les mutations les plus spectaculaires sont dans le curatif : elle peut faire évoluer sa manière de faire.

En particulier, les techniques de résolution de conflit, qui se démocratisent dans les entreprises et dans les services sociaux, deviennent de plus en plus efficaces. La justice doit à son tour s’approprier ces techniques.

D’ailleurs, elle commence à le faire avec :

  • la médiation, qui devrait se déployer dans le système associatif. En effet, sa dimension empathique fait qu’elle est tournée vers la préservation de la qualité du vivre ensemble. Elle relève donc de l’espace contributif,
  • l’arbitrage qui se déploie à travers un système de privatisation de la justice, ce qui n’est pas sans poser de problème démocratique.

Cette évolution devient même indispensable : le monde vers lequel nous nous dirigeons repose sur l’empathie, c’est-à-dire le mécanisme relationnel qui favorise la collaboration. Mais l’empathie a aussi pour effet de renforcer le sentiment d’appartenance ce qui sécrète des tensions entre les groupes. De ce fait, la justice devient une pièce maîtresse pour réguler ce mécanisme de tension.

 

Enfin, en devenant de plus en plus numérisée, la justice va être capable de devenir prédictive : à travers la connaissance de l’évolution des affaires qui lui sont soumises, elle pourra orienter les politiques publiques en matière d’innovations sociale et économique, favorisant ainsi la compétitivité et la qualité du vivre ensemble.

 

S’adapter avant que d’autres ne le fassent à votre place

uberisation.jpg
 

La justice doit donc garder une dimension régalienne. Son uberisation n’est donc pas souhaitable. Cependant, si elle n’actualise pas ses moyens techniques, méthodologiques et organisationnels, elle va être uberisée. L’uberisation peut parfaitement arriver de l’extérieur.

Par exemple, un scénario probable pourrait conduire à ce que le droit anglo-saxon efface le droit romain à travers des startups capitalisées par des fonds eux-mêmes anglo-saxons.

La justice, comme tous les organes de notre vivre ensemble, est donc obligée de se reconfigurer. Elle doit le faire avant que d’autres ne le fassent à sa place.

La justice doit, elle aussi, s’inscrire dans la logique du moins, mais mieux. Elle doit traiter moins d’affaires et s’astreindre à en tirer les enseignements pour susciter le progrès continu de notre vivre ensemble, ce qui ne se fait pas nécessairement en complexifiant sans cesse les textes existants.

Le travail va se reporter en amont. Reste à savoir quelle place les avocats veulent y prendre.

Le métier d’avocat, qui déjà tend à se diversifier à travers les spécialisations, devrait évoluer vers deux branches :

  • La conciliation, via la médiation, qui est peu juridique et fortement sociale et thérapeutique,
  • Le droit, via l’arbitrage, qui est plus proche de la loi et fortement marqué par le bon sens et l’honneur. Car avec les exigences de transparence que le numérique rend possible, l’éthique devient un critère majeur d’appréciation des individus et des collectifs dans lesquels ils s’impliquent.

Dans les deux cas, ces métiers seront plus humanistes et valorisants. Toutes fois, ils doivent être réglementés de manière à demeurer au service de la communauté et non simplement des plus forts.

 

Tous les corps de métier sont confrontés à la réalité de l’uberisation. Pour chacun d’eux, la résistance n’est pas la bonne attitude. Bien au contraire, c’est une opportunité. Par exemple, préparer la justice dont nous rêvons pour nos enfants est un formidable projet. Ils doivent pourvoir être fiers de nous.