Du champs vers l’usine puis vers le bureau… Et puis ?

Au début du 20ème siècle, pour faire face aux besoins pressant de l’industrie, en pleine expansion, il a été nécessaire de mettre en place une politique qui favorise le transfert des travailleurs agricoles (le « primaire ») vers les usines (le « secondaire ») puis vers les bureaux (le « tertiaire ») comme l'indique cette courbe de l'Inssée de 1991.

 

Ce mouvement a touché également les femmes à partir de 1950. Le système éducatif a été adapté de manière à ouvrir l’accès aux études supérieures… Et tant bien que mal, des systèmes de garderie des enfants ont été développés.

Les progrès faits en matière d’organisation du travail et surtout d’informatisation auraient dû nous amener à renvoyer progressivement les femmes à la maison. C’est un autre choix qui a été fait : concentrer l’accès au travail sur les classes d’âge les plus productives, c’est-à-dire de 25 à 45 ans.

Certes, les femmes ne sont pas trop intéressées à rentrer à la maison car elles ne veulent pas perdre les libertés qu’elles ont acquises. Mais la vraie raison est plus économique : cette stratégie crée de la tension sur le marché du travail ce qui a pour effet de permettre aux employeurs de laisser les salaires stagner.

Ainsi, disposer de deux revenus au foyer n’est plus un luxe. Par ailleurs, la « vie moderne » poursuit ses dégâts dans les ménages, rendant la vie quotidienne de chacun plus pénible et plus onéreuse, car les foyers séparés ou recomposés sont source de déperditions financières pour les ménages.

Pour éviter ce triste bilan, il aurait fallu trouver le « quaternaire » qui aurait pu assurer le transfert des excès de travailleurs dans les bureaux. Nous n’avons pas, à ce jour, trouvé ce que serait ce « quaternaire ». Nous savons simplement qu’il n’est pas dans les loisirs ou le service à la personne car ces emplois sont mal rémunérés.

Le report d’emploi ne se fait donc pas car cet espace économique mal défini peine à trouver une profitabilité attractive. Alors, le chômage s’installe.

Il aurait fallu analyser les choses autrement, mais cette piste de réflexion tombe en désuétude au cours des années 80 car une autre préoccupation se fait jour : faire face à la mondialisation qui pointe son nez.

 

En attendant, le secteur « tertiaire » devient complexe et donc coûteux. Il crée des emplois peu valorisants et n’empêche pas le développement du chômage des jeunes et des séniors. Une erreur historique en cette période de chamboulement international.

 

Le 4ème espace économique se découvre au 21ème siècle

Les démocraties sont nées à partir du moment où les hommes ont convenu qu’ils devaient considérer deux sphères économiques :

  • le secteur marchand qui crée de la richesse,
  • le secteur régalien qui favorise cette création de richesse.

Le régalien est financé par la fiscalité, supportée par les citoyens, à titre privé et collectif (lorsqu’ils sont en entreprise).

Cependant, la création de richesse nécessite un terreau social qui favorise l’entraide, le développement de la culture et encourage la spiritualité car les hommes sont plus prospères dans une civilisation qui crée de la confiance et favorise l’épanouissement personnel.

Cette partie de l’activité contributive est organisée et reconnue dans un espace appelé « associatif ». Lorsque les économies se dégradent et que le régalien perd du terrain, ce secteur joue un rôle d’amortisseur.

C’est ce qu’il se passe depuis les années 80 en France avec, notamment l’emblématique « resto du cœur » dont le taux de progression devrait faire pâlir les financiers… le taux de développement seulement, car évidemment, la charge n’a rien de sympathique pour l’économie puisqu’il s’agit de consommateurs hors circuit.

 

Durant cette même période, nous avons assisté à une forme assez nouvelle d’espace économique que nous appellerons le « pré-marchand » :

Il s’agit de l’espace dans lequel se développent les projets nés de la volonté de faire émerger des innovations de toutes sortes (techniques, sociales, économiques, artistiques, voir même politiques). Les idées à l’origine de ces innovations proviennent du terreau économique et social environnant. La France regorge de projets nés dans cet espace économique.

Malheureusement, ces projets n’ont aucune place dans le secteur marchand, ni régalien ni associatif. La subsistance de ses contributeurs provient essentiellement de pensions versées au titre du chômage ou de la retraite et quelques aides publiques et privées. Or, la mutation de notre espace socioéconomique se dessine dans cet espace.

Le financer massivement n’est avec la monnaie conventionnelle pas envisageable. Il faut innover beaucoup pour obtenir quelques progrès substantiels. Or, la masse de création de valeur potentielle doit aller à la rencontre de son marché pour pouvoir accéder à sa monétisation officielle. Néanmoins, même les projets qui n’aboutissent pas contribuent à l’enrichissement du terreau socioéconomique, à condition d’être correctement canalisés et recyclés si nécessaire.

Cet espace a donc besion d’être organisé selon une stratégie établie de proche en proche avec les parties prenantes que sont les collectivités, les corporations et le secteur associatif.

Il est par ailleurs nécessaire d’avoir recours à une monnaie complémentaire pour permettre la reconnaissance de la contribution à la création de valeur qui permet l’émergence d’un succès dans l’espace marchand grâce au nutriment produit par des contributeurs créatifs et pugnaces actifs dans l’espace pré-marchand.

 

La reconnaissance des contributions

Mozart ou Denis Papin ont fini dans la fausse commune, combien d’autres anonymes n’ont jamais été récompensés pour leurs contributions essentielles. Avant d’être un héros, l’iconoclaste passe pour un fou. Comment trier les vrais fous des fous prometteurs ?

Qu’ils soient de vrais fous ou de simples imposteurs qui s’ignorent, les hommes et les femmes engagés dans ce type d’activité à un moment de leur existence n’en sont pas moins des citoyens qui ont des besoins socio-économiques simples et des besoins culturels parfois supérieurs à la moyenne. Une part de leurs besoins peut être couverte de gré à gré au sein de la communauté par une monnaie complémentaire de liaison avec les parties prenantes du système. Une autre part ne peut être couverte que par l’accès aux biens et services du secteur marchand. Il est donc nécessaire d’injecter de la monnaie conventionnelle dans le secteur pré-marchand et de fixer les règles de distribution.

Actuellement, n’étant pas organisé, ce secteur donne sa chance à la moindre idée dont le bien fondé reste entièrement à démontrer. Pour améliorer le rendement de cet espace, il est donc nécessaire de définir des noyaux prioritaires et des espaces entièrement créatifs. Les secteurs prioritaires ont pour objet de garantir un minimum d’échange créateur de valeur avec le secteur marchand qui lui est le moteur de la création de valeur directement matérialisé par de la monnaie conventionnelle.

La répartition au sein de la communauté des contributeurs de la monnaie conventionnelle rétrocédée par le secteur marchand au fur et à mesure du déploiement des idées produites opportunément, ainsi que celles accordées par le secteur régalien et obtenu via l’impôt et les taxes au titre de l’effort à l’innovation, doit se faire de façon cooptée entre les contributeurs, en s’inspirant du modèle adapté aux « débutances » : un minimum pour chacun auquel s’ajoute une sorte de prime qui récompense les contributions majeures, reconnues par les membres de l’espace pré-marchand. Afin de rester à l’échelle humaine, cet espace est donc découpé en zones géographiques et culturelles.

Plus de la moitié des échanges se font en monnaie complémentaires dédiée à l’innovation : il s’agit des prestations intellectuelles et culturelles ainsi que certains services. Cette monnaie doit donc être reconnue par les collectivités locales et les entreprises dans la limite d’une masse monétaire convenue entre les parties. Le but de cette façon de faire est de dynamiser localement les échanges économiques et permettre à tous de contribuer à l’effort d’innovation. Par exemple, une part des taxes locales est restituée aux particuliers et aux entreprises sous forme de monnaie complémentaire. Cette monnaie sert à acheter en partie des prototypes des biens et services produits par la sphère non marchande. Plus le prototype est en phase de finalisation, plus la partie payable en monnaie complémentaire devient faible.

La monnaie complémentaire crée circule uniquement dans l’économie locale. Au début, il s’agit d’une monnaie responsable, mais peu à peu, elle devient une monnaie de qualité de vie qui favorise l’esprit d’entreprise et la créativité locale, sans faire appel à la finance internationale et ses effets spoliateurs.