pierre_gattaz.jpg
 

À propos du revenu universel

PG : « Cette idée part de l’hypothèse que la croissance économique va désormais stagner et que le travail, victime de l’innovation technologique, va se raréfier. »

Concernant la croissance

La croissance, telle que nous l’avons choyée durant le 20ème siècle, est remise en question. Apparemment, nous devons aller vers des notions plus globales : notre planète a des ressources limitées. Nous devons mieux les employer et cesser de croire que nous pouvons produire « toujours plus ».

Sur un plan sociétal, nous passons au « toujours mieux », et ce toujours mieux inclus les aspects environnementaux et sociaux.

Ceci se concrétise par le fait que les générations montantes veulent donner du sens à leur vie. Produire tout et n’importe quoi pour pouvoir posséder tout et n’importe quoi n’est pas une priorité en tant que tel.

Voilà pourquoi la notion de croissance façon 20ème siècle va évoluer. Déjà, le PIB est confronté à d’autres indicateurs tels que le nombre moyen de jours vécus en bonne santé par les citoyens.

 

Concernant le travail

Il se raréfie, dans la forme définie au 20ème siècle. Dans les années 50, les ménagères passaient plus de 6 heures par jour dans la cuisine. Elles n’en passent plus qu’une heure en moyenne. L’agriculture occupait plus de 20 % de la population active au siècle dernier, elle n’en occupe plus que 5 %… alors pourquoi les entreprises et les administrations échapperaient-elles aux progrès ?

Les études du BIT corroborées aux travaux de l’OCDE et de quelques autres universités, dans les années 2014, démontrent que ces progrès vont réduire de 49 % la masse totale du travail actuellement effectué dans les entreprises et les administrations.

Par ailleurs, le tissu entrepreneurial se recompose dans une structure, non plus pyramidale, mais en réseau. Le travail s’organise lui-même en réseau. De ce fait, la notion de salariat, telle que nous l’avions stabilisée au 20ème siècle, s’effrite. Ce changement se fait à la demande des employeurs qui fonctionnent de plus en plus en mode projet, mais aussi des travailleurs qui veulent garder la maîtrise de leur parcours de vie.

Cependant, selon la règle économique jamais désavouée, il y aura toujours assez de travail pour tout le monde car l’homme a toujours un besoin d’un niveau supérieur à satisfaire. Or, ces besoins d’un niveau supérieur concernent l’estime de soi, c’est-à-dire celle qui s’obtient en améliorant la qualité du vivre ensemble. Le secteur productif peut y contribuer, mais cela concerne essentiellement le secteur contributif (famille, associations, innovation, partis politiques, églises…).

Cette nouveauté, qui s’impose dans la trajectoire de l’évolution de l’Homme, nous impose de repenser en profondeur notre pacte social et démocratique.

 

Concernant le revenu de base

L’idée du revenu de base est promue par différents courants de pensée (le MFRB en a recensé plus de 40) :

  • La plus radicale : si les robots se mettent à produire à la place des hommes, le salariat n’est plus le mode de distribution du pouvoir d’achat auprès des ménages. Le revenu de base (vieux de plus de 2 000 ans), permet d’injecter de quoi faire tourner à minima l’économie et éviter les coûts inhérents à la pauvreté.
  • La plus sociale : la richesse créée par les entreprises et les administrations sont la résultante d’une accumulation de progrès collectifs dont une partie des dividendes doit être reversée aux citoyens et non pas seulement aux propriétaires des outils et des méthodes chaque jour plus efficaces.
  • La plus prospective : la compétitivité d’une nation dépend désormais des talents et de l’accumulation des savoirs qu’elle attire et qu’elle fait prospérer. Pour cela, elle doit être attractive. Ceci est possible en se dotant d’un système socio-économique qui récompense, certes les tâches productives, mais également les tâches contributives, c’est-à-dire celles dédiées au bien commun immatériel (la famille, le partage des savoirs, l’innovation, la démocratie ou encore la spiritualité).

Le thème du revenu de base prend de l’ampleur actuellement car chacun comprend que quelque chose change à propos de l’emploi et des activités productives et du vivre ensemble. Nous sommes à la veille d’une grande refonte du pacte social.

Le revenu de base, déjà présent dans les travaux de Keynes à la demande de J.F Kennedy, peut en être le point de départ.

 

Progrès technique, mais aussi social et démocratique

PG : « Plutôt que d’inventer un nouveau concept, l’urgence est à la libération de ce potentiel de croissance et d’emplois ».

Lorsque Sapiens s’est sédentarisé, il pensait se libérer de la contrainte d’avoir à aller cherche dans la nature de quoi subvenir à ses besoins, ce qui l’accaparait quelques heures par jour en moyenne. Déjà à l’époque, ce qu’il aimait, c’était les relations sociales.

Alors, il a inventé l’agriculture et la propriété. L’agriculture, c’est lutter contre la nature qui n’en fait qu’à sa tête. La propriété, c’est lutter contre ceux qui accaparent. Deux enfers : qui font que nous rêvons encore aujourd’hui de liberté.

L’homme a dompté la planète chaque fois qu’il a réussi à jouer collectif et à remettre en cause des idées qui ont fait consensus durant un temps.

Nous sommes contraints de changer de modèle de société. Ce défi, nous allons le relever en jouant collectif et en acceptant de remettre en cause certains fondamentaux du modèle que nous quittons.

 

PG : « Comme les machines vont se multiplier, il [le travail] va disparaître. Raisonnement basique et totalement erroné. Sous des dehors de modernité, cette idée est aussi vieille que le progrès technique ».

Le progrès vise à produire mieux. Tant qu’il y a des besoins nouveaux à satisfaire, il y a de la croissance possible. Tant qu’il y a des coins de la planète où des besoins sont encore insuffisamment satisfaits, la croissance est possible.

Mais, déjà, les blocs géopolitiques reconfigurent leurs échanges : elles fabriquent elles-mêmes leurs yaourts et leurs voitures. Les échangent se concentrent sur les matières premières et les produits d’exception.

Or, les produits d’exception sont créés par les talents et l’accumulation de savoirs. Pour les attitrer, les retenir et les faire prospérer, il faut consacrer du temps à la qualité du vivre ensemble. Mais pour que cela soit bien fait, il faut prendre en considération le temps consacré au bien commun immatériel. Ce n’est pas le cas actuellement. Ce temps est dévolu au volontariat et au bénévolat, sans système de gratification fiable.

Nous allons poursuivre sans relâche notre volonté de faire des progrès techniques. Mais pour le moment, ce sont des progrès sociaux et démocratiques qui vont nous permettre d’aller de l’avant.

 

Les monnaies complémentaires

PG : « Ces nouveaux impôts (directs ou indirects) [pour financer le revenu de base] pèseront forcément sur les ménages et les entreprises ».

Ce sera le cas si nous ne nous donnons pas la peine d’imaginer des solutions plus adaptées. En parallèle du revenu universel se développe une effervescence autour des monnaies complémentaires. Car nos monnaies actuelles, appelées « monnaies dette », ont été façonnées durant les siècles précédents pour faire éclore l’ère industrielle et s’adapter à une certaine forme de mondialisation.

Non seulement, cette forme de monnaie devrait évoluer, mais d’autres instruments d’échanges devraient voir le jour. Nous n’avons pas que des biens et des services à échanger. Nous avons aussi des biens sociaux à faire prospérer.

Les blockchains intéressent cet espace de créativité car le temps de la transition monétaire se rapproche avec la sortie progressive de l’ère carbone et la nécessité de réimplanter les capacités de production au plus près des consommateurs.

Les progrès en matière de démocratie vont également contribuer à faire évoluer le système monétaire.

 

De l’obsession du chômage à la nouvelle abondance

PG : « les pays ayant le parc de robots le plus moderne et le plus important (Allemagne, Suisse, Japon…) sont aussi ceux qui ont le taux de chômage le plus faible ».

« Les statistiques sont une manière élégante de mentir » disent les professeurs de statistiques. Le taux de chômage doit logiquement théoriquement être faible dans les pays qui sont encore dans l’économie de la demande. Il est à prendre avec précaution dans les autres pays.

Une véritable analyse doit inclure d’autres indicateurs tels que le taux de natalité, de précarité… etc.

Il serait confortable pour chacun de nous de croire que tous ces changements que nous subissons ne sont qu’un mauvais moment à passer et qu’un homme plus malin que les autres va trouver le moyen de faire repartir l’emploi, donc la croissance et donc le désendettement.

Mais cet homme malin ne sera pas capable de le faire, car ce challenge est désormais impossible. Cet homme malin va raisonner autour d’une idée veille de plus de deux siècles (voir par exemple: Cent ans après, ou l’an 2000 d’Edeward Bellamy – 1888) :

Puisqu’à travers la robotisation, Sapiens parvient enfin à se libérer des contraintes de la vie quotidienne, il peut prétendre accéder à une nouvelle forme d’abondance : la liberté de construire son parcours de vie à condition d’œuvrer tour à tour pour sa famille, l’appareil productif (les besoins des individus à court terme) et l’appareil contributif (les besoins de la communauté à long terme).

Nous avons encore beaucoup à imaginer et expérimenter pour remplir cette feuille de route. Mais nous sommes déjà nombreux au travail !