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Assurance et assistance, les deux piliers de notre protection sociale

Créé en France au lendemain de la 2ème guerre mondiale, notre système de protection sociale est constitutif de l’Etat Providence, c’est-à-dire un « État social » qui se préoccupe de l’intérêt de chaque citoyen et de l’intérêt général. Le système français repose sur les deux piliers de l’assurance et de l’assistance sociale.

L’assurance sociale s’est développée en s’adossant au travail salarié : une assurance quasi inconditionnelle et obligatoire garantit un revenu de remplacement en cas de maladie, chômage et vieillesse. Elle est financée par le prélèvement de cotisations sociales sur les bulletins de salaire. L’assurance sociale est avant tout professionnelle. Sa logique est celle d’une contribution/rétribution individuelle proportionnelle aux revenus, mais avec une mutualisation des risques.

L’assistance sociale est, à l’inverse, conditionnelle en étant destinée aux personnes en situation de besoin (conditions de ressources) et sans contrepartie. Le financement de l’assistance sociale provient de l’impôt.

Globalement, notre système de protection sociale a une fonction de redistribution au travers des revenus de remplacement, suivant un principe de solidarité attaché à l’assurance comme à l’assistance. Il est cependant intéressant de noter que la solidarité a de plus en plus tendance à être assimilée à la seule assistance. C’est ce qui se passe aujourd’hui pour la couverture du chômage : une indemnisation est réservée aux salariés en fonction de la durée de cotisation d’une part, ceux qui ont épuisé leurs droits ou n’ont pas cotisé suffisamment perçoivent des allocations de solidarité d’autre part.

Depuis la fin des années 1970, notre système de protection sociale fait face à des difficultés croissantes de financement (ralentissement de la croissance, hausse du chômage) alors qu’apparaissent de nouveaux besoins (exclusion, vieillissement, nouvelles catégories de travailleurs). Pour financer le déficit social, l’État a trois options : augmenter les cotisations et les impôts, faire appel aux marchés financiers (dette publique), baisser les dépenses (dont les prestations sociales) par exemple en orientant les citoyens vers les assurances privées.

C’est dans ce contexte « agité » que le revenu universel revient dans le débat.

 

Deux visions différentes du revenu universel

La vision libérale inspirée de Milton Friedmann est portée en particulier par Génération Libre : https://www.generationlibre.eu/wp-content/uploads/2014/05/un-LIBER-pour-tous.pdf

L’objectif libéral n’est pas de réduire les inégalités mais de lutter contre la pauvreté. Revenu universel et impôt sur tous les revenus au premier euro seraient intimement liés, pour aboutir à un impôt négatif (pour les plus faibles revenus) ou à un impôt positif (pour les plus hauts revenus).

Le retour vers le travail serait favorisé par l’impôt négatif qui irait décroissant avec la hausse des revenus. Le montant du revenu universel serait ajusté en fonction des ressources publiques disponibles.

Dans ce modèle, l’État deviendrait neutre et son rôle serait limité à transmettre le produit de l’impôt vers les contribuables. La philosophie est que « chacun prenne conscience de combien il donne et combien il reçoit ». La responsabilisation individuelle prime sur la responsabilisation collective.

 

La vision sociale portée par un collectif de chercheurs emmené par Thomas Piketty : http://piketty.blog.lemonde.fr/2017/01/25/pour-un-revenu-universel-credible-et-ambitieux/

Le revenu universel vise à réduire les inégalités en partageant la richesse générée par la société sous la forme d’un dividende. Il pourrait être financé essentiellement par l’impôt qui serait réformé. Sous conditions de ressources, sans être le même pour tous, le revenu universel aurait une forme mixte : crédit d’impôt et allocations.

Le point important est qu’on essaie ici de sortir autant que possible de l’allocation d’assistance sociale en retrouvant un lien avec le contrat de travail. En effet, le revenu de complément serait versé directement sur le bulletin de salaire (les personnes sans emploi ne seraient pas exclues mais bénéficieraient d’une allocation de type RSA). Ainsi, l’objectif du revenu universel serait surtout de revaloriser les bas salaires.

Deux philosophies différentes mais qui risquent d’aboutir au même résultat :
un pouvoir d’achat minimum ajustable selon les ressources publiques disponibles

Ces visions font avancer le débat mais elles ne nous disent rien sur la dette publique et notre dépendance aux marchés financiers. Dépendance à laquelle la dette sociale n’échappe pas.

Jusqu’à la fin des années 70, l’Etat agissait directement sur la monnaie et l’encadrement du crédit. Pour financer ses besoins de trésorerie, il disposait du « circuit du Trésor » : un circuit alimenté par l’épargne qui transitait via des banques encore publiques.

Pour moderniser l’Etat mais aussi garantir sa neutralité dans la conduite des affaires publiques, cette dette administrée a progressivement disparu pour être remplacée par une dette de marché (voir interview de Benjamin Lemoine auteur de « L’ordre de la dette » : https://www.youtube.com/watch?v=UnAJLRxq70c).

Désormais, l’Agence Française du Trésor est chargée, avec l’aide de ses banques partenaires, de convaincre les investisseurs financiers de la qualité de la dette de l’Etat. Les dettes du régime général de la protection sociale sont gérées par la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) qui fait également appel aux marchés financiers.

La dépendance de l’Etat vis-à-vis des marchés financiers est double puisque ce sont les banques privées qui ont le privilège quasi exclusif de créer la monnaie : plus de 90 % de la monnaie en circulation est une monnaie-crédit soumise à intérêt (« monnaie-dette »), obligeant à produire toujours plus pour rembourser les intérêts.

De fait, l’argent ne peut aller que vers ce qui peut le faire prospérer ; dans le cas de la dette publique, les investisseurs misent sur la capacité de l’Etat à lever l’impôt.

« Donnez-moi le droit d’émettre et de contrôler l’argent d’une Nation, et alors peu m’importe qui fait ses lois » M.A. Rothschild, banquier du XVIIIe siècle.

Faire appel aux marchés pour financer une politique sociale « généreuse », risque de pousser les taux d’intérêt à la hausse.

Resteraient alors pour l’Etat le levier de l’impôt et celui de la baisse des dépenses. Une hausse des impôts directs et indirects paraît difficile ; de même que la taxation des transactions monétaires et financières compte tenu des rapports étroits entre dette publique et marchés financiers. La baisse des dépenses par volonté politique ou par contrainte, est l’hypothèse la plus vraisemblable mais les effets seraient hasardeux. Au final, le revenu universel, dans sa version sociale ou libérale, pourrait devenir un revenu d’assistance généralisée dont la fonction serait d’assurer un pouvoir d’achat minimum. Un revenu universel pour maintenir un statut quo économique et social ? Ce n’est pas sans rappeler que Bismarck en Allemagne avait mis en place l’assurance sociale pour contrer l’influence du socialisme au sein d’une classe ouvrière grandissante.

 

Le revenu universel va permettre de produire du capital immatériel, ce que le système productif ne sait pas financer

Le revenu universel n’a de sens que s’il garantit les moyens de vivre dignement tout au long de sa vie, pour permettre d’exercer sa citoyenneté sur son lieu de vie.

Le travail n’est plus synonyme d’emploi (c’est important de le répéter car la confusion existe encore) et s’exerce de plus en plus dans des activités contributives : être médiateur bénévole de justice, participer au comité de sélection d’un incubateur, contribuer aux travaux d’une association, partager ses savoirs sur un blog… Ces activités ne sont pas rémunérées. Pourtant, le capital immatériel collectif dont elles sont porteuses, alimente le terreau propice à la création de richesses collectives et l’innovation. Or le système productif et sa monnaie (chez nous l’euro) ne savent pas bien financer le capital immatériel d’une entreprise ; comment pourraient-ils financer le capital immatériel produit par le corps social ?

 

Un revenu universel mixte en euros et monnaie complémentaire ?

L’acceptation du revenu universel passe par un contrat de confiance entre les citoyens : un revenu universel qui soit finançable durablement (co-responsabilité) et qui soit productif de richesses pour tous (réciprocité). Faire du revenu universel un outil pérenne de la prospérité collective, nous demande de nous interroger à la fois sur les techniques de financement des dépenses sociales et les moyens de paiement de ce nouvel échange entre Etat et citoyens et entre citoyens eux-mêmes.

Il y a un débat à ouvrir sur la façon dont l’État social pourrait sortir de la dépendance des marchés financiers c’est-à-dire sur les techniques de financement qui permettraient de ne plus faire appel exclusivement aux marchés. L’histoire du « circuit du Trésor » montre que le tout marché n’est pas un ordre naturel et qu’il a résulté d’un choix politique. Certains économistes plaident d’ailleurs pour la mise en place de monnaies fiscales adossées à l’€ qui ressusciteraient une forme de circuit de Trésor (http://www.alternatives-economiques.fr/reutiliser-monnaie-fiscale/00011211 par Wojtek Kalinowski et Bruno Théret).

 

De nouvelles formes de monnaie ont leur place dans ce débat.

Au-delà de l’économie productive dont nous devons maitriser les circuits financiers, il y a une économie contributive livrée aujourd’hui aux subventions et bénévolat dont nous devons imaginer les mécanismes d’échange. En effet, nous n’avons pas que des biens matériels à échanger. Nous avons aussi des services et des biens sociaux qui peuvent difficilement être rétribués avec une « monnaie-dette », mais qui pourraient l’être avec des monnaies complémentaires.

Si l’on admet l’idée que la population consacre une partie de son temps à développer le capital immatériel commun et que c’est grâce à ce capital que le tissu productif fonctionne, alors, le revenu universel pourrait être ajusté à la création de richesse avec une combinaison de monnaies : officielle (€) et complémentaires (monnaies locales et monnaies citoyennes).

Les monnaies complémentaires seraient réservées au secteur contributif. D’ailleurs, les prémices de cette forme de monnaie sont déjà visibles dans le CPA (compte personnel d’activité). Une émission à l’échelle régionale pourrait être envisagée pour renforcer la proximité du dispositif. Une technologie « organique » comme peut l’être la blockchain (structure d’échanges pair à pair), permettrait de gérer les échanges et l’interopérabilité entre une multiplicité de monnaies, à un coût maitrisé, avec fluidité et dans un cadre de confiance.

 

Une nouvelle gouvernance est nécessaire pour que cela fonctionne. Une implication forte des collectivités territoriales qui devraient reconnaître pleinement ces monnaies complémentaires en les acceptant en paiement de services publics voire d’une fraction des impôts. De nouveaux indicateurs qui mesurent les effets du revenu universel. Ainsi qu’une participation des citoyens aux processus décisionnels.

Au moment où des expérimentations locales de revenu universel se dessinent (Région Nouvelle Aquitaine, Conseil départemental de la Gironde), pourquoi ne pas tester un revenu universel mixte en euros et en monnaie complémentaire ?

 

Ce revenu universel mixte devenait le point de départ d’un nouveau système de protection sociale, fondé non plus sur le statut et le salariat, mais sur la citoyenneté.

Tout ceci doit s’accompagner d’une politique d’incitation au développement de la famille, du partage des savoirs, de l’innovation, de la démocratie et de la spiritualité.