Limites de la « dynamique des systèmes »

Le couple Meadows et leurs co-auteurs se sont fondés sur la « dynamique des systèmes », c’est-à-dire une approche très « ingénieur ». En effet, dans les années 70, la finance attirait à elle nos meilleurs ingénieurs et nos mathématiciens. Les prodiges de la technologie fascinaient. L’adage « une vie meilleure grâce au progrès technologique », qui a permis aux citoyens de supporter la vie en mode « métro – boulot – dodo », semblait se vérifier.

En plus, les conclusions du rapport semblaient logiques.

Seuls les économistes, écartés des travaux, ont protesté. Mais ils n’ont rien proposé à la place, si ce n’est des tensions autour de ce sujet, qui pourtant nécessite un débat ouvert et constructif. Ils sentaient que quelque chose n’allait pas, sans parvenir à l’expliquer.

La trajectoire du vivant ne se met pas en équation. La logique ingénieur a donc ses limites.

La finance, qui a elle-même beaucoup misé sur les démarches des ingénieurs, a fait le constat de cette limite. Une autre approche aurait donc dû être mise en œuvre.

 

L’approche de la futurologie cybernéticienne

Le vivant, dont l’Homme fait entièrement partie, poursuit inexorablement son évolution. Cette évolution va de la matière vers le spirituel. Elle avance en mode essai – erreur. Plus exactement en mode vicariance – simplexité. Le vivant tente en permanence de perfectionner son mode de fonctionnement individuel et collectif.

Face à une modification de son environnement ou lorsqu’une opportunité se présente, il tente un peu tout, c’est le temps des vicariances. Puis, à un moment donné, il passe en mode simplexité : il retient ce qui correspond à la meilleure formule et se débarrasse de tous ce qui n’est plus nécessaire.

En l’occurrence, l'opportunité qui a engendré l’ère industrielle en Europe a été la découverte du charbon et une maîtrise croissante de la mécanique et de la finance.

La question que se serait posée le futurologue cybernéticien n’était pas « comment se comporte le système face à la notion de croissance infinie ? », mais « à quel moment entrer en mode vicariance ? Puis en mode simplexité ? ».

Selon la réponse, il convenait de lancer des alarmes et donc des débats moins polémiques et mieux documentés.

Cette analyse amène à comprendre comment la finance favorise la période de vicariance et ensuite, se poser la question "comment s’y prendre pour qu’elle favorise l’entrée en simplexité ? "

 

 

Exemple la question centrale : la démographie.

Pendant la guerre du Vietnam, les Américains ont observé que l’azote rendait la végétation exubérante. À la fin de la guerre, ils avaient des stocks à écouler et puis, finalement, des usines à faire tourner. Alors, les agriculteurs ont été incités à rependre de l’azote sur leurs champs pour faire croitre les rendements à l’hectare. Ils ont imposé cet adjuvent aux agriculteurs, à grand renfort de persuasion commerciale et surtout de lobbyings. Mais cette formule, sur le long terme, ruine la trésorerie des agriculteurs, leur santé, leurs champs, ainsi que la santé des consommateurs !

Dans les années 70, nous savions que l’agriculture était dopée. La question était de savoir comment sortir de ce processus qui ne pouvait être que transitoire. En effet, le vivant ne peut être dopé en permanence.

 

Néanmoins, grâce aux progrès technologiques et organisationnels, les consommateurs occidentaux ont pu se nourrir, se soigner et se protéger notamment en vaccinant l'humanité pour faire disparaître certains fléaux sanitaires. La population s’est donc mise à croître, offrant aux dirigeants une chair à canons abondante.

Mais, dans le même temps, ces progrès ont déplacé le problème des guerres : à quoi bon se battre pour récupérer une terre dévastée, des infrastructures en miettes et une population traumatisée sur au moins 5 générations ?

Ceci conduit tout naturellement aux guerres hybrides que nous connaissons à présent. Dès lors, c’est la richesse immatérielle qui devient les enjeux de combat. Le patrimoine humain et sa profondeur de savoirs deviennent à la fois une richesse à faire prospérer mais aussi à protéger.

Les citoyens le ressentent et privilégient pour leurs enfants l’ascenseur culturel plutôt que l’ascenseur social. Car désormais, élever un enfant représente un investissement financier mais aussi de la disponibilité car il faut du temps pour transmettre aux enfants de l’expérience, de la culture, de l’envie de devenir quelqu’un de bien…

De fait, la démographie baisse dans les zones où l’éducation s’élève, en particulier pour ce qui concerne les femmes. Le climat n’y est pour rien.

 

Nous aurions eu des conclusions plus mobilisatrices

La décarbonisassion de l’économie devient naturellement une priorité, mais celle-ci est poussée par le désir de démondialiser l’économie et favoriser le retour au local. Ne plus dépendre du pétrole est une aspiration naturelle alors que la décroissance est une notion contre nature qui discrédite celui qui la promeut.

L’industrie ne va pas baisser, elle va fonctionner autrement avec la notion d’économie circulaire, c’est-à-dire la volonté de produire la juste quantité au bon moment pour les bonnes cibles au bon endroit en étant aussi économe que possible en ressources extractives, énergétiques… Mais aussi humaines. Le mouvement est en marche à travers la numérisation ce qui était prévisible dans les années 70 – 80, les laboratoires de Dauphine y travaillaient déjà.

Mais singulièrement, le rapport Meadows, dans ses versions successives, ne se penche pas sur la réduction des besoins en ressources humaines dans l’industrie et dans le tertiaire (les travaux de bureau), c’est-à-dire les tâches communément allouées à la classe moyenne. C’est pourtant le grand défi des économies développées.

L’Occident est menacé par l’effondrement de sa classe moyenne bien plus vite que par l’évolution du climat. Les coûts de la paix sociale pour masquer le chômage ne sont pas durables. La dette qui en résulte fait disparaître ce dont les familles et les entreprises ont le plus besoin pour aborder le 21ème siècle : des écoles, des hôpitaux, des tribunaux, des églises, des partis politiques proches des citoyens, des familles sereines… etc.

Le rapport aurait alors ouvert le débat sous un angle social et financier et non seulement environnemental. Que de temps perdu pour replacer le débat sous le bon angle !