Énoncé du problème

La monnaie permet d’échanger des biens et des services. En Europe, nous avons l’euro pour le faire.

Mais pour produire efficacement des biens et des services, il faut échanger des données, de plus en plus de données. Comme pour la monnaie, sans confiance dans les données échangées, le système ne peut pas fonctionner.

L’état est un agent économique qui a pour mission de fiabiliser les échanges. Comme pour la monnaie, il doit veiller à ce que les données échangées soient fiables et que l’usage qui en est fait soit éthique.

Ceci est un problème nouveau pour lui qui mérite un débat. Or, justement, deux approches sont envisagées aux conséquences géopolitiques et anthropologiques différentes.

 

La solution nid d’abeille

Il y a 20 ans, L’Europe a aidé l’Estonie à développer son e-état sur la base d’idées éprouvées en Finlande. Le système s’appelle X-Road.

Objectif : si le voisin russe envahit l’Estonie, l’Etat estonien continuera à être administré !

Au cœur du système, il y a les données qui caractérisent le patrimoine humain et territorial du pays. Les données y sont gérées avec la devise suivante : « nous ne vous le demandons qu’une seule fois ». Au-delà du confort pour les citoyens et des fonctionnaires, il y a une efficacité énergétique et une fiabilité qui ne s’est jamais démentie.

Comme les GAFAM, ce système est fondamentalement conçu pour rendre service aux agents de la vie sociale et économique. Ceci crée un climat de confiance. Mais la confiance n’exclut pas le contrôle. Le système est donc piloté par des instances hautement démocratiques. En plus, chaque agent économique peut interroger le système pour connaître les éventuels usages qui ont été faits de ses données et signaler les bizarreries.

Les agents économiques peuvent utiliser ces données et même proposer certaines de leurs données correspondant à un besoin dans l’appareil social et économique qui relie les Estoniens entre eux.

Depuis sa mise en service, le système est sans cesse attaqué, mais en vain. Son secret : les données sont gérées dans des « nids d’abeilles ». Pour les attaquer, il faut pénétrer dans la forteresse et ensuite attaquer le nid d’abeille qui contient l’information à prédater : par exemple, le cadastre, les carnets de santé ou encore les immatriculations… Mais attaquer un nid d’abeille seul ne sert à rien. Les données sont cryptées et ne permettent pas de relier une quelconque donnée à un agent économique.

 

Ce système est en Open Source. Dans les années 2015, il a été repris par une association française, French Road, pour en faire un système fractal afin de faire en sorte que chaque zone administrative gère son système et permet des agrégations de proche en proche jusqu’au niveau de l’Europe.

Ses efforts ont été à ce jour sans lendemain : les cabinets américains qui conseillent nos décideurs se sont mis à multiplier les interventions pour promouvoir leur système basé sur le coffre-fort personnel.

 

La solution coffre-fort personnel

L’idée consiste à proposer à chacun de gérer ses données personnelles dans un espace confié à une entreprise privée, comme le font les détenteurs de bitcoin avec leurs gestionnaires de portefeuille.

Les acteurs de la vie sociale et économique ont accès à ces données lorsque vous leur en donnez l’autorisation, comme c’est le cas actuellement avec les autorisations de prélèvement bancaire par exemple.

Cette logique généralisée aux données personnelles pose de nombreux problème de monétisation et d’engagement réciproque.

On imagine déjà la difficulté pour un individu de faire valoir ses droits face à des géants qui ne sont même pas sur son territoire, qui ne parle pas sa langue et qui se réfère à des principes qui ne sont pas conformes à sa culture !

Si ce concept fonctionne dans le monde lié à l’argent, il est infiniment plus complexe de le généraliser à l’ensemble des données personnelles d’une personne ou d’un agent social ou économique.

Mais surtout, ce choix repose sur l’idée des USA d’imposer au monde une industrie numérique supranationale qui gère l’ensemble du vivant.

 

La notion de commun de données

« Les capitalistes de surveillance en savent trop pour avoir droit à la liberté »

Shosaha Zuboff – l’âge du capitalisme de surveillance

Au-delà de ce choix en matière d’architecture système, il y a la préservation du vivant qui est en nous. Nous avons impérativement besoin de système évolutif car le monde bouge en permanence et nous devons nous y adapter sans cesse.

Pour un sujet aussi essentiel que la donnée, nous devons opter pour un système modulaire. C’est la raison d’être des communs de données qui existent déjà dans le système X-road et qui peut être élargi à l’ensemble de la vie sociale et économique.

Le principe est simple :

  • Soit les données sont présentes dans le système étatique, alors, elles sont utilisées et le système technique et démocratique protège les acteurs,
  • Soit elles n’y figurent pas. Alors les agents économiques les échanges en respectant les mêmes règles et en développant les mêmes outils de surveillance.

Cette voie est assurément celle qui convient à l’Europe :

  • La richesse de ce continent repose sur sa diversité. La modularité lui est vitale,
  • Les guerres hybrides sont désormais installées dans nos vies. Les architectures décentralisées sont les plus protectrices. C’est d’ailleurs le choix fait par « mère nature » qui ne centralise aucunes données.
  • Le respect de l’environnement est un critère majeur dans les prises de décisions des européens : les communs de données à commencer par celui de l’Etat lui-même sont source d’économie d’énergie, de papier et de traitement des incidents.

Nous avons l’expertise, nous avons les moyens matériels de créer ce type d’infrastructure infiniment moins capitalistique que les grandes fermes de données américaines et chinoises. Reste à organiser notre volonté de singularité. Les générations montantes la désirent. Le sens de l’Histoire nous y invite.

 

Bonus & archives

Mexico a adopté le système X-Road en 2021.

L’Estonie est devenue un haut lieu du numérique mondial.

Forum Atena le disait déjà en 2018 dans son livre blanc et dans une vidéo.